Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

22ème dimanche – Année C – 28 août 2022 – Évangile de Luc 14, 1-14

Évangile de Luc 14, 1-14

Une Invitation Agitée

Le mot « pharisien » a pris à tort le sens péjoratif de dévot hypocrite, d’homme sournois et cauteleux. Or ce mouvement est né chez des Juifs pieux attristés par le nombre de leurs compatriotes qui, séduits par la splendeur nouvelle de la civilisation gréco-romaine, abandonnaient les traditions religieuses de leur peuple. En réaction les pharisiens voulaient exhiber leurs appartenance à la Loi et se démarquaient par leurs pratiques pointilleuses – d’où leur nom qui signifie « séparés ».

Une des coutumes de leurs confréries était d’organiser un banquet chez l’un d’eux le vendredi soir, pour fêter l’entrée en sabbat et débattre de questions religieuses. Ce pouvait donc être l’occasion de mieux connaître ce Jésus qui semblait remettre en question ce qui leur paraissait essentiel. Luc rapporte trois invitations.

La première est bousculée par l’entrée intempestive d’une pécheresse en pleurs qui verse du parfum sur les pieds de Jésus qui lui souffle : « Tes péchés sont pardonnés ». Stupeur de l’assemblée ( 7,36)

Dans la deuxième, Jésus éclate en une violente colère : « Malheureux, vous les pharisiens qui purifiez l’extérieur mais pas l’intérieur ! Malheureux vous les scribes qui chargez les gens de fardeaux accablants mais vous vous en dispensez ! ». Évidemment dès la sortie de Jésus, la furie monte : « Ils s’acharnèrent contre lui et cherchaient des questions pour le piéger » (11,37)

La troisième est l’évangile de ce dimanche.

Le Repas chez un Chef Pharisien

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient.

L’invitation n’est pas franche et amicale : elle est l’occasion de poser des questions embarrassantes à Jésus afin d’épier ses réponses et en tirer arguments contre lui pour le dénoncer à la foule comme impie. Jésus, lui, n’est certainement pas dupe de la manœuvre mais il accepte le dialogue. Il continue patiemment à les fréquenter, et même à accepter leurs invitations. Mais il est hors de question de leur faire la moindre concession. On n’achète pas la vérité du message de l’Évangile par des banquets et des cadeaux.

La scène comporte quatre parties. La première, la guérison par Jésus d’un homme souffrant d’œdème, n’est pas racontée par la liturgie : les convives n’ont rien à rétorquer à un acte humanitaire qui semble enfreindre l’interdit du sabbat. Soigner l’homme dépasse les règlements.

Prendre les dernières Places

Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit :
 « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi.  Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place.
Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi.
 En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

Décidément cette envie vaniteuse de se pousser en avant et d’occuper les places d’honneur est un défaut qui énerve beaucoup le Seigneur. Déjà dans sa diatribe précédente, il avait lancé : «  Malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui aimez le premier siège dans les synagogues et les salutations sur les places publiques » (11, 43).

Et il avait bien dû constater que ses apôtres eux-mêmes n’en étaient pas indemnes : alors qu’il venait de leur annoncer qu’il allait être rejeté à Jérusalem et que tout disciple devait prendre sa croix, il les avait surpris en train de se quereller pour savoir qui était le plus grand (11, 34). « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous » avait-il répliqué en leur donnant l’exemple d’un enfant. Et sa mère n’avait-elle pas chanté Celui qui « jette les puissants bas de leurs trônes et élève les humbles » ?(Luc 1, 52)

Que le monde offre des titres ronflants et des trônes imposants, qu’il se prosterne devant des « sommités », que des malins jouent des coudes pour se pousser en avant, c’est leur affaire. Mais le plus affligeant, c’est de voir des Éminences ecclésiastiques faire de leur vocation une course poursuite aux titres, de faire des plans de carrière, de s’évaluer selon la longueur de leurs traînes et le nombre de leurs médailles.

La sentence finale dépasse la simple question de sagesse : C’est Dieu qui abaissera celui qui se gonfle, et qui élèvera l’humble piétiné par les autres.

Inviter les Pauvres

Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour.
Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ;  heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour.

Cela te sera rendu à la résurrection des justes. »

Jésus remarque que tous les convives appartiennent au même milieu : même style de vêtements, même culture. Entre gens qui se connaissent, il est normal qu’un donné appelle un rendu, un cadeau sollicite la réciproque, et les invitations s’alternent avec politesse. Ainsi on demeure entre soi et les relations sont très aisées.

Et voilà que Jésus suggère à son hôte une initiative impensable : inviter des pauvres. Ils seront tout à fait incapables de te rendre la pareille donc tu poseras un acte totalement gratuit, tu feras un cadeau sans restitution. Alors tu connaîtras le bonheur de Dieu car il te ressuscitera et t’invitera au banquet de la Vie éternelle avec tous les pauvres qui sont ses préférés.

Au premier coup d’œil, cette suggestion nous paraît peut-être farfelue, difficile à réaliser dans son absolu. Mais d’abord réfléchissons un peu :

  • Nourrir les affamés est une priorité absolue qui interroge les dépenses parfois exorbitantes de nos réceptions mondaines.
  • La charité ne peut se limiter à une pièce jetée rapidement dans un gobelet ni à une signature sur un chèque. Le pauvre est une personne : son besoin primaire, comme nous, est la relation humaine, le regard attentif, la parole bienveillante. Le pape François a souligné plusieurs fois l’insuffisance d’une charité anonyme.
  • En tout cas, la messe du dimanche devrait mettre en acte cet idéal. Très souvent nous nous y regroupons par affinités, parce que nous nous connaissons et faisons partie du même milieu. Il serait nécessaire que nous fassions sauter ces murs dans lesquels nous nous enfermons et que nous participions à un repas fraternel sans classe, tous accueillis par le même Amour, tous nourris de la même « portion » précisément pour accomplir la « communion » fraternelle qui était le but de la Croix.

La 4ème et dernière scène (14, 15-23) est omise par la liturgie.

Fr Raphael Devillers, dominicain.


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