Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

21ème dimanche – Année C – 21 août 2022 – Évangile de Luc 13, 22-30

Évangile de Luc 13, 22-30

Un Enseignement qui Choque

A 15 reprises dans son évangile, Luc note que Jésus « enseigne » : il s’agit donc de son activité principale. Cet enseignement ne se réduit ni à une instruction abstraite ni à une consolation onctueuse ni à des conseils d’une vague spiritualité. Et il bouscule fortement. Dès le début Jésus prêche dans la synagogue de son village Nazareth et il s’en fait exclure ; pendant ses derniers jours à Jérusalem, il s’installera dans le temple pour y « enseigner »et on fera tout pour le déstabiliser ; enfin les autorités du sanhédrin le livreront à Pilate en l’accusant de « soulever le peuple en enseignant dans toute la Judée à partir de la Galilée »(23,5). Cet enseignement est donc populaire mais jugé subversif. Or jamais Jésus ne se taira ni n’acceptera de l’édulcorer. Il lui vaudra la mort.

Aussi la question rebondit de ville en village : qui est cet artisan qui s’est fait prophète et qui opère des guérisons ? Est-il le Messie ? Est-il vrai qu’il va instaurer le royaume de Dieu ?…Partout Jésus allume le feu des débats, des enthousiasmes et des sarcasmes et on le crible de questions.

Y aura-t-il beaucoup de sauvés ?

En ce temps-là, tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant.
Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »

Cette question ne se pose-t-elle pas encore aujourd’hui ? A l’époque les maîtres lui donnaient des réponses très différentes. Certains affirmaient que tout le peuple d’Israël serait sauvé à cause de son élection et des mérites des Pères. D’autres au contraire estimaient que les infractions contre la Loi étaient telles que finalement seule une minorité d’Israël mériterait d’aller au ciel de Dieu. Quelqu’un demande à Jésus son avis sur cette question débattue mais il va refuser nettement d’entrer dans cette querelle d’écoles.

Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.

Comme toujours Jésus interpelle directement son auditoire. On n’a pas à spéculer sur des problèmes mais à s’engager soi-même, immédiatement et en urgence, pour changer de comportement et tout faire pour pouvoir entrer dans le Royaume. Car l’entrée ne va pas de soi, elle n’est pas automatique, la porte en est étroite, c.à.d. elle exige de durs efforts, des renoncements pénibles. Déjà les prophètes de la première Alliance tonitruaient contre les puissants et les orgueilleux qui se contentaient d’une piété superficielle, de rites hypocrites tout en acceptant l’exploitation des pauvres et le mépris du droit.

Le message de Jésus, on le voit bien dans l’Évangile, est lui aussi, et plus encore, intransigeant contre des conduites qui bafouent les volontés de Dieu. Certes la miséricorde de Dieu est infinie : encore faut-il la demander, donc prendre conscience de ses errements et décider de s’en corriger dès que possible.

Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’
Alors vous vous mettrez à dire : ‘Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.’
Il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.’

Le temps de la vie terrestre est celui des options et des changements possibles mais il a un terme. Celui qui s’est obstiné à faire le mal, à commettre l’injustice s’est rendu incapable d’entrer dans le Royaume, il s’est distancié du Seigneur, maître de la maison. Celui-ci n’est pas dur et implacable : c’est l’homme qui, de lui-même, s’est exclu.

Et il est vain de chercher des excuses : « Je connaissais et j’admirais l’évangile…Je participais aux liturgies… ». La connaissance de Jésus et de son évangile sont insuffisants : seule compte son application, sa mise en pratique. C’est la façon de vivre qui approche ou éloigne du Seigneur.

Le Royaume accessible à Israël et aux Nations

Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Des fils d’Israël – tels les grands patriarches, les prophètes et tant d’autres encore aujourd’hui – ont pratiqué la loi de justice et entreront dans le Royaume. Et ils y seront rejoints par des personnes de toutes les nations. Tout nationalisme, tout racisme, tout ritualisme superficiel sont supprimés dans le Royaume si mystérieux à définir et que Jésus évoque en reprenant l’image du banquet utilisé dans la Première Alliance :

« Le Seigneur de l’univers va donner sur cette montagne (Sion) un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux…Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples : il fera disparaître la mort pour toujours » (Isaïe 25, 6).

L’image du banquet signifie le don de la vie et de la joie partagées par le Seigneur avec ses élus venus des quatre coins du monde : avec le Messie cette Vie éliminera toute mort. Mais Jésus ne reprend pas la localisation à Sion / Jérusalem : le Royaume sera transcendant.

Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. 

Si bien que parmi les païens qui ont été appelés les derniers dans l’histoire, certains seront admis en masse dans ce Royaume ; et par contre, des enfants d’Israël qui avaient pourtant été appelés les premiers en seront exclus.

Accepter les reproches du Seigneur

Les parents et les enseignants le savent bien : l’amour qu’ils ont pour leurs jeunes les oblige parfois à secouer leur indolence, à les tancer pour leurs erreurs répétées. Ces reproches sont parfois durs, même violents mais ils sont nécessaires sur le chemin de l’éducation.

De même les curés de paroisse, pour être des bergers fidèles, ne peuvent pas gommer les passages plus durs des évangiles. On ne peut trahir la Parole de Dieu quand elle admoneste, on n’arrondit pas les angles de la Vérité quand elle impose des exigences nécessaires.

Nos défauts sont bien enracinés, ils sont lourds à vaincre : aussi nous souhaitons que l’on nous laisse tranquilles, que nos liturgies restent des moments de consolation paisible. Mais l’Évangile se meurt lorsque nous en faisons une boisson soft.

Certes sur le champ, nous sommes secoués, nous estimons que le prédicateur exagère. Certains paroissiens même divergent vers une autre paroisse où la prédication est doucereuse. Or le passage par la porte étroite exige des changements parfois radicaux. Le mode de vie prôné dans nos sociétés occidentales avec sa course effrénée vers les divertissements, la consommation , le gaspillage exacerbe l’égoïsme et mène à la destruction : tout le monde le reconnaît . A la suite de Jésus, nous devons être les prophètes d’une vie plus vraie et donc déjà plus heureuse. Il est normal que l’enseignement de l’Évangile nous secoue

Accepter les leçons du Seigneur

En terminant sa lettre, l’auteur de la « Lettre aux Hébreux » (2ème lecture de ce jour) expliquait déjà le bien fondé des remontrances :

Frères, vous avez oublié cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils : « Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches.  Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils » (citation de Prov. 3, 11).
    

Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice.


C’est pourquoi redressez les mains inertes et les genoux qui fléchissent, et rendez droits pour vos pieds les sentiers tortueux. Ainsi, celui qui boite ne se fera pas d’entorse ; bien plus, il sera guéri.

Fr Raphael Devillers, dominicain.


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