Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

32ème Dimanche – Année A – 8 novembre 2020 – Évangile de Matthieu 25, 1-13

Évangile de Matthieu 25, 1-13

Tenir dans la Durée

La fête de la Toussaint a ravivé notre espérance : la sainteté est notre accomplissement, elle est accessible à tous dans le quotidien le plus simple, en marchant sur le chemin des béatitudes. Mais avouons que cette espérance ne va pas de soi : tant de malheurs dans l’humanité, tant de menaces sur le monde, tant d’échecs dans notre vie ! D’où notre intérêt de reprendre la suite de l’évangile de Matthieu qui, en ces trois derniers dimanches de l’année liturgique, nous apprend à tenir dans la durée. Resituons la scène.

Pendant plusieurs jours, sur l’esplanade du temple, Jésus a enseigné, répété son message. La foule l’écoutait mais ne demandait que la santé et guettait une révélation fulgurante du messie ; les responsables religieux le criblaient de questions sans parvenir à le prendre en tort ; les Romains sur le qui-vive se tenaient prêts à réprimer dans le sang toute insurrection de cette ville surpeuplée.

Deux jours avant la Pâque, Jésus sort du temple : c’est fini, sa parole a échoué et il est triste : « Ah Jérusalem, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants et vous n’avez pas voulu ! ». Et comme ses disciples béent d’admiration devant la splendeur de l’édifice sacré, il les emmène au mont des Oliviers afin de leur livrer son ultime enseignement. C’est son 5ème grand discours dans les chapitres 24 et 25 de Matthieu, son testament, car tout de suite après, le mécanisme de la passion va se déclencher.

Que dit-il ? Ses ennemis vont obtenir sa mort mais l’histoire va se poursuivre : des faux messies apparaîtront, des catastrophes surviendront, les disciples seront persécutés, un jour Jérusalem et son temple seront ravagés. En effet, après plus de 100 ans d’occupation romaine, la révolte éclatera et tout finira dans les ruines en l’an 70. (Matthieu peut le raconter puisqu’il rédige son évangile dans les années 80).

Toutefois le monde ne divaguera pas dans l’absurde jusqu’à son effondrement : le Messie venu en humilité et rejeté sur la croix viendra dans la gloire. La prophétie de Daniel (7, 13) s’accomplira : « Le Fils de l’homme viendra dans la gloire, comme un éclair, il rassemblera les élus et un tri sera effectué». Quand viendra-t-il ? Personne ne le sait. Le jour et l’heure restent à jamais inconnus.

C’est pourquoi Jésus nous exhorte à l’attitude essentielle qui nous permettra de tenir : la vigilance : « Veillez ! Tenez-vous prêts ». C’est l’ultime facette de son enseignement et elle est impérieusement requise. Qu’est-ce donc que cette vigilance chrétienne ? Jésus nous l’explique par plusieurs paraboles. Voici la 3ème.

La Parabole des dix jeunes filles

Alors il en ira du Royaume de Dieu comme de dix jeunes filles qui sortirent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées : elles n’avaient pas emporté d’huile. Cinq étaient avisées : avec leurs lampes elles avaient pris de l’huile dans des fioles. Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent.


« Alors » désigne donc le mystérieux moment de la fin, lorsque le Royaume inauguré sur terre par Jésus et sa Pâque aura atteint la plénitude de son développement. « Alors » l’union de Dieu dans le corps humain de Jésus aboutira à l’union du Fils dans le corps de l’humanité – union amoureuse telle qu’on peut la comparer à un mariage. Mais quand donc sonnera cet « alors » ?

Après la résurrection, certains disciples croyaient que le Seigneur allait revenir assez rapidement mais il leur fallut vite déchanter. Les années passaient, les persécutions se poursuivaient : il fallut admettre que l’échéance était reportée pour un temps indéfini. Beaucoup étaient « avisés », ils comprenaient que la mission allait durer pendant des siècles, ils tenaient bon, ils s’accrochaient à l’espérance. Hélas certains se lassaient d’attendre, leur patience s’étiolait, ils se laissaient reprendre par les occupations ordinaires, par les soucis du quotidien et la foi devenait un souvenir de jeunesse sans influence sur leur façon de vivre. Ces « insensés » n’avaient plus le sens de la vigilance : la flamme de l’espérance était éteinte.

La fin du sermon sur la montagne avait déjà évoqué ces deux catégories de disciples. D’un côté « les avisés » qui écoutent l’enseignement de Jésus et se décident à le mettre en pratique ; et de l’autre côté les « insensés » qui écoutent la Parole et même qui l’admirent mais sans qu’elle inspire leurs décisions ni qu’elle marque leur style de vie. Les premiers, sages, sont comme des hommes qui bâtissent une maison sur le roc donc qui résiste aux tempêtes ; les seconds, fous, bâtissent sur le sable et les épreuves abattent leur construction (7, 24)

Au milieu de la nuit, un cri retentit : « Voici l’époux : sortez à sa rencontre ».
Toutes les filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. Les insensées dirent aux autres : « Donnez-nous de votre huile car nos lampes s’éteignent ». Les avisées répondirent : « Certes pas, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous. Allez plutôt en acheter chez les marchands ». Pendant qu’elles partaient, l’époux arriva : les avisées qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle de noces et l’on ferma la porte.

Finalement les autres revinrent et dirent : « Seigneur, Seigneur ouvre-nous ! ». Mais il répondit : « En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas ».
Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure.

Jésus n’a pas menti, les apôtres ne nous ont pas leurré en nous promettant le retour glorieux du Christ. Ce n’est pas son caprice, c’est la résistance terrible du péché et notre manque d’élan missionnaire qui ont provoqué ce « retard ». Mais à coup sûr il viendra. « En pleine nuit » c.à.d. lorsque la nuit sur l’humanité sera la plus opaque, alors que les tentatives gigantesques de nos sciences et de nos techniques ne seront pas parvenues à nous apporter la lumière de la vérité. « Un cri » soudain. Remarquons qu’ici, comme dans toutes les paraboles sur la vigilance, aucun signe ne sera donné pour nous alerter, pour nous permettre de réajuster les failles de notre vie, pour prendre les décisions que nous reportions pour « plus tard ». Maintenant c’est trop tard. Il n’y a plus de temps, plus de délai.

C’est ce que signifie sans doute ce dur refus des filles avisées qui nous scandalisent en ne voulant pas partager leurs provisions. Le temps du partage, des exhortations, des décisions, de la conversion n’est plus. Nous sommes ce que nous avons accepté de devenir. Ceux et celles qui restaient ouverts à un avenir de grâce, qui continuaient d’attendre le Messie sauveur. Et ceux et celles qui s’étaient enfermés en eux-mêmes, qui n’espéraient plus que le Seigneur apporte la guérison de leurs fautes, la vérité dans leurs ténèbres.

Heureux ceux qui attendent, qui ne se résignent pas à la dégradation du monde. Comme tout le monde, « ils s’endorment » souvent, ils se laissent dériver par la mentalité ambiante, ils ne parviennent pas à chasser la nuit de leurs péchés. Mais au fond ils restent sûrs que le Messie viendra, ils maintiennent « une provision d’huile » afin de rallumer la flamme de leur cœur éteinte par les vents du monde pervers.

Conclusions

La promesse de la venue du Seigneur Jésus résonne comme une affirmation essentielle de la foi.

Elle nous affirme que l’histoire ne se réduit pas à une succession d’événements guidés par le hasard et la nécessité.

Rendus forts par la foi, animés par l’amour, blessés par nos fautes, nous sommes portés par l’espérance.

Tous les calculs, toutes les suppositions pour prédire la fin des temps sont perte de temps.

L’invitation aux noces de l’agneau est la certitude de la victoire finale de l’amour

La vigilance chrétienne n’est pas anxiété, peur apocalyptique, angoisse, panique. Certitude de la victoire de la lumière et de la vérité, elle est confiance.

Elle n’est pas résignation, dédain de la réalité, mépris du monde dans l’attente du Royaume mais elle est dévouement, service, sollicitude pour travailler au salut du monde que Dieu aime tant (Jean 3, 16)

Elle est ouverture de la porte du cœur à Dieu et aux démunis dans l’espérance de la porte ouverte des Noces.

La Bible s’achève avec le magnifique Livre de l’Apocalypse – qui ne signifie pas catastrophe et terreur mais « Révélation ». Et son mot ultime est un cri : « Viens Seigneur Jésus ! ».

Et à chaque Eucharistie, devant la présence sacramentelle du Messie, nous chantons :

« Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus ;
Nous célébrons ta Résurrection ;
Nous attendons ton Retour dans la Gloire »
 

Frère Raphaël Devillers, dominicain


Publié le

dans

par

Étiquettes :