Évangile de Luc 24, 35 – 48
Tombe vide : Présence dans la Parole
Si tous les évangiles du temps pascal proviennent de Jean, celui d’aujourd’hui est un extrait du dernier chapitre de l’évangile de Luc. Pas plus que ses confrères, il ne raconte la résurrection de Jésus – tâche impossible -, mais quatre scènes qui se déroulent à Jérusalem et en une même journée : le lendemain du sabbat, donc le 3ème jour après la mort de Jésus en croix, donc le premier jour de la semaine.
L’Aube : Le Corps disparu : Désarroi
Dès l’aube, les femmes découvrent le tombeau vide. Elles s’encourent chez les apôtres et leur affirment que deux anges leur ont annoncé que Jésus est vivant, ressuscité comme il le leur avait dit naguère. Les hommes ne les croient pas et qualifient leur discours de « délire ». Pierre court à la tombe ouverte mais reste perplexe. La tombe ouverte et la disparition du corps ne constituent pas une « preuve » : on a pu subtiliser le corps la nuit afin de lancer la légende de la résurrection.
La journée : L’apparition à deux Disciples
Ce matin-là, deux disciples, abattus par l’échec de la croix, retournent chez eux. Un homme les rejoint qu’ils ne reconnaissent pas : ils lui racontent les derniers événements, le procès, la mort de Jésus et avouent que l’affirmation des femmes ne les a pas convaincus. Alors l’anonyme leur explique que les Écritures d’Israël parlaient de tout cela qui concernait Jésus. Lentement la lumière se rallume dans le cœur des deux disciples. Le soleil baisse quand ils approchent d’Emmaüs et ils invitent l’inconnu à demeurer dans leur maison. A table, étonnamment l’invité prend le pain, prononce la bénédiction, le rompt et leur donne leur part. C’est le choc : ils reconnaissent enfin Jésus mais il leur devient invisible. Hors d’eux-mêmes, les disciples refont la route inverse, retournent à Jérusalem, trouvent la communauté réunie qui leur annonce que le Seigneur (et non plus le prophète) est bien ressuscité et qu’il est apparu à Simon.
La soirée : L’apparition à la Communauté – Lecture de ce jour
Les deux disciples racontaient aux Onze et aux compagnons ce qui s’était passé et comment ils avaient reconnu le Seigneur à la fraction du pain quand Lui-même était là au milieu et il leur dit : « Shalôm – La Paix ».
Le Ressuscité est d’abord une présence d’emblée douce et bienveillante. Absolument pas l’apparition fulgurante d’un Tout-Puissant qui déchaîne sa colère contre des disciples qui l’ont lâchement abandonné aux mains de ses bourreaux. Mais un Seigneur de tendresse et de miséricorde qui offre la paix, la réconciliation, la plénitude de vie : « Shalôm ».
C’est bien le même Jésus qui a subi la crucifixion et qui est mort sur la croix. Les disciples seraient portés à voir en lui un fantôme, un esprit mais il insiste : « Regardez : c’est bien moi. Voyez mes plaies ». Elles sont les signes que le ressuscité est bien le même que le crucifié. Elles vous rappellent votre lâcheté : considérez-les désormais comme la source de votre pardon. Par amour, j’ai transformé la volonté criminelle de mes ennemis en don de moi-même pour que mon Père vous donne le pardon et la vie.
Cependant Luc insiste beaucoup sur l’immense difficulté à accueillir le Ressuscité et, à 7 reprises, il note les réactions incrédules des disciples : « ils étaient effrayés – remplis de crainte – ils pensaient voir un esprit – ils étaient troublés – ils se faisaient des tas d’objections – ils étaient encore incrédules – ils s’étonnaient … ». Néanmoins une « joie » nouvelle les envahissaient (24, 41). Devant leurs réticences, Jésus aurait même proposé de manger un morceau de poisson grillé devant eux : mais Luc est le seul évangéliste à pousser à ce point le réalisme du corps et d’ailleurs ce signe ne semble pas avoir plus d’effets que les autres.
Alors Jésus révèle à toute la communauté le chemin de la foi qu’il avait déjà expliqué aux disciples d’Emmaüs :
« Il déclara : rappelez-vous les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. ». Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures.
Dans son passé antique, Israël avait tout perdu – son indépendance, sa royauté, son temple, son sacerdoce – et il s’était toujours préservé en se forgeant autour de la Torah. Ce Livre est constitué de trois parties : la Torah proprement dite avec ses 5 livres attribués à Moïse, puis les oracles des Prophètes, et le recueil des Écrits divers, que l’on dénomme aussi « Psaumes » qui en est son premier élément. Ce Livre saint raconte l’histoire telle qu’elle est traversée par l’espérance du Messie, un roi qui sera envoyé par Dieu pour être l’unique acteur de la libération et de l’accomplissement de l’histoire. Le peuple était évidemment porté à rêver d’un Messie triomphant de tous les ennemis. Mais le Ressuscité rappelle d’autres oracles qu’on laissait de côté et qui annonçaient un tout autre Libérateur, tel l’étonnant Isaïe 53 « Il était méprisé, homme de douleurs…Or ce sont nos souffrances qu’il a portées. Dans ses plaies se trouve notre guérison. Il n’ouvre pas la bouche comme un agneau traîné à l’abattoir…Mais mon Serviteur verra une descendance car il s’est dépouillé jusqu’à la mort »
Le Ressuscité démontre que dans les trois parties de la Torah, on peut découvrir des oracles qui laissaient entrevoir une tout autre image du Messie et du salut du monde.
Ensuite, Jésus demande à ses disciples de se rappeler que, pendant le temps de mission avec lui, il leur avait, à bien des reprises, expliqué qu’il ne conduisait pas sa vie à sa guise mais qu’il n’enseignait et n’agissait que pour accomplir la volonté de son Père telle qu’elle lui était révélée par les Écritures. Combien de fois ne leur a-t-il pas dit : « Il faut que s’accomplisse ce qui est écrit de moi » ?.
Encore faut-il que le Ressuscité « ouvre l’intelligence pour comprendre les Écritures »( 24, 45). Le mystère pascal – Jésus est mort et ressuscité – est la lumière qui permet de relire toute l’histoire et d’en comprendre le sens. C’est pourquoi l’Église a greffé les Évangiles sur la Torah car ils en sont l’accomplissement plénier. Si bien que l’on ne peut comprendre en profondeur l’Évangile de Jésus qu’en relisant et en scrutant le livre d’Israël.
Pour l’Église, le Livre de la Nouvelle Alliance ( le Nouveau Testament) suit et termine le Livre de l’Ancienne Alliance ( l’Ancien Testament). Cette interprétation respecte évidemment la liberté du lecteur, elle ne s’impose pas.
Pâques : Le salut à annoncer au monde
Et Jésus leur dit : « C’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour. Et on prêchera en son Nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez d’en haut, revêtus de puissance »
La foi en la Pâque de Jésus ne peut rester une conviction privée, la dévotion d’une communauté religieuse puisqu’elle apporte le salut définitif aux hommes de tous pays. Donc la foi pascale devient message prêché c.à.d. proclamation annoncée en paroles, donc en toute liberté, à toute l’humanité. Israël a donné le Messie mais c’est un libérateur universel. Tous les hommes de toutes les nations, et jusqu’à la fin du monde, doivent entendre cette annonce qui peut provoquer la conversion – c.à.d. le renouveau des idées, le changement des comportements – et le pardon des péchés.
« Vous en êtes les témoins » déclare Jésus à ses disciples. Ce que vous avez entendu et vu de moi, ma mort en croix et mon état de ressuscité, vous devez à présent le raconter. Il s’agit de l’ultime message de Dieu, il y va de la justice et de la paix mondiales, de l’ultime révélation de Dieu et du Sauveur.
Tâche essentielle à laquelle les témoins doivent se vouer d’urgence et en s’y donnant totalement. Cette mission dépasse toutes les forces humaines et exige une force divine. C’est pourquoi, si la lecture de ce jour s’arrête ici, il faut poursuivre la suite : Jésus leur promet la venue prochaine de l’Esprit-Saint. Ce sera la Pentecôte qui commencera le second livre de Luc : les « Actes des Apôtres ».
La nuit : Le Corps disparu : Louange
« Il les emmena jusque Béthanie et il les bénit. Il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Ils se prosternèrent, retournèrent à Jérusalem, pleins de joie. Dans le Temple, sans cesse ils bénissaient Dieu »
Conclusion
La résurrection de Jésus n’est pas la prolongation de la vie d’un homme mort de maladie mais la transfiguration surnaturelle d’un condamné à mort, injustement, par les tribunaux religieux et politique. Jésus a été exécuté précisément parce qu’il ne voulait que dire et faire la volonté de Dieu de sauver les hommes. Ils l’ont rejeté et il a fait de ce rejet l’offre de leur pardon.
La foi reste un débat contre les doutes, mais elle est recherche à travers l’ensemble des Écritures où elle découvre la venue de ce Messie, Serviteur et Seigneur, dans l’histoire chaotique des hommes. Sur ce chemin de la vie, les croyants se rassemblent chaque premier jour de la semaine afin de reconnaître, « pleins de joie », leur Seigneur dans la fraction des paroles et du Pain. Alléluia !!
Fr. Raphaël Devillers, dominicain.