Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

23ème dimanche – Année C – 4 septembre 2022 – Évangile de Luc 14, 25-33

Évangile de Luc 14, 25-33

Le Chemin de Jésus

Toutes les routes montant à Jérusalem se remplissaient de pèlerins tout heureux de se retrouver pour fêter la grande solennité de la Pâque qui approchait. Les Galiléens qui connaissent Jésus et ont vu ses miracles parlent de lui aux arrivants avec enthousiasme : n’est-ce pas lui le Messie attendu ? Va-t-il faire un coup d’éclat dans la capitale ?Allons-nous enfin retrouver la liberté ? Maintenant c’est une grande foule qui s’agglutine sur la route derrière lui en chantant son espérance.

Mais d’un mot Jésus va tenter d’anéantir leurs illusions. Peine perdue car à son entrée dans la capitale, ils acclameront encore « le roi fils de David ».

Renoncer à tout pour suivre Jésus

De grandes foules faisaient route avec Jésus.
il se retourna et leur dit :     « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. »

Terrible exigence. Impraticable, diront certains.

Déjà lorsque Jésus avait annoncé qu’il montait à Jérusalem mais qu’il y souffrirait beaucoup, il avait lancé à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car qui veut sauver sa vie la perdra mais qui perd sa vie à cause de moi la sauvera « (9,23).

Cela semble signifier que celui qui se décide à être disciple de Jésus doit persévérer même si sa famille le lui reproche et le presse de renoncer. Il peut arriver que la foi provoque des dissensions, des colères, des menaces. « Je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre…On se divisera père contre fils… « (12, 51)

Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

A la foule qui rêvait de victoire, de brandir des étendards, de jouer de la fanfare, Jésus annonce un tout autre programme. La foi sera contestée, les croyants s’attireront des moqueries, certains seront dénoncés et traduits au tribunal, d’autres verront leur carrière brisée..

L’essentiel sera donc de suivre Jésus. Non d’imiter à la lettre tout ce que l’on raconte de lui dans les évangiles mais de vouloir appliquer tous ses enseignements dans la vie. « Porter sa croix » ne veut pas dire s’infliger des souffrances mais accepter de porter avec courage les épreuves que le monde vous infligera. Les chemins seront variés ; la croix aura des formes différentes. Mais lorsque nous voyons notre société, comment imaginer une vie de foi sans croix ?

Deux Paraboles

Deux petites paraboles, que Luc est seul à raconter, invitent au discernement.

Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui :  ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’

Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix ».

Vous qui me suivez pour faire partie de la foule et parce que vous avez une idée fausse du messie, faites bien attention. Commencez par réfléchir, par bien prendre conscience des enjeux de l’engagement de la foi, des sacrifices auxquels il va falloir consentir, de la dureté du combat. Se proclamer pour Jésus par enthousiasme superficiel ou par imitation de la foule et puis se détourner vous attirera les sarcasmes. Bâtir sa vie jusqu’au bout pour Jésus et avec l’Évangile exige un engagement tenace. La vie chrétienne est une guerre : évaluez donc bien vos forces car elle ne cessera jamais.

La conclusion sonne comme une exigence radicale : un appel au renoncement total.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Tentation du masochisme

Devant ce passage qui nous impose les exigences les plus radicales et même tranche au coeur de nos relations les plus chères, le prédicateur hésite et il est tenté d’arrondir un peu les angles en parlant de la miséricorde du Seigneur, de l’infini de son pardon, de la douceur de l’Esprit. Mais aucune de ces réalités n’est évoquée ici.

Ce texte n’exagère pas car il insiste très fort sur l’attachement total que le disciple doit porter à la personne de son Seigneur et sur l’âpreté du combat qu’il faudra mener pour lui.

Mais il comporte un danger que l’histoire de l’Église révèle. La répétition intensive des mots intransigeants – « se renoncer…porter sa croix…cet homme ne peut pas être mon disciple… » a conduit certains esprits à des pratiques ascétiques excessives : Ste Rose « se livrait à des austérités effrayantes » dit son biographe : certains farfelus décidèrent de vivre au sommet d’une colonne (les stylites) ; la pratique de l’auto flagellation était courante dans certains ordres religieux… Les psychologues ont pointé le mépris de soi, l’obsession de la culpabilité, le prurit du scrupule, parfois du masochisme, on a même parlé de « La névrose chrétienne » (P. Solignac). Mais il n’y avait là que dérives faussement pieuses

Le jeune homme riche a été invité à quitter tous les siens et à renoncer à tous ses biens. Mais ce n’était qu’une invitation libre et son refus n’a pas été noté comme une condamnation. Tous les premiers documents (Actes, lettre d’apôtres) témoignent que les convertis demeuraient propriétaires tout en étant avertis sur le danger très grave de l’argent.

Seuls les membres de la communauté originelle de Jérusalem ont donné leurs biens selon les besoins. Mais c’est parce qu’ils se figuraient que le Messie allait revenir très bientôt. L’affaire a tourné à la faillite générale et Paul, et d’autres, ont dû quémander des secours aux communautés lointaines. Le procédé n’a plus été repris que dans les Ordres religieux.

Conclusion

La priorité essentielle est de découvrir et d’aimer la personne de Jésus dont le visage rayonne de manière extraordinaire dans les évangiles. Sa découverte devient une vocation, un appel à participer à son projet de recréer l’humanité : à la guérir du mal, à lui pardonner ses péchés qui sont à la racine de tous ses malheurs et à la rehausser dans la condition divine.

Ce projet inauguré par Jésus Seigneur se poursuit par la communauté de tous ceux qui croient en lui, qui lui font confiance. Cette Église est fondamentalement joyeuse car elle a reçu la Bonne Nouvelle et est chargée de la transmettre au monde entier.

Toutefois la résistance du mal est terrible : elle se déchaîne dans l’égoïsme, la haine, les conflits et elle s’immisce même au coeur de la religion. C’est pourquoi Jésus va souffrir, et tous ses disciples à sa suite. Ils ne chercheront pas les mortifications mais ils se heurteront à l’incrédulité, seront la cible de sarcasmes et d’injures. Jésus sera arrêté, condamné, crucifié.

Mais en menant à terme le dessein reçu de son Père, il en recevra la Vie éternelle. Comme son Maître, la souffrance du disciple sera le contrecoup de sa persévérance.

Certes sa faiblesse demeure et il n’est pas toujours à la hauteur de sa vocation. L’amour de Jésus le conduira à décider ce qui lui paraissait impossible. Comme son Seigneur à l’agonie, il dira : « Père, que cette coupe s’éloigne de moi !…. Mais que ta Volonté soit faite et non la mienne »

Fr Raphael Devillers, dominicain.


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