Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

4ème dimanche de Pâques – 30 avril 2023 – Évangile de Jean 10, 1-10

Évangile de Jean 10, 1-10

Je suis le Berger …
Je suis la Porte

L’évangile lu ce dimanche fait qu’on l’appelle « le dimanche du bon Pasteur », ce qui évoque tout de suite des images doucereuses d’un beau Jésus serrant sur son coeur un agneau mignon. Le contexte montre au contraire qu’il s’agit d’une scène dure, polémique, qui fait suite à la guérison de l’aveugle-né que Jésus a « fait sortir » de l’enclos pharisien pour l’attirer à lui. Son importance est marquée par son début solennel.

Être berger était un métier très répandu en Israël, bien plus rude que nous ne l’imaginons. Il fallait guider le troupeau vers de bons pâturages, trouver des sources d’eau, aller à la recherche des bêtes qui s’étaient égarées, soigner celles qui étaient blessées, protéger le troupeau à la merci des attaques des prédateurs. L’unité était un souci permanent. Le soir venu, les pasteurs gagnaient un enclos protégé, gardé par des veilleurs, dans lequel les bêtes seraient mélangées mais à l’abri. Dans la pâle lueur de l’aube, chaque berger se présentait à l’entrée et appelait ses brebis par leur nom afin de reconstituer son troupeau et s’en aller pour une nouvelle journée.

Une parabole difficile

Amen, amen, en vérité je vous le dis : celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors. Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers.

Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire.

Dans l’antiquité il était courant d’appeler « bergers » les rois et les chefs : les hommes n’étaient-ils pas comme des brebis fragiles qu’il fallait guider et défendre ?

Combien sont-ils, et seront-ils encore, à désirer s’emparer des hommes en prétendant être les meilleurs dirigeants ? Sans arrêt nous entendons les discours enflammés, les proclamations véhémentes : « Suivez-moi…Je vous apporterai les meilleures conditions…Avec moi nous serons les plus forts…Je suis le Führer ». Et, plus bêtes que les brebis, nous écoutons ces belles promesses, nous ne décelons pas les mensonges, la volonté de puissance cachée.

Méfiez-vous, nous prévient Jésus, des voleurs et des brigands ! Moi, dit-il, pauvre, démuni, sans nulle ambition mondaine, je me présente à la porte de l’humanité et je parle dans la paix et la vérité, sans flatterie ni rodomontade. Je connais mes brebis et j’appelle chacune par son nom c.à.d. selon son identité, sa situation. Ainsi l’évangile nous raconte comment Simon, Jean, Philippe, Nicodème, la samaritaine, la femme adultère…ont été appelés de façons différentes. Sans hurlement ni menace. Et chacun de nous pourrait raconter à son tour comment il a perçu une voix douce et miséricordieuse qui le rattrapait dans les mille détours de ses errements.

Hélas combien de fois avons-nous fait la sourde oreille ! Mais Jésus, le bon berger, ne cesse jamais de chercher la brebis perdue, car elle lui appartient.

Deux mots surprennent. Au lieu d’employer le mot habituel pour « enclos », Jésus utilise un mot qui désigne la « cour » du temple ! En outre il précise qu’il « les pousse dehors », ce qui paraît excessif mais c’est le verbe utilisé juste avant, lorsque les pharisiens ont jeté hors de la cour du temple l’aveugle né qui s’était mis à croire à Jésus.

L’homme qui se convertit au Seigneur Christ peut être rejeté par son milieu : dans cette blessure qu’il sache reconnaître l’appel de son berger véritable. Ainsi à travers les affres horribles de sa passion, Jésus a su reconnaître l’appel de son Père à accomplir sa volonté (annoncer la venue du Royaume) jusqu’au don total de soi (la passion). Donc l’image pastorale éclaire la situation.

Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire.

On ne s’étonne pas que ces pharisiens ne comprirent pas du tout la portée de cette déclaration. Tous les chrétiens la comprennent-ils aujourd’hui ?

Jésus unique Sauveur

C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : je suis la porte des brebis. Ceux qui sont intervenus avant moi sont tous des voleurs et des bandits mais les brebis ne les ont pas écoutés.

Moi je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé. Il pourra aller et venir et il trouvera un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire.

Le 2ème tableau de la parabole commence aussi de façon très solennelle : le sujet traité est vraiment d‘une importance essentielle.

Les prédécesseurs de Jésus ne désignent évidemment pas les patriarches, les prophètes et Jean-Baptiste mais tous ceux qui se sont targués d’apporter bonheur, grandeur, consommation et qui finalement ont conduit leur peuple à la ruine.

Jésus prétend que lui seul donne accès à l’humanisme plénier. Il est la Porte et celui qui, par la foi et la confiance, passe par lui obtiendra « le salut ». Au fond que signifie ce dernier mot que l’Eglise emploie si souvent ? Jésus le décrit par deux images reprises au contexte pastoral :

« il pourra aller et venir » : dans la bible ce couple désigne la liberté. Si l’esclave est bridé par mille contraintes, si l’addiction au péché nous enchaîne, la foi au Seigneur Jésus nous libère totalement puisque son pardon fait sauter nos chaînes. La modernité prétend qu’elle a mis fin à l’aliénation religieuse : quel mensonge ! Jamais l’idolâtrie de l’argent, le prurit de la consommation et du loisir, l’esclavage des alcools et des drogues n’ont fait autant de ravages.

« il trouvera un pâturage » : nous sommes des êtres de besoins et de désirs, nous cherchons sans cesse non seulement des aliments mais des affections, des conversations, des biens culturels, des soins et des protections. Plus profondément nous avons soif du pardon, de l’eau vive qui gît au fond de notre coeur assoiffé, de la vérité, de la paix, de l’amour d’un Dieu qui nous délivre de la mort. Jésus nous assure solennellement qu’il est venu dans ce but.

Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’il l’aient en abondance.

Jésus est conscient de n’être pas seulement un être comme les autres : il a reçu mission unique de son Père afin d’accomplir sa mission.

« Au commencement était la Parole et la parole était de Dieu. Et la Parole s’est faite chair…A ceux qui croient en son Nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu…Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ….Personne n’a jamais vu Dieu : le Fils unique l’a dévoilé » (Jean 1)

Le Bon Berger

La lecture du jour se termine ici mais le texte poursuit par la déclaration célèbre :

Je suis le bon berger : le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, voit-il venir le loup, abandonne les brebis et le loup s’en empare…Je suis le bon berger : je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme mon Père me connaît et que je connais mon Père. Et je donne ma vie pour mes brebis.

J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos, et celles-là aussi il faut que je les mène. Elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger. Le Père m’aime parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite…. » (10, 11-18)

Enfin on comprend pourquoi Jésus se dit « bon » : parce que, au contraire des chefs et des dictateurs, il ne fuit pas le danger mais offre sa vie tellement il aime ses brebis que le Père lui a confiées. En Israël, Jésus, par sa croix, a fait sortir quelques disciples de « l’enclos de la Loi » qui enfermait dans un tas d‘observances et dans la culpabilité. A leur tour, les disciples se sont élancés vers d’autres enclos. Trop souvent ils ont usé de violence, cherché le prestige alors que pour être de bons bergers, ils devaient devenir de doux agneaux.

Renversement inouï de la parabole : par amour, le berger se fait agneau immolé. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » : l’Agneau se fait Pain et se donne en nourriture à ses brebis pour les conduire vers la Maison du Père. Quel bonheur de découvrir comment nous sommes libérés, à quel point nous sommes aimés et de suivre le Berger à la rencontre du Père pour la Paix éternelle.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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