Évangile de Marc 1, 14 – 20
Jésus proclame
Dimanche de la Parole de Dieu
Après un coup d’œil, dimanche passé, sur la version de Jean, nous reprenons le récit de Marc qui va nous conduire toute cette année. Retournons donc au point frontière du Jourdain. Jean-Baptiste continue de baptiser et d’appeler à la conversion des mœurs et il ne ménage pas son roi qui a eu l’impudence de prendre la femme de son frère. La riposte ne tarde pas : une escouade de soldats survient, Jean est jeté en prison et il n’en sortira pas vivant (6, 17). Pris de peur, les baptisés se dispersent et reprennent leur vie ordinaire.
Jésus, quant à lui, au lieu de retourner près de sa mère et de reprendre son métier à Nazareth, remonte dans sa province de Galilée : sa mission commence. Elle n’est plus celle d’un prophète mais celle de « Fils du Père ». Elle se place dans le sillage de celle du Baptiste mais elle est très différente.
Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu. Il disait : « Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».
Jésus ne se poste plus en un lieu lointain en attendant que les pèlerins viennent à lui, il a « passé » le fleuve pour entrer en Israël, il circule à travers les villes et villages autour du lac et il interpelle les gens dans leur milieu de vie : c’est bien au cœur du monde populaire que le Royaume vient.
Comme Jean, Jésus appelle aussi à la conversion mais désormais celle-ci n’est plus une décision d’ordre moral mais la conséquence d’une foi nouvelle. Tout homme est appelé à croire à l’annonce que Jésus proclame : la marche de l’histoire a atteint son sommet, les temps de préparation et d’attente sont arrivés à terme et le plus extraordinaire événement se prépare : Dieu va instaurer son règne sur terre. Telle est la nouvelle, la Bonne Nouvelle, l’Évangile.
A la suite de la Bible, l’Évangile n’est donc pas un livre qui propose une religion avec croyances, ascèse, méthodes de concentration et de prière, lieux et personnel sacrés, pratiques morales et rituelles. Il n’est pas fuite du monde, il n’est pas fin du monde mais annonce d’un monde autre. Que je ne découvre qu’en acceptant de croire à la parole de Jésus et de me convertir, ce qui ne signifie pas « faire pénitence et vaincre mes défauts » mais changer de fond en comble mes conceptions. Si souffrances, injustices, malheurs et mort continuent de survenir, quelque chose arrive : Dieu vient régner. Il ne s’agit pas d’une évidence, d’une preuve, mais d’une Bonne Nouvelle que Jésus proclame. Au cœur de notre nuit, le Veilleur annonce l’aurore.
« Jésus proclame ». Plus tard Marc dira qu’il « enseigne ». Deux modes de parole liés mais très différents et qu’il ne faut surtout pas confondre. Au temps de la chrétienté, dont nous vivons la fin interminable, l’Église est installée, l’Évangile se transmet en milieu familial, se raconte au catéchisme, s’explique en milieu scolaire. La pratique est presque une habitude héréditaire. Si bien que des multitudes sont catéchisées sans avoir été évangélisées. On vit une tradition sans avoir été secoué par une interpellation personnelle.
Au point de départ, raconte Marc, Jésus ne moralise pas, il ne ritualise pas, il ne menace pas, il n’institue pas, il ne théologise pas. Il est un passant qui, sans titre, sans attirail, sans prestige, va de village en village et, le cœur joyeux, l’air heureux, lance la Nouvelle inattendue, la Nouvelle qui est bonne puisqu’elle est promesse d’une jouissance inouïe. L’Évangile est interpellation personnelle et joyeuse et il doit le rester sous peine de verser dans les ornières de l’habitude, de la routine, de la mauvaise conscience.
Quelles réactions suscite cet inconnu à qui on demande son identité : « Je suis Iéshouah, charpentier à Nazareth ». A quel titre ose-t-il proclamer ce message ? N’est-il pas un utopiste, un rêveur, un illuminé ? Beaucoup sans doute demeurent sceptiques : tant d’illuminés ont lancé de fausses promesses. De quoi vit-il ? « De la charité que vous voudrez bien me faire …si vous voulez ». Car le Royaume commence quand on a pitié d’un pauvre, quand notre porte s’ouvre à l’hospitalité.
Marc va nous raconter que très vite le succès va venir et les foules vont accourir pour écouter le marcheur. On verra pour quelles raisons. Mais au préalable, il nous rapporte l’appel des premiers collaborateurs.
L’appel des quatre pêcheurs
Passant au bord du lac de Galilée, il vit Simon et son frère André en train de jeter leurs filets dans la mer : c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez derrière moi : je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ». Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent.
Un peu plus loin, Jésus vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean qui étaient dans leur barque et préparaient leurs filets. Aussitôt Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père avec les ouvriers, ils partirent derrière lui.
Jésus n’est pas un magnétiseur qui d’un claquement de doigt fascine des naïfs. L’évangile de Jean nous avait raconté qu’au Jourdain, une foule de jeunes débattaient de l’indépendance et du messie. Le Baptiste avait invité ses disciples à le quitter pour suivre Jésus. Les quatre jeunes avaient quand même repris leur métier : il faut bien vivre. Mais maintenant Jésus a vraiment entrepris la mission reçue de son Père et en contemplant ces jeunes pêcheurs, leur profession lui fournit une image de ce qu’il doit accomplir.
Il faut sauver les hommes qui se noient dans leurs chagrins, qui coulent dans la tristesse et le désespoir, qui s’abîment dans les profondeurs des haines et des guerres, qui sont emportés par les plus épouvantables des tsunamis, qui sont la proie des requins de la finance ou des pieuvres de la pub’.
Il faut permettre aux hommes de se dresser debout, de respirer, leur donner de l’air, de l’esprit, de l’Esprit de Dieu pour qu’ils vivent, se parlent, s’aiment, chantent et s’épanouissent.
Et il faut les rassembler en communauté. Non les enfermer dans les filets d’une idéologie, non les emprisonner dans les rets d’une dictature religieuse mais les mettre ensemble, leur offrir la communion en toute liberté.
Telle est la mission nécessaire, indispensable, urgente, universelle du Fils baptisé. Elle requiert la collaboration immédiate et totale de certains. Elle ne se réalise pas par une disposition innée, par le zèle, la bonne volonté, le dynamisme, les compétences. Jésus, seul, sait et il peut l’apprendre : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes ». Donc pour cela, il importe de suivre Jésus, l’observer, écouter ses enseignements. Tout l’évangile sera le récit de cet apprentissage. L’évangile est le manuel fondamental de la mission.
Simon-Pierre et Jean
En prêchant son évangile, Jésus appellera toujours à la conversion mais laissera chacun chargé de ses devoirs familiaux et exerçant ses obligations professionnelles dans son milieu. Toutefois ici et à quelques reprises plus tard, il invitera certains jeunes à s’engager directement avec lui et ils constitueront le groupe des 12 apôtres. Leur don d’eux-mêmes sera total, exigeant la rupture des liens familiaux et l’abandon du métier. Suivre Jésus, partager son itinérance, apprendre tous ses enseignements, étudier son comportement, prendre le risque de sa pauvreté : l’apostolat est un plein-temps radical. Mais ils ne demanderont à personne de les imiter.
Simon et André, les deux premiers, demeurent sur la rive du lac et lancent leur petit filet ; Jacques et Jean, eux, sont les fils d’un patron qui dirige une entreprise employant des ouvriers. Ils paraissent donc d’un milieu plus aisé. Néanmoins c’est Simon qui sera nommé Pierre par Jésus et deviendra le n° un du groupe. L’Église ne se constitue pas sur le modèle de la société hiérarchisée par les titres et la propriété.
S.O.S. … Urgent !
Je terminerai par une petite remarque sur le style de Marc. « Aussitôt il les appelle…Aussitôt ils laissent leurs filets ». Parcourez l’évangile de Marc et vous constaterez qu’il répète ce petit mot à 42 reprises – bien davantage que ses confrères qui pourtant sont bien plus longs que lui (Matthieu :7 x – Luc : 1 x – Jean : 3 x).
Tic de langage ? Surtout envie de nous persuader que la mission divine – inaugurée par Jésus et confiée ensuite à ses apôtres puis à tous ceux qui croient en lui puis à nous aujourd’hui – ne souffre aucun retard. Il ne s’agit pas d’un message religieux, culturel, humanitaire dont on peut discuter sans fin, quand on en a le temps, pour savoir si oui ou non on va faire quelque chose. Dans l’océan glauque et pervers où les hommes appellent désespérément au secours dans une atmosphère d’inquiétude, d’absurdité, de mensonge, de désespoir, où des jeunes se noient dans les fausses nouvelles, il est urgent que retentisse le message de la Parole de Dieu. D’autant plus qu’elle est tournée en dérision.
« Frères, je dois vous le dire : le temps est limité … La figure de ce monde passe …Je vous dis cela pour que vous fassiez ce qui est le mieux et que vous soyez attachés au Seigneur sans partage » (2ème lecture)
En ce « dimanche de la Parole », nous sommes heureux d’écouter aussitôt l’appel qui nous a délivrés de nos chaînes, nous goûtons l’honneur d’être appelés aussitôt à poursuivre la mission, nous nous mobilisons pour découvrir aussitôt de nouveaux moyens de sauver les hommes. Sous les masques il y a trop de tragédies et de larmes. Aussitôt il faut réagir, inventer, parler.
Frère Raphaël Devillers, dominicain