Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

28ème dimanche – Année B – 10 octobre 2021 – Évangile de Marc 10, 17-30

Évangile de Marc 10, 17-30

L’Appel raté du Jeune Riche

En route vers Jérusalem, Jésus a fait un détour en Transjordanie, dans la région païenne du Pérée où il a enseigné l’interdiction du divorce comme obéissance au plan initial de la création divine. Puis il a invité à la confiance des enfants afin d’entrer dans le projet divin du Royaume à venir. Difficile équilibre entre le début et la fin de l’histoire mais condition de vie, de justice et de paix pour l’humanité.

Aujourd’hui Marc poursuit son récit en précisant: « Il sortit de là pour se remettre en route » – ce qui signifie sans doute qu’il repasse le Jourdain pour revenir en terre d’Israël. Après le rapport entre l’homme et la femme, puis celui des adultes à l’enfant, un jeune Juif va lui donner l’occasion d’aborder le 3ème rapport fondamental : celui aux biens de la terre et à l’argent.

« Un homme accourut vers lui, se mit à genoux et demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la Vie éternelle ? ». Jésus répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : ne commets pas de meurtre, ni d’adultère, ni de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère ».

Cet inconnu qui surgit tout à coup a dû écouter Jésus depuis un bout de temps et il le vénère comme un grand maître. Curieusement Jésus s’efface devant l’Unique Majesté de Dieu son Père. Puis il lui rappelle la Loi fondamentale, le Décalogue, dont il ne cite que la seconde partie, celle des relations au prochain. A la fin, comme s’il remarquait l’âge de son interlocuteur, il ajoute l’honneur dû aux parents (Matthieu le présente comme « un jeune homme » ; et Luc comme « un notable »).

« L’homme répond : « Maître, j’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse ». Posant son regard sur lui, Jésus se mit à l’aimer. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres (et tu auras un trésor dans le ciel), puis viens et suis-moi ».

Lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste…Car il avait de grands biens !

Le jeune et bon pratiquant devait connaître la réponse à la question qu’il posait puisque c’était l’enseignement fondamental que l’on ne cessait de répéter en Israël : pour aller au ciel, il faut vivre selon les commandements. Pourquoi donc est-il venu questionner Jésus à ce sujet ? C’est donc qu’il ressentait un manque. En écoutant Jésus, il avait commencé à pressentir que la vie selon des lois ne le comblait pas. L’enseignement de Jésus creusait en lui un appel à plus. « J’ai toujours vécu selon la Loi mais… ? ».

Jésus le regarde avec affection : il reconnaît en ce jeune l’attente qu’il avait naguère remarqué chez Simon, André, Jacques et Jean, les pêcheurs du lac qui n’étaient pas comblés par leur maître Jean-Baptiste et qui l’avaient quitté pour s’en aller derrière Jésus. A ce jeune inconnu plein de bonne volonté, en état de recherche, Jésus lance le même appel : « Va, vends, donne, viens, suis-moi ».

Cet appel au dépouillement radical est absolument personnel. Jésus est réaliste : il sait que la grosse majorité des gens qui l’écoutent sont mariés, parents, accablés de charges, soucieux de l’avenir de leurs enfants. La plupart se débattent durement pour maintenir leur modeste train de vie, payer leurs impôts…Il ne lui vient jamais à l’idée de les presser de tout lâcher pour lui. Mais Jésus sait que sa réussite messianique ne sera pas fulgurante, instantanée, définitive : il a besoin de successeurs qui le suivront à la lettre, qui vivront à sa manière, qui prolongeront sa mission tout au long de l’histoire, enseigneront, soigneront, exorciseront les forces du mal. Ils seront ses envoyés itinérants, ses « apôtres » qui, à leur tour, formeront des successeurs afin de porter l’évangile à toutes les nations. Notons que c’est l’unique « organisation » que Jésus a instituée pour son Église.

Ce jeune pourrait être l’un d’eux…mais l’appel apostolique radical exige le dépouillement, la rupture des liens même les plus légitimes, et l’abandon des biens privés. Or ce jeune en possédait beaucoup et il goûtait fort le plaisir d’être richement vécu, de satisfaire ses désirs, de faire de beaux voyages, de vivre dans une demeure luxueuse.

Lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste…Car il avait de grands biens !

Tout lâcher ? Non vraiment il n’en a pas la force. Jésus le regarde s’en aller sans rien faire pour l’amadouer et le raccrocher quad même. Ni sans le condamner – car il respecte toujours la liberté.

Le Danger général des Richesses

Alors Jésus regarde tout autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! ». Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprend : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! ». De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : «  Mais alors qui peut être sauvé ? ». Jésus les regarde et répond : « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu : car tout est possible à Dieu ».

L’argent n’est pas seulement l’obstacle qui fait avorter la vocation à l’apostolat, comme chez ce jeune, mais il est une puissance qui rend difficile l’entrée dans le Royaume de Dieu. Et l’image du chameau et de l’aiguille suggère même que c’est impossible.

Cette affirmation péremptoire stupéfie les disciples qui pensaient sans doute qu’une vie bonne devait au contraire attirer les bénédictions de Dieu. Ils auraient dû se rappeler que tandis que Moïse était aller chercher le Décalogue au sommet du Sinaï, le peuple avait organisé une fête autour du veau d’or (en fait l’effigie d’un jeune taureau fougueux plaquée or) : « Mangeons et buvons ». A cette vue Moïse avait brisé les Tables de la Loi. Le culte de l’or détruit la volonté de Dieu. On ne peut jouer sur les deux tableaux car la quête effrénée de l’argent entraîne orgueil, vanité, jalousie, mépris et mort du prochain puisque si les riches partageaient un peu mieux, il n’ y aurait plus de mort de famine.

Les disciples connaissent la nature humaine, l’attrait général de l’argent et ils interrogent: « En ce cas personne ne sera sauvé ». En effet, réplique Jésus, l’entrée dans le Royaume est au-dessus des forces humaines « mais tout est possible à Dieu ». Par la prière, l’homme peut perdre son pharisaïsme naturel, sa conviction de pouvoir s’accomplir par ses propres forces, il peut redevenir comme un enfant qui reconnaît son incapacité, qui sait qu’il n’a que ce que son Père lui donne, et que ce don doit être partagé fraternellement. Seul entre dans le Royaume celui qui se laisse convertir. « J’arriverai devant Dieu les mains vides ». (Ste Thérèse de Lisieux). « Tout est possible à Dieu » : par grâce, la porte nous reste entrebâillée.

Qui donne reçoit

« Pierre dit à Jésus : « Nous, nous avons tout quitté pour te suivre ». Jésus déclare : « Amen, je vous le dis : personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps-ci déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres…avec des persécutions…et, dans le monde à venir, la Vie éternelle ».

Celui qui, par attachement à Jésus et pour se consacrer à l’Évangile, abonnera tout recevra le centuple dès maintenant. Cela laisse entendre que les communautés chrétiennes se doivent d’être justement des communautés où l’on vit des relations familiales, où l’on offre au nouveau-venu hospitalité, accueil chaleureux, tendresse. Avouons qu’à présent nous sommes loin du compte : nos assemblées stagnent dans l’anonymat, on s’y connaît à peine, on n’ y pratique pas l’échange. La juxtaposition des piétés ne connaît pas l’intérêt pour le nouveau et le partage de l’Eucharistie ressemble peu à un repas fraternel et communautaire.

Remarquons que le converti retrouve tout ce à quoi il a renoncé…sauf « le père ». Car en effet, dans l’ensemble universel des communautés, dans l’Église, tous, anciens et nouveaux, ne trouvent qu’un même Père du ciel.

Cependant cette foi nouvelle qui les remplit de joie et les rassemble dans l’unité va immanquablement éveiller l’hostilité et déclencher des persécutions car la remise en question des idoles du monde, la volonté du partage, le refus de la violence, la foi en Jésus seront toujours pour le monde une proposition insupportable. Mais quelle joie unique d’entrer déjà dans le Royaume qui vient et de goûter la Vie éternelle !

Conclusions

Que l’attachement aux grands biens soit un obstacle qui empêche de répondre à l’appel de Jésus à la Vie, notre société ultra libérale nous en prouve la réalité. La 1ère lecture nous aide à réfléchir :

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de sagesse est venu sur moi. A côté d’elle j’ai tenu pour rien la richesse. Tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable. En face d’elle l’argent est regardé comme de la boue. J’ai aimé la sagesse plus que la santé et la beauté. Je l’ai choisie de préférence à la lumière parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle ».

Donc le point de départ, le levier, ce n’est pas la bonne volonté mais la prière instante afin d’obtenir la sagesse de Dieu, c.à.d. la révélation de la volonté de Dieu et la force de la pratiquer. Elle remet la richesse à son rang de moyen, elle brise le veau d’or.

Alors on comprend que la sagesse de Dieu est préférable à la santé, la beauté et la lumière. L’obéissance à la sagesse divine apporte tous les bienfaits de Dieu ».

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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