Évangile de Jean 20, 19-31
Croire pour Vivre
Comment une nouvelle aussi incroyable que la résurrection d’un crucifié dont on a bien constaté la mort a-t-elle pu être admise et se soit répandue avec une telle rapidité dans un monde qui n’avait pas notre système de communications ? Déjà en 51 (20 ans après la mort de Jésus), Paul, de retour à Corinthe, s’émerveille de la foi des Thessaloniciens qui croient en Jésus mort pour le pardon des péchés, ressuscité, Seigneur, Messie qui reviendra pour le jugement final. Tous partagent la joie de la Bonne Nouvelle et acceptent de souffrir pour l’Evangile. En 64, à Rome, l’empereur Néron fait brûler les chrétiens comme des torches.
Pourtant il semblait si aberrant d’accepter pareille information ! N’était-ce pas une fabulation des disciples déçus par la disparition de leur maître ? Oui mais dans ce cas, pourquoi l’avaient-ils inventée ? Dès le début ils furent critiqués, menés au tribunal, flagellés, mis à mort. Leurs familles se déchiraient, ils étaient rejetés des synagogues, surveillés par les Romains qui craignaient une insurrection.
Et en relisant les Actes puis les Lettres suivantes des apôtres, il est tout aussi stupéfiant de constater à quelle vitesse le mystère de Jésus s’est déployé : il n’était pas un prophète condamné et revenu à la vie.
« Jésus, de condition divine, s’est dépouillé…devenant obéissant jusqu’à la mort sur une croix…Et Dieu l’a élevé afin que toute langue proclame que le Seigneur, c’est Jésus-Christ » (Phil 2,06) …
« Vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Gal 3, 28)…
« Dieu a voulu réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ » (Eph 1, 10)…
Jusqu’ à l’Apocalypse qui se termine par l’appel : « Amen, viens, Seigneur Jésus » (22, 20).
Pour nous faire comprendre comment parvenir à croire sans voir, Jean termine son évangile par le célèbre épisode de Thomas. Celui-ci est le prototype des multitudes infinies qui, comme nous, n’ont pas bénéficié d’une apparition : comment nous instruit-il encore aujourd’hui ?
Le Ressuscité retrouve son Eglise
C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint et il était là au milieu d’eux.
Complètement sidérés par ce qu’ils viennent de vivre et qui était à mille lieux de ce qu’ils auraient jamais pu imaginer, les disciples cependant ne se sont pas dispersés dans la nature. Ils se sont rassemblés dans une maison, toutes portes closes, la peur au ventre car ils soupçonnent que les autorités sont à leur recherche. Tout à coup le Maitre est présent au milieu d’eux. Pas de fulgurance. Mais c’est bien lui. Il n’était pas là, il n’est pas leur fabrication, il est au milieu. Il devient leur milieu.
Il leur dit : « La paix avec vous » et il montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Il leur dit : « La paix avec vous. De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Ayant ainsi parlé il répandit sur eux son souffle : « Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ».
Celui qui n’a pas vu
Thomas, un des douze, n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! ». Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous et la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient dans la maison et Thomas était avec eux ; Jésus vient, toutes portes closes, il était là au milieu d’eux ; il dit : « La paix avec vous ». Il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule mais croyant. Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Jésus lui dit : « Parce que tu m’a vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».
Remarquons que, à la différence du tableau du Caravage, il n’est pas dit que Thomas a touché les plaies : il les a vues et il a cru. Jésus lui reproche son incrédulité : il aurait dû faire confiance à l’affirmation unanime de ses confrères. Comment donc cet épisode nous apprend-il à être heureux de croire sans voir ?
Depuis longtemps peut-être, vous avez abandonné la pratique chrétienne inculquée dès votre jeune âge : comme la majorité aujourd’hui vous avez estimé que c’était une histoire dépassé. Et voilà que curieusement la question de la foi peu à peu vous interpelle : la figure de Jésus est tellement belle, son message si évidemment vrai. Mais vous achoppez sur la fin : comment accepter la résurrection ? Que vous apprend Thomas ? Bardé de vos réticences et de vos refus, osez rejoindre la communauté des pratiquants du dimanche. Car saint Jean insiste fortement sur ces conditions.
Les discussions de Thomas avec ses collègues ayant échoué, ils lui ont prescrit de rejoindre la communauté, qui se réunit dans un local le premier jour de la semaine. Donc dès le début, les chrétiens, qui étaient en majorité des Juifs célébrant le sabbat, ont effectué une révolution. Pour eux désormais, puisque Jésus était apparu le lendemain du sabbat, c’est donc en ce jour qu’il fallait se retrouver pour l’accueillir et ils l’appelèrent « domenica dies » qui donna le mot « dimanche ». Pour nous chrétiens, le week-end est vendredi-samedi. Et le dimanche inaugure la semaine nouvelle. Comme une nouvelle création : « Que la lumière soit : premer jour ».
Et qu’a vu Thomas ? Ses collègues auraient pu craindre de subir un terrible châtiment puisqu’ils venaient d’abandonner lâchement Jésus et même de le renier. Mais voilà qu’il leur était présent et leur montrait ses plaies : son horrible crucifixion étaient la source de son pardon. « Shalom …et il leur montra ses plaies ». Il ne les obligeait même pas à lui demander pardon. Leur honte d‘avoir péché se muait en ravissement du pardon immérité. D’un coup la miséricorde infinie les renouvelait, les re-suscitait. Les endeuillés sautaient de joie !!
Comme Dieu avait soufflé sur Adam et Eve pour les rendre vivants, le Seigneur Jésus maintenant envoyait son souffle sur les apôtres. Il ne fallait plus attendre des apparitions sporadiques mais être habités par l’Esprit-Saint. Non pour jouir d’une présence mais pour être emportés dans le monde, à destination de tous les hommes afin de leur offrir ce même don de l’Esprit qui les pardonnait. A condition évidemment qu’ils acceptent ce don, car il n’y a pas d’automatisme du salut : Dieu respecte notre liberté qui va jusqu’à pouvoir refuser Dieu !
Ainsi l’humanité qui avait été, par la création, soufflée hors de Dieu et qui avait péché, commence son retour à lui. Car il n’’y a qu’une mission : le Père envoie le Fils qui envoie l’Esprit sur quelques hommes et femmes afin qu’eux-mêmes envoient cet Esprit. La foi est un privilège mais qui impose un devoir. L’histoire est spirituellement l’expansion de l’Amour à tous les peuples. Si les hommes restent tentés de se déchirer et de se combattre, les chrétiens sont tenus de s’immiscer dans tous les milieux afin d’apporter la Paix.
Ne répliquons pas que nous sommes pécheurs donc incapables. Pierre, Thomas et les autres l’étaient avant nous. C’est pourquoi il n’est pas normal de commencer nos messes avec toutes ces répétitions : « Je confesse…Prends pitié… ». Elles restent inefficaces puisque nos assemblées ne montrent pas qu’elles sont transfigurées par la joie. La piété ne consiste pas à prendre un air compassé de carême.
Fin et But de l’Evangile
Les dernières lignes, essentielles, de ce chapitre 20 constituent la conclusion de l’évangile de Jean car le chapitre 21 est manifestement une addition de certains disciples.
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence de ses disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Jean ne se prétend pas un historien, il ne raconte pas la vie de Jésus. Il est un de ses disciples qui témoigne de certaines paroles et activités de Jésus. Il a compris que ces faits étaient des « signes » qui dépassaient souverainement leur simple compte-rendu. C’est pourquoi seul un témoin qui a compris leur signification peut tenter de les mettre par écrit.
Jean a fait un choix, il n’a pas voulu raconter tout car il ne s’agit pas de connaître Jésus et de lire l’évangile avec curiosité comme on lit la vie d’un hommes célèbre.
L’enjeu en effet en énorme, il s’agit en toute liberté de conduire le lecteur afin qu’il découvre peu à peu la personnalité de l’homme de Nazareth qui s’est montré comme un prophète mais qui dépasse infiniment ce titre pour être confessé comme « Messie », « Fils de Dieu ». Ainsi de Thomas qui longtemps incrédule a fini par exprimer la plus haute confession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Parfois l’incrédule tenace monte plus loin que le pratiquant routinier.
Alors ce lecteur a la Vie éternelle. Et il est « heureux ».
— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.