Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

3ème dimanche de l’Avent – Année A – 15 décembre 2019 – Évangile de Matthieu 11, 2-11

ÉVANGILE DE MATTHIEU 11, 2-11

ATTENDRE UN AUTRE SAUVEUR QUE JESUS ?

Combien d’enfants baptisés, portés par leur milieu, sont devenus des jeunes convaincus, membres enthousiastes de mouvements de jeunesse, engagés dans la pastorale paroissiale, assidus aux retraites et aux pèlerinages. Jusqu’à ce que la maturité, les études, les rencontres de penseurs incroyants, la lourdeur des institutions corrodent le bloc de leurs certitudes traditionnelles. Les questions les taraudent, souvent sans réponse: Le message chrétien est-il crédible ? Peut-on faire confiance à des Ecritures qui posent tellement d’interrogations ? Après 20 siècles et au coeur de la modernité, peut-on encore croire que Jésus est le Sauveur ? L’Eglise n’est-elle pas complètement déphasée ?

C’est ainsi que, en quelques dizaines d’années, dans tous les pays occidentaux, des millions de chrétiens sont devenus agnostiques sinon incroyants. La musique enjôleuse de la société élimine en eux tout souci d’une transcendance et les persuade que l’achat des choses offre un plaisir qui évacue le désir énigmatique du rachat des âmes.

C’est pour nous mettre en garde contre ces désillusions, pour nous ancrer dans une espérance qui subsiste même dans le mal, même en prison, que la liturgie nous donne l’exemple de Jean-Baptiste. Autrement dit: que signifie vraiment attendre la venue du Sauveur ?

Dimanche passé, nous écoutions ce jeune prophète qui, seul et voué à une pauvreté totale, haranguait les foules pour leur annoncer la Bonne Nouvelle: “Moi je ne peux que vous exhorter à changer de vie mais il va venir, celui qui est infiniment plus fort que moi: il vous introduira dans le Royaume de Dieu, il vous plongera dans la puissance de l’Esprit de Dieu. Dépêchez-vous de vous préparer car:

“Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres….Il tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas”.

UN MESSIE QUI NE CORRESPOND PAS A L’ATTENTE

L’évangile raconte ensuite qu’un certain Jésus de Nazareth vient se faire baptiser par Jean et, en secret, il subit le choc d’un appel de son Père: c’est lui l’anonyme annoncé par Jean. Il s’enfonce un temps dans la solitude et il décide d’accomplir sa mission en rejetant toutes les tentations de puissance.
Apprenant que Jean vient d’être arrêté sur ordre du roi, Jésus remonte dans la Galilée du nord et en effet il exerce sa mission. Mais de quelle façon ! Matthieu la résume comme ceci:

Jésus parcourait toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité” (4, 23)

Jean-Baptiste annonçait la fulgurance imminente de la moisson finale: Jésus se présente comme le semeur.
Jean faisait trembler en évoquant la cognée prête à tout abattre: Jésus parle de planter un minuscule grain de sénevé.
Jean évoquait l’extermination finale par le feu: Jésus avec douceur allume dans les coeurs la petite flamme des Béatitudes.

Quel contraste violent entre l’annonce du prophète et le comportement de Jésus !

L’EVANGILE DU JOUR : L’ANGOISSE DE JEAN.

Dans sa prison, Jean pressent que le moment de son exécution approche. Angoissé, il tourne et retourne la question: “Pourquoi Jésus que j’ai annoncé comme bien plus fort que moi n’intervient-il pas ? Pourquoi me laisse-t-il aller à la mort, moi qui ai été son maître ?”.

Et à l’occasion de la visite de quelques-uns de ses disciples, il les envoie d’urgence près de Jésus pour lui poser l’interrogation cruciale à laquelle Jésus répond de manière déconcertante:

Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? …

Jésus leur répondit: “Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres … Heureux celui qui ne sera pas scandalisé par moi”.

Donc Jésus assume bien la fonction de Messie Sauveur prévu par Jean mais il la réalise d’une manière très surprenante. Humilié depuis des siècles par des puissances étrangères, envahi par le paganisme, le peuple élu, Israël, était porté à imaginer la venue d’un Sauveur tout-puissant, déchaînant la colère divine contre ses ennemis, écrasant les impies et assurant le triomphe des fidèles dans un pays libre.

Or Jésus accomplit un messianisme discret. il montre son pouvoir sur le mal mais seulement par quelques rares signes de guérison. Il est réticent devant toute manifestation de puissance, il ne cherche jamais à s’imposer, il refuse absolument tout mouvement insurrectionnel contre l’armée romaine.

Jésus ne croit pas à la transformation politique, à l’affrontement par les armes, à l’usage de la violence. Mener un coup de force pour libérer le Baptiste n’amènerait qu’un bain de sang.

Son oeuvre fondamentale n’est ni guerrière ni médicinale. Il parle. Son arme, c’est la parole c’est-à-dire un moyen qui respecte la liberté de conscience et qui appelle tout auditeur à s’engager soi-même.

Jésus ne crée pas un monde de paix, de justice, de bonne santé: il promet le bonheur à ceux et celles qui le croient sur parole et qui s’engagent, derrière lui et comme lui, à transformer le monde.

“Heureux les pauvres en esprit qui écrasent leur orgueil. Heureux les doux qui ne sont plus obsédés par l’enrichissement. Heureux ceux qui renoncent à se venger et qui ont la force de pardonner. Heureux ceux qui construisent la paix avec la patience d’humbles artisans. Heureux même ceux qui souffrent à cause de moi”.

“La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres”. Elle n’est pas le paradis, le cadeau rêvé par les enfants irresponsables mais son commencement compris par les cœurs humbles et qui se veulent co-responsables.

Le Royaume est inauguré par Jésus mais c’est à nous à accepter d’y entrer et de prendre part à son expansion universelle.

“Heureux celui qui ne sera pas scandalisé”. Car ce Royaume prêché à de pauvres villages de Galilée et qui se présente sans éclat sera moqué, ridiculisé. Ce curieux “Messie” sera pour beaucoup incroyable. Surtout lorsqu’il sera arrêté, dénudé, flagellé, condamné et mis en croix. Mais alors, il sera donné à ses disciples ébahis de percevoir l’apparition furtive de la gloire du Royaume en ce même Jésus ressuscité. Car c’est l’amour qui s’authentifie par le don de soi jusqu’à la mort qui fait renaître l’homme dans la lumière de la Vérité et dans l’éclat de la Vie éternelle.

Il faut sortir de l’affrontement des forces. En ne guérissant que quelques corps, Jésus signifie qu’il vient surtout guérir les cœurs. C’est de la prison de la violence et du péché qu’il vient nous libérer. Il appelle tout homme à devenir enfant de Dieu.

GRANDEUR DU BAPTISTE

L’évangile se termine par le grand éloge de Jean. Il n’était pas un roseau qui plie au gré des opinions ni un prédicateur cupide. D’un courage intrépide, d’un dénuement total, il a reçu la mission unique d’être non seulement un grand prophète mais “le messager que Dieu a envoyé pour préparer les chemins du Messie”. En ce sens il est le plus grand des hommes.

Mais il n’a pas soupçonné le tournant radical que le messie Jésus allait apporter. Avec Jean la page de l’histoire se tourne et la nouvelle, l’ultime page va s’ouvrir avec Jésus. Relisez les lettres de Paul pour redécouvrir l’émerveillement de l’apôtre et des convertis de Salonique ou de Corinthe qui fêtaient la joie de vivre la grâce que la foi en Jésus leur apportait. “Vous n’êtes plus sous la Loi mais sous la grâce”. Pour Jésus on supportait coups, injures, prisons, mort.

CONCLUSION

Jean ne comprenait pas pourquoi Jésus ne venait pas le libérer de sa prison. A sa suite, et aujourd’hui encore, des chrétiens sont désemparés par les malheurs qui leur surviennent et la non intervention de celui que l’Eglise appelle “le Sauveur”.

L’histoire récente raconte les efforts gigantesques de la modernité pour ôter toute valeur à l’Evangile, pour prouver l’inanité du salut chrétien et présenter des héros et des puissances capables de réaliser enfin ce que l’Eglise a échoué à faire depuis 20 siècles. D’autre part une religion assure que Jésus n’a constitué qu’une étape et qu’il faut croire désormais à un autre qui apporte le salut définitif.

Des multitudes sont ébranlées par ces réflexions et s’interrogent: : “Jésus est-il le Messie que Dieu annonçait ou ne faut-il pas en attendre un autre ?”. Certains ajoutent même: “Il ne faut plus croire à ces mythes mais lutter avec courage et détermination”.
Jésus nous enjoint comme aux délégués du Baptiste: “ Allez rapporter ce que vous voyez et entendez”. Sommes-nous capables de raconter les signes qui témoignent de l’efficacité de la foi, de montrer pourquoi nous restons convaincus de la présence active et unique du Sauveur Ressuscité ?

Si nous restons bouche bée, les brebis éloignées ne reviendront pas.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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