Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

4ème dimanche de l’Avent – Année A – 15 décembre 2019 – Évangile de Matthieu 11, 2-11

ÉVANGILE DE MATTHIEU 1, 18-24

NE CRAINS PAS DE PRENDRE MARIE

Marc, le premier évangéliste, commence d’emblée son récit avec l’apparition de Jean-Baptiste et Jésus, l’artisan de Nazareth qui se présente avec la foule. Dans les années 80, Matthieu évoque la naissance de Jésus en portant l’intérêt sur la figure de Joseph. Luc peu après le suivra, en éclairant surtout le personnage de Marie avec les scènes célèbres de l’Annonciation et de la creche de Bethléem.

LIVRE DE LA GENÈSE DE JESUS CHRIST, FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM

Tel est le titre réel que Matthieu donne à son livre: l’apparition de Jésus sur terre n’est pas un événement comme les autres. Il s’insère bien dans l’histoire, dans un arbre généalogique, mais il marque une “création”, la genèse, le renouvellement du monde.

Les sciences améliorent la situation de l’homme, la médecine cherche à le garder en bonne santé, la culture et les arts lui ouvrent la connaissance universelle, la religion lui offre des croyances et des rites, la morale lui propose un code de conduite, la politique aménage les conditions du vivre ensemble, l’amour l’épanouit. Mais Jésus Christ le recrée et donc donne sens à tout le reste.

Donc lire le livret de Matthieu, croire à son personnage, décider de lui faire confiance, c’est l’accepter comme Evangile, comme une Bonne Nouvelle qui recrée le lecteur.

Il faut donc corriger le début de la lecture liturgique et bien traduire ce que Matthieu répète: “Et voici quelle fut la genèse de Jésus Christ”. Elle se passa de façon toute simple et énigmatique.

JOSEPH LE JUSTE FOUDROYÉ

Alors qu’Israël était intégré dans l’immense Empire romain, on avait célébré avec joie, dans le petit village de Nazareth en Galilée, les noces de deux jeunes gens. Joseph est, dit-on, un très lointain descendant de la famille royale de David et exerce le métier de charpentier. De Marie, on ne dit rien. Selon les coutumes du temps, elle doit avoir environ 14-15 ans, âge où l’on marie les filles. De leurs apparences, leurs caractères, rien n’est dit.

Après la fête, la mariée est demeurée dans la maison de ses parents tandis que le jeune époux a charge pendant plusieurs mois d’acquérir et d’aménager la future maison du couple.
C’est alors qu’éclate l’inouï, l’impensable, le scandale.

“Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph. Or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit-Saint ! Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement: il décida de la répudier en secret”.

Le mariage a été public. S’il y a eu faute, la répudiation est obligatoire et ne peut être que publique. Mais seule Marie sait et c’est elle qui doit expliquer à son époux ce qui s’est passé. Là-dessus, le texte garde le secret mais, au lieu de dénoncer la coupable et de la livrer au terrible châtiment de l’adultère, Joseph accepte la confidence de Marie, dit Matthieu, parce qu’il est “juste”.

Dans la Bible, un juste n’est pas d’abord un homme équitable, intègre sur les partages et le droit, mais un homme “ajusté” à la volonté de Dieu, un homme qui en toute droiture cherche à connaître la volonté de Dieu et décide de s’y soumettre quoi qu’il lui en coûte. Joseph reçoit, sidéré, les confidences de Marie et il est absolument certain qu’elle ne lui ment pas. Il ne peut l’accuser de faute. Il ne lui reste plus qu’à s’effacer.

On ne voit pas bien ce que voudrait dire ”répudier en secret” sinon que, meurtri et déchiré dans son amour, Joseph prendrait la décision de fuir au loin. Mais c’est alors que Dieu intervient et l’homme juste va obéir.

L’Ange du Seigneur lui apparut en songe: “Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. L’enfant engendré en elle vient de l’Esprit-Saint, elle mettra au monde un fils auquel tu donneras le nom de Jésus (qui signifie “Dieu sauve”) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés”.

Dieu demande à Joseph d’être vraiment le père de cet enfant, d’assumer son rôle de père qui donne le nom à son fils, donc qui l’introduit de ce fait dans la descendance de David, et qui ensuite protège le foyer et subvient à tous les besoins de la petite famille.

AFIN QUE S’ACCOMPLIT LA PROPHÉTIE D’ISAÏE

Dans leur mission auprès des Juifs, les premiers chrétiens devaient absolument prouver que Jésus était le Messie et qu’il descendait de la famille royale de David.

C’est pourquoi Matthieu termine son récit en affirmant que “Tout cela arriva pour que s’accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète Isaïe”. Et il rappelle un épisode célèbre (lire Isaïe 7 – 1ère lecture)

Au 8ème siècle avant notre ère, les rois de Damas et de Samarie décidèrent d’attaquer la Judée qui refusait de prendre part à leur coalition antiassyrienne et de remplacer le roi descendant de David par leur candidat.

Le jeune roi Akab qui venait à peine de monter sur le trône de Jérusalem paniquait avec toute la ville devant la menace qui s’approchait.

Or tandis qu’il faisait une tournée de surveillance des nouvelles fortifications, Isaïe, accompagné de son fils, vint à sa rencontre et lui affirma qu’il pouvait chasser toute peur et dormir tranquille. Il l’assura : “ La jeune femme va enfanter et avant que le garçon ait atteint l’âge de raison, ces 2 armées ennemies seront dispersées. Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas”.

Le roi et la ville restaient sceptiques mais en effet la prophétie se réalisa: les ennemis furent en déroute, la reine eut un garçon et la dynastie davidique se prolongea.

De ce fait miraculeux, on fit un triomphe au don de prophétie d’Isaïe au point que la mémoire de cet événement devint la certitude d’un autre salut qui serait apporté. Plus tard une autre jeune femme sera enceinte, donnera un rejeton de David qui apportera le salut messianique.

Matthieu comprend ainsi que cette antique prophétie vient en effet de s’accomplir avec Jésus.

“La jeune femme”, Marie, a enfanté un petit garçon; il peut légitimement être appelé IESHOUAH- JESUS (équivalent de Josué) qui signifie “sauveur”. Mais le verbe est à prendre au sens le plus plénier du terme.

Jésus sauve de l’attaque la plus pernicieuse, celle du péché, laquelle paraît toujours avoir la force de nous submerger. Il ne sauve pas par l’emploi des armes mais par lui-même, par la miséricorde, en aimant jusqu’à donner sa vie sur la croix. Donc son salut n’est pas réservé à un peuple, à une circonstance, mais s’étend au monde entier, à l’univers.

En outre on pourra aussi le nommer EMMANUEL, ce qui en hébreu, veut dire “Dieu avec nous” car il ressuscitera et promettra de demeurer avec nous. Et c’est bien ainsi que Matthieu clôture son évangile:

Le Ressuscité apparaît à ses disciples et leur dit: “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc: parmi toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, JE SUIS AVEC VOUS (EMMANUEL) tous les jours jusqu’à la fin des temps” (28, 18)

Le fils de Marie est bien JESUS … LE SAUVEUR … EMMANUEL . “Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas”: l’avertissement d’Isaïe reste formel.

CONCLUSION

La Bible n’est pas un recueil d’histoires anciennes: elle est notre histoire, toujours en train de s’accomplir.  Ainsi ne sommes-nous pas devant l’Eglise comme Joseph devant Marie ?  Quelle est cette organisation qui prétend nous apporter le Sauveur du monde ? D’où tient-elle cette certitude ? Ne veut-elle pas nous tromper ? D’ailleurs cette Eglise n’a aucun droit de se dire intacte, intègre.

Nous, l’humanité, nous menons une guerre terrible contre le mal qui corrode notre santé, qui déclenche les forces d’envie, de jalousie, de cupidité, d’orgueil qui nous jettent les uns contre les autres dans des conflits terrifiants, et même transforment l’amour en haine. Nos échecs sont patents mais quand même nous progressons en sciences et en droits de l’homme. Pourquoi aurions-nous besoin d’un sauveur ?

“Joseph, ne crains pas de prendre Marie chez toi: elle te donnera Jésus”, l’enfant que tu ne peux faire mais que tu as à accueillir.

Les mets de choix et les vins exquis que nous allons consommer aux banquets des prochains jours de fête seront toujours impuissants à changer notre cœur. Et nos vœux si généreux soient-ils ne seront jamais que des souhaits impuissants.

Comme Joseph, sois juste à l’écoute de la Bonne Nouvelle, reçois la pauvre Hostie que te présente l’Eglise-Marie. Alors Noël ne sera plus le nom d’un père mythique mais l’avènement du sauveur de ta pauvre vie.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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