Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

25ème dimanche – Année B – 19 septembre 2021 – Évangile de Marc 9, 20-37

Évangile de Marc 9, 20-37

Le premier sera le dernier et le serviteur de tous

La réunion de Jésus avec ses apôtres près de la nouvelle cité hellénistique de Césarée a marqué, après son baptême, le second grand tournant de sa vie. Enfin, après bien des recherches, Pierre, au nom des Douze, proclame qu’ils sont arrivés à percevoir l’identité profonde de leur Maître : « Tu es le Messie », tu es bien le Oint de Dieu qui a mission d’accomplir le projet final de Dieu, d’instaurer son Royaume et de sauver le monde. Cette révélation étant enfin transmise, Jésus peut leur enseigner la décision qu’il a prise.

A la suite du long périple qu’ils viennent de réaliser au-delà des frontières d’Israël et au cours duquel il a montré beaucoup de bienveillance envers les païens, Jésus bouleverse ses ami : l’obstacle au projet de Dieu n’est pas dans la perversion païenne mais se trouve en plein cœur d’Israël. Je dois donc aller dénoncer le formalisme de la liturgie, l’hypocrisie des prélats, la dureté des scribes et pharisiens qui font peser sur le peuple le joug insupportable des prescriptions minutieuses, et où la pratique des sacrifices a remplacé l’amour tel que Dieu le veut.

Je sais que ces responsables ne m’accepteront pas, qu’ils me jugeront comme un dangereux blasphémateur : ils me feront souffrir et me mettront à mort. Mais je ne peux me taire, je dois accomplir ma mission jusqu’au bout. Je ne tombe pas dans un piège, je ne suis pas une victime inconsciente. Mon Père me rendra la vie que je vais donner pour lui et le pardon des hommes. Ainsi, par moi, puis ensuite par tous ceux qui voudront me suivre, s’accomplira le salut messianique.

Enseignement inattendu, incroyable, scandaleux. Le Messie qui meurt ?…Pierre se dresse devant Jésus mais celui-ci le rembarre tout sec : « Arrière, satan, tu vois les choses à la manière des hommes ». Et, d’un pas décidé, sans attendre de réponse, Jésus commence ce qu’on appelle « la montée vers Jérusalem ». Elle sera scandée par deux autres annonces de la Passion.

2ème Annonce de la Passion

Jésus traverse la Galilée avec ses disciples et il ne voulait pas qu’on le sache car il les instruisait en disant : « Le Fils de l’homme sera livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera ». Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.

On l’a dit : le mot « Messie » est un mot piégé car trop souvent pour le peuple il désigne une puissance qui agit avec fracas, écrase les ennemis d’Israël et offre sur le champ santé, bonheur et paix. Jésus ne refuse pas le titre mais en rejette toute fausse interprétation.

Dans cette 2ème annonce, Jésus se donne un autre titre, qu’il est seul à s’attribuer dans l’évangile. « Le Fils de l’homme » désigne un être humain, qui participe au sort commun ; mais aussi, chez le prophète Daniel, un homme mystérieux, comblé de la Gloire divine et que Dieu a élu pour accomplir le Jugement dernier (Dan 7). Ici les persécuteurs ne sont plus les autorités de Jérusalem mais « les hommes » comme si le Messie était promis à une hostilité universelle. « Il sera livré » comme naguère Jean-Baptiste l’a été.

La 1ère annonce avait provoqué l’opposition de Pierre : ici ce sont tous les disciples qui demeurent pantois, éberlués. Même l’annonce de la résurrection ne les rassure pas : ils ne comprennent pas du tout que le Sauveur aille à la mort. Et ils craignent de l’interroger : peut-être parce qu’ils pressentent que s’ils cherchaient à comprendre, ils se sentiraient condamnés à un tel destin. Pour l’instant ils en sont incapables : plus tard, avec l’Esprit, ils comprendront et accepteront d’être livrés et de donner leur vie.

Folie des Grandeurs ou Grandeur du Service

Ils arrivent à Capharnaüm ; une fois à la maison, Jésus leur demandait : «  De quoi discutiez-vous en chemin ? ». Ils se taisaient car, en route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand !

Selon la coutume, le maître en itinérance était suivi à quelque distance par ses disciples qui respectaient sa méditation. Mais cela n’a pas empêché Jésus de percevoir que, derrière lui, le ton montait, le vent lui apportait l’écho de ce qui semblait bien une échauffourée.

On fait étape à Capharnaüm et on entre dans la maison : Il s’agit probablement de la maison de Pierre et André qui avait été le centre de la première mission de Jésus (1, 29 ; 2, 1). En privé, car il ne veut pas humilier ses apôtres en public, Jésus, finaud, leur demande le sujet de leur discussion qui semblait tellement passionnée. Pris la main dans le sac, l’air penaud, les gars baissent la tête sans rien dire. Car les lourdauds restent persuadés que, suivant le Messie, ils vont vers Jérusalem donc vers le triomphe : il va y avoir de belles places à prendre. Ce pauvre pêcheur surnommé Pierre, convient-il comme leader avec sa tête de caillou ? Certains se croient bien plus capables que lui.

La course aux honneurs, la rivalité des égos, la vanité des titres et des accoutrements : passions éternelles ! Et si nous allions jeter un coup d’œil à la Curie ?…et à tous les lieux de pouvoir !

Le Petit au Centre

S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous ».

Prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit : «  Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a envoyé ».

Cette rivalité n’est pas chose anodine, comique : il s’agit d’une attitude grave, antiévangélique. C’est pourquoi Jésus «  s’assied » : il prend donc la posture du maître qui s’apprête à donner un enseignement d’importance et il s’adresse en priorité aux Douze, aux futurs responsables : à eux d’abord de pratiquer ce service et d’imposer ce style à toute l’Église. C’est bien d’avoir de l’ambition, de vaincre ses peurs, de s’engager au maximum…mais, évangéliquement, la volonté doit être de servir tous les autres, d’accepter de paraître le dernier.

Jésus enchaîne par une parabole en acte. Il appelle un des gamins qui jouaient dans la ruelle et le place au milieu du groupe. Aujourd’hui les enfants sont chéris sinon adulés mais dans l’antiquité il en allait tout autrement. Certes on les aimait mais l’éducation était rude sinon violente et, en tout cas, pas question qu’un petit, sans raison, se mêle aux adultes sérieux et responsables.

Jésus fait un geste très bouleversant en plaçant le petit au centre et en l’embrassant ; et il a une parole toute neuve et déconcertante. La foi dans un Messie serviteur oblige les disciples, et d’abord les responsables de communauté, à centrer leur attitude et leur organisation sur l’accueil du petit, du pauvre, de celui que l’on laisserait volontiers dehors pour « rester entre personnes sérieuses ». Et il faut s’y décider non par contrainte mais « de bon cœur »(signe du baiser).

Cesser de rivaliser pour les honneurs, mettre fin à toute vanité et tout carriérisme, se centrer sur la volonté de servir les petits, c’est s’assurer que du coup Jésus est présent. Et quand le Fils vient, son Père vient aussi.

Conclusions

Les annonces de la Passion permettent d’éviter toute interprétation masochiste de la croix : Jésus ne choisit pas un chemin de souffrance mais il décide d’écarter l’obstacle qui empêche la réalisation du projet de salut de son Père. Sa décision se fait en toute conscience : elle le conduira à la croix voulue par ceux qui ne veulent pas se convertir comme il l’exige. La déformation de la foi donc du Visage de Dieu est pire que sa négation puisque c’est elle qui, fréquemment, en est la cause. L’universalisme du messianisme est une lutte contre tout carcan, tout repli identitaire.

Il est normal que la foi suscite la formation de traditions humaines destinées à la soutenir. Mais il faut savoir discerner, comme Jésus, le moment de leur abandon car le temps entraîne l’évolution des mentalités. N’éternisons pas des pratiques temporaires. Ne plus faire comme « dans le bon vieux temps » n’est pas une décadence.

La centralité du petit ne signifie pas culte du « jeunisme »ni encore moins retour nostalgique à l’enfantillage mais pratique adulte de l’autorité sans rivalités mesquines.

Enfin il est très encourageant de voir que Jésus, qui bute sur l’incompréhension massive de ses collaborateurs, ne les rejette pas pour autant. Le Seigneur nous supporte pourvu que, avec nos balourdises, nos craintes, nos « idées d’hommes », nous demeurions avec lui. Seule, la victoire sur la mort ouvrira les cœurs.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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