Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

4ème dimanche de Carême – 19 mars 2023 – Évangile de Jean 9, 1-41

Évangile de Jean 9, 1-41

Ah maintenant je vois !!

Les premiers évangiles racontent que Jésus annonçait la venue proche du Règne de Dieu et accomplissait quelques miracles, dont des guérisons d’aveugles. Quelques dizaines d’années plus tard, grâce à l’Esprit-Saint, la réflexion sur la personnalité de Jésus s’est approfondie : Jean a compris que ces faits passés étaient des « signes », des actions symboliques qui manifestaient toujours le salut apporté par le Seigneur Jésus. Ainsi le récit de Jean 9 « chef d’œuvre du récit dramatique de Jean » dit le grand exégète R. Brown.

Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogent : « Rabbi, pourquoi est-il aveugle ? Il a péché ou ses parents ? ». Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. Mais l’action de Dieu doit se manifester en lui. Il faut réaliser l’action de Celui qui m’a envoyé pendant qu’il fait clair car déjà la nuit approche. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Il cracha sur le sol et avec la salive il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle. « Va te laver à la piscine de Siloé, mot qui signifie Envoyé ). L’aveugle y alla, se lava et quand il revint il était guéri.

Qui sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Quel est le sens du monde ? Aucun homme ne le sait. De naissance, nous ne voyons pas, nous sommes aveugles. Ce n’est pas un péché, il n’y a pas de notre faute. Des philosophes, des savants tentent des réponses : elles sont approximatives, partielles, fausses. Mais au cœur de cette histoire obscure, apparaît l’homme Jésus. Avec la boue, il renvoie l’homme à sa condition native : « Tu es poussière… ». Il va le re-créer.

Mais il profère la prétention inouïe d’être « la Lumière du monde ». Cette affirmation nous stupéfie, nous paraît folle, nous n’osons y croire. Mais si nous faisons confiance à cette parole, si nous acceptons la plongée dans l’eau offerte par Jésus l’envoyé de Dieu – comprenons : si nous faisons la démarche du baptême – alors nous commençons le processus de guérison. Ce sera un rude chemin.

Les gens habitués à le rencontrer dirent : « N’est-ce pas le mendiant ? ». Les uns disaient : « En effet ». Les autres : « Pas du tout. C’est son sosie ». L’homme, lui, affirmait : « C’est bien moi ». On lui demandait : « Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? – L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue et m’a dit d’aller me laver à Siloé. Je suis allé, je me suis lavé et j’ai vu ! ». On lui demande : « Où est-il ? ». « Je ne sais pas ».

Un vrai converti ne change pas d’apparence mais il commence une transformation. La lumière vient dans son coeur : le monde n’est pas absurde, je puis y travailler, je découvre ma personnalité profonde, le sens de ma vie. « C’est bien moi » !!! « L‘homme ne se connaît que par Jésus-Christ » disait Pascal.

Mais du coup son entourage s’étonne : « Quel curieux changement ! Et où est-il ce Jésus ? ». La foi commence par une décision libre mais elle inaugure alors une recherche : tout n’est pas automatique, il ne suffit pas d’être inscrit sur un registre. Jésus a offert une aurore qui déclenche la recherche à tâtons de la pleine lumière. Ce n’est pas une théorie fulgurante ni une découverte scientifique mais une personne : Jésus. Sa découverte ne va pas sans de sérieux problèmes : après la stupeur, l’opposition se dresse.

On amène l’homme aux pharisiens. Car c’était un sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Ils l’interrogent : « Comment se fait-il que tu vois ? ». Il répond : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et maintenant je vois ». Certains pharisiens disaient : « Ce type n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». D’autres répliquaient : « Oui mais comment un pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ». Ainsi donc ils étaient divisés.

Quel scandale ! Si votre voisin aveugle revient guéri de Lourdes, naturellement vous sautez de joie, vous vous réjouissez avec lui, vous partagez son allégresse. Eh bien les adeptes d’une religion légaliste, eux, froncent les sourcils. La Loi est formelle : il est interdit de faire tout travail en sabbat, donc ce Jésus qui a malaxé de la terre  est un pécheur. Quelle idiotie ! Sous prétexte de sauver l’observance de la Loi, les pharisiens (en tout cas certains d’entre eux) en font un joug intolérable, un carcan, une prison.

Les pharisiens disent à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de Jésus ? ». Il répond : « C’est un prophète ». Ils ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle : ils convoquent ses parents : « Cet homme est-il bien votre fils ? Vous dites qu’il est né aveugle. Comment se fait-il qu’il voit ? ». Les parents répondent : « Oui c’est notre fils et il est né aveugle. Mais comment voit-il, nous ne savons pas non plus. interrogez-le : il est assez grand pour s’expliquer ».

Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet les Juifs s’étaient mis d’accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie. Voilà pourquoi les parents avaient dit : «  Il est assez grand : interrogez-le ».

On sait par les Actes des apôtres et les lettres de Paul que la conversion à Jésus scandalisait les autorités juives. L’hostilité grandit de plus en plus surtout après la défaite de l’an 70 et la destruction de Jérusalem et du temple : si bien qu’on en vint à interdire l’entrée dans les synagogues à ceux qui confessaient Jésus comme le Messie.

Comme c’est curieux : Jésus apporte la paix et l’amour et, en fait, il provoque la division. D’abord chez les voisins, puis chez les autorités, maintenant dans la famille. Mais ne l’avait-il pas annoncé : « On se dressera les uns contre les autres… » ?…La foi est une démarche tout à fait personnelle et elle doit s’attendre à être incomprise, à lézarder même les liens les plus chers. Le pauvre aveugle perd même l’appui de ses propres parents et est seul devant ses juges.

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquent l’homme : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. – Moi je sais une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois. – Comment a-t-il fait ? – Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre une seconde fois ? Vous voulez devenir ses disciples ? – Toi, tu es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse car Dieu lui a parlé. Celui-là nous ne savons pas d’où il est. – Voilà l’étonnant. Vous ne savez pas d’où il est et pourtant il m’a ouvert les yeux. Chacun sait que Dieu n’exauce pas les pécheurs mais seulement celui qui fait sa volonté ! Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire – Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance et tu nous fais la leçon ? ». Et ils le jetèrent dehors.

Les juges exigent du prévenu qu’il jure de dire toute la vérité et eux-mêmes affirment que de toutes façons leur opinion est faite : Jésus est un pécheur puisqu’il a « travaillé » en sabbat ! Et autre infamie : lorsque l’homme simple explique pourtant son raisonnement logique, ils l’enferment dans le mal : un handicapé est dans le péché. Et ils l’excluent. La lamentable scission Israël/Eglise se creuse !

Jésus apprit qu’ils l’avaient expulsé et il vient le trouver : « Crois-tu au Fils de l’homme ? – Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois, c’est lui qui te parle – Je crois, Seigneur ». Et il se prosterna devant lui.

Le baptisé, comme l’aveugle, a d’abord eu comme un appel et s’est présenté au baptême. Commençant à sortir de la nuit où il était plongé, il n’a cependant pas eu d’extase. Pas de présence sensible de ce mystérieux Jésus : au contraire la solitude, les interrogations, la méfiance, puis la lâcheté de ses parents et l’hostilité violente des juges. Mais ces épreuves l’ont mûri, ont approfondi sa foi pour pénétrer l’identité de Jésus : il est plus qu’un rabbi, un homme, un thérapeute doué, quelqu’un qui vient de Dieu, la Lumière qui éclaire la marche du monde : il est le mystérieux « Fils de l’homme » que le prophète Daniel annonçait, celui qui, à la fin des temps, devait venir dans la gloire de Dieu pour opérer le jugement définitif de l’humanité. Et c’est pourquoi l’aveugle se prosterne dans le geste d’adoration.

Alors Jésus déclara : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui voient puissent voir et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Des pharisiens entendirent ces paroles : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? – Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites « nous voyons », votre péché demeure ».

Attention : Jésus n’est pas un juge impitoyable qui comptabilise nos péchés sur un grand livre. Seigneur, Lumière divine, il connaît à fond les moindres secrets de nos histoires, il renverse nos propres jugements comme superficiels et faux. Et en outre il est la miséricorde divine en personne.

Ainsi pour lui l’aveugle-né n’est pas un pécheur et, au contraire ces pharisiens qui s’estimaient les modèles d’observances et de piété tout en excluant les handicapés du culte du temple, sont des fourbes, des hypocrites, des faux croyants. Ah s’ils reconnaissaient leur erreur !…Jésus leur offre la possibilité de changer mais s’ils s’enferrent dans leurs convictions : « Nous, nous savons », ils se condamnent eux-mêmes.

Conclusion

Oui cette page est un chef-d’œuvre à méditer longuement. L’homme ne naît pas pécheur mais aveugle sur son identité et son histoire. S’il consent, Jésus lui apporte la lumière : « Ah maintenant je vois ! ». Cette lumière est Quelqu’un : donc la foi est recherche, approfondissement.

Qui est donc ce Jésus ? Un homme, un rabbin, un guérisseur, un disparu, un pécheur (il enfreint la Loi), il provoque la division, l’hostilité….Enfin le baptisé « voit » : Jésus vient de Dieu…Il est Seigneur…le seul Juge authentique de l’humanité.

Dans une société qui, en pleine explosion des progrès, titube vers le précipice, voit-on des baptisés éclairés, heureux de l’être, pleins d’assurance afin d’accomplir leur mission essentielle ?…

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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