ÉVANGILE DE LUC 20, 27-38
IL EST LE DIEU DES VIVANTS
Après son passage chez Zachée à Jéricho, Jésus entreprend la longue montée à travers le désert de Juda (plus d’1 km de dénivellation) et atteint son but: Jérusalem, où les pèlerins commencent à affluer car dans quelques jours aura lieu la grande fête de la Pâque. Un groupe de disciples organise une joyeuse entrée: Jésus, descendant du roi David, ne serait-il pas le Messie attendu depuis si longtemps ? Jésus n’est pas dupe de ce succès: monté sur un âne, il manfeste qu’il n’a rien d’un sauveur belliqueux. D’ailleurs les Romains semblent l’avoir compris car ils n’interviennent pas.
Pour Jésus, le problème n’est pas à la caserne de Pilate mais bien au coeur de la religion, au temple, où il entreprend d’en chasser les marchands et les animaux: “ La Maison de Dieu doit être une maison de prière et non de commerce”.
Et tout en passant les nuits dans une cabane du mont des Oliviers, il s’installe tous ces jours-là sur l’esplanade du temple et il enseigne son Evangile.
LE CULTE COMMENCE PAR L’ECOUTE
C’est la Parole de Dieu, et non un marché, qui est la porte d’entrée du culte. A la suite des Prophètes, Jésus clame que Dieu n’attend pas des choses mais un peuple qui écoute ses volontés et les met en pratique. Un “pratiquant” n’est pas d’abord celui qui observe fidèlement tous les rites mais le croyant qui ouvre son coeur et obéit à ce que Dieu commande.
A une ville qui attendait l’insurrection armée, le châtiment terrifiant des pécheurs ou un coup d’éclat apocalyptique, Jésus essaie de faire entendre que la révolution messianique est, aujourd’hui, la conversion; que Dieu veut un culte moins solennel mais plus authentique. Il ne faut pas pontifier mais sans cesse annoncer, expliquer, détailler, actualiser la Parole qui a créé le monde et qui maintenant doit recréer l’humanité. Avant d’apporter des choses à Dieu, il faut lui apporter notre personne: avant de brûler l’encens, il faut avoir un coeur qui brûle d’amour.
Dans sa Maison, Dieu veut refaire l’homme. Le culte est l’atelier de la justice et de la paix.
Evidemment cette iniative intempestive d’un paysan qui n’est absolument pas qualifié pour remplir ce rôle ne peut qu’agacer, irriter, mettre en rage les autorités religieuses légitimes. On voudrait supprimer cet intrus mais on ne sait comment faire car tout le peuple “suspendu à ses lèvres, écoutait Jésus”” (19, 47) et n’accepterait pas qu’on l’arrête.
Alors Luc raconte que pendant tous ces jours, divers groupes d’adversaires se présentent et harcèlent Jésus de questions pièges afin de le dévaloriser devant le peuple.
Aujourd’hui nous écoutons la scène avec les Sadducéens conservateurs (seule fois où ils interviennent dans Luc)
RESURRECTION ?
Très longtemps, Israël n’a pas cru à la résurrection. Abraham, les Patriarches, Moïse, les Rois, les Prophètes, tous, après leur mort, descendaient dans une région lugubre, appelée “shéol”, où ils erraient, sans communication, comme des zombies. Cette perpective horrifiait Job: “ Quand l’homme expire, où donc est-il ?…Les gisants ne se relèveront pas…”.
Mais en 167 av.J.C., l’empereur syrien Antiochus Epiphane décida d’imposer à tous ses sujets l’unique religion grecque et déclencha une terrible persécution pour éradiquer la religion juive, son monothéisme et toutes ses pratiques. Des renégats cédèrent à la menace mais des justes fidèles, conduits par Judas Maccabée, menèrent une guerre de résistance. C’est dans ce contexte que pointa enfin la croyance en la résurrection: la justice de Dieu exigeait que les martyrs ne subissent pas le même destin fatal que les autres.
C’est alors que se répandit l’histoire des 7 frères et de leur mère héroïque qui acceptent le martyre (1ère lecture) :
“ Puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle…Mieux vaut mourir par la main des hommes quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, roi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie éternelle” ( 2 Macc 7)
Cette foi nouvelle va se propager en Israël, notamment grâce aux Pharisiens qui l’enseignaient, mais elle sera refusée par les hautes autorités du temple qui faisaient partie de la secte des Sadducéens. En effet pour eux la Loi de Dieu se trouvait dans les 5 premiers livres de la Bible, où on ne parlait pas de résurrection des morts.
Des Sadducéens s’approchent donc de Jésus et ils lui proposent une histoire pour ridiculiser cette croyance : une ancienne loi prescrivait au frère d’un défunt d’épouser la veuve que celui-ci avait laissée sans enfant (Deut 25, 5). Imaginons, disent-ils, le cas de 7 frères qui, l’un après l’autre, épousent une femme qui chaque fois demeure désespérément stérile. S’il y a résurrection, de qui donc à la fin sera-t-elle l’épouse ?
Jésus répond en deux temps.
D’abord il réplique qu’il est complètement absurde d’imaginer la vie ressuscitée comme le prolongement indéfini des conditions de vie d’ici-bas.
“Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas car ils ne peuvent plus mourir…Ils sont fils de Dieu, héritiers de la résurrection”.
Sur terre, le mariage et la reproduction constituent une lutte contre la tyrannie de la mort: ils n’ont plus lieu d’être lorsque celle-ci est définitivement vaincue.
Ensuite Jésus leur enseigne qu’il est bien question de vie nouvelle dans la Torah primitive. Lorsque Moïse, berger dans le Sinaï, s’entendit appeler du milieu du buisson ardent, Dieu lui dit:
“N’approche pas d’ici. Retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte”. Et il dit: “Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob”.
Et Jésus en conclut: “Donc il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants car tous sont vivants pour lui” (Ex 3, 6). Dieu est définitivement fidèle à l’Alliance avec ses élus: aussi la mort, adversaire de Dieu, ne peut rien contre cette fidélité.
LA RÉSURRECTION POMME DE DISCORDE
Dans les “Actes des Apôtres”, le tribun romain qui a fait arrêter Paul voudrait savoir pourquoi cet homme provoque un tel charivari dans le peuple. Il le fait comparaître devant le Sanhédrin:
“Sachant que l’assemblée était en partie sadducéenne et en partie pharisienne, Paul s’écria: “Frères, je suis Pharisien, fils de Pharisiens; c’est pour notre espérance, la résurrection des morts, que je suis en jugement”.
Cette déclaration était à peine achevée qu’un conflit s’éleva et l’assemblée se divisa. En effet les Sadducéens soutiennent qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit tandis que les Pharisiens en professent la réalité. Ce fut un beau tapage. Des scribes du parti pharisien protestèrent énergiquement: “Nous ne trouvons rien à reprocher à cet homme”……On fit remettre Paul en prison… La nuit suivante, le Seigneur se présenta à Paul et lui dit: “Courage ! Tu viens de rendre témoignage à ma cause à Jérusalem. Il faut que tu témoignes aussi à Rome” ( Ac 22)
CONCLUSION
Il fallut des siècles pour que Israël admette la foi en la résurrection (Aujourd’hui le grand Docteur Maïmonide l’a déclarée article fondamental de la foi). Et Paul se heurta au même scepticisme dans ses communautés: on le voit déjà dans la 1ère Lettre conservée qui doit dater de l’an 51:
“Nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet des morts afin que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les autres qui n’ont pas d’espérance. Si nous croyons que Jésus est mort et est ressuscité, de même aussi ceux qui sont morts, Dieu les ramènera par Jésus et avec lui …Ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Réconfortez-vous donc les uns les autres par cet enseignement” (1 Thessal. 4, 13).
En tout cas, la scène lue ce dimanche montre que pour Jésus, il s’agissait d’une foi absolue, d’un roc qui lui donnait toute assurance. Non pour s’évader dans un vague espoir possible, non pour supprimer la peur atroce devant la mort. Mais pour continuer publiquement à annoncer cette Bonne Nouvelle devant ceux-là même qui voulaient sa mort. Et d’agir en dépit de la contradiction et du danger.
Avons-nous le courage de ce témoignage ?
Frère Raphaël Devillers, dominicain