14ème dimanche – Année C – 3 juillet 2022 – Évangile de Luc 10, 1 – 20

Évangile de Luc 10, 1 – 20

L’envoi en Mission

Contrairement à Jean-Baptiste, son maître, et à tous les prophètes qui appelaient Israël à l’observance de la Loi et jetaient l’anathème contre les nations païennes, Jésus avait conscience d’être plus qu’un réformateur national et moral. Avec lui un événement majeur survenait, le dessein de Dieu commençait à s’accomplir pour l’humanité tout entière. Ce n’était pas la fulgurante apparition d’un nouveau monde, la fin du mal et des malheurs mais, par la foi en Jésus et la pratique de son enseignement, Dieu recréait l’humanité. L’Évangile est toujours en naissance : c’est vraiment et définitivement LA Bonne Nouvelle qu’il faut annoncer au monde entier. C’est pourquoi Luc qui avait rapporté l’envoi en mission des 12 apôtres rapporte maintenant celui des 72 disciples.

Consignes de Mission

Parmi les disciples le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre.

Selon une antique tradition (Gen 10), on estimait que tel était le nombre des nations du monde. Donc la mission s’adresse d’abord à Israël (12 tribus – 12 apôtres) puis à l’humanité (72 – disciples) comme on le voit dans les Actes des Apôtres. Transposons aujourd’hui : proposons le message aux croyants enlisés dans des pratiques vieillottes puis, s’ils refusent, cherchons d’autres auditoires plus ouverts à la situation actuelle. L’envoi se fait par paires parce que la Loi exigeait deux témoins et pour qu’ils se soutiennent mutuellement dans les moments difficiles. Dans les Actes, on verra Barnabé et Paul, Paul et Timothée…

Les missionnaires doivent prendre garde à se donner de l’importance : qu’ils n’oublient jamais qu’ils ne sont que des envoyés. Si grande soit l’admiration que leur valent leur courage et leur éloquence, c’est Jésus Seigneur qui doit venir là où ils travaillent. Le messager doit ouvrir les cœurs à sa venue.. Malheur à l’Église qui se pavane et ravit l’adoration à Celui-là seul à qui elle est due. Qu’elle reste humble servante.

Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson… »

Chez les prophètes, l’image de la moisson évoquait l’accomplissement du monde dans l’histoire et le Jugement final. Jésus assure que ce temps, avec lui, est déjà arrivé. Il y a beaucoup à faire pour introduire les personnes dans son Royaume : hélas trop peu nombreux sont les témoins qui se préoccupent de cette mission. Le premier devoir n’est donc pas de foncer mais de se tourner vers Dieu et le prier d’envoyer des missionnaires. Cela écartera la tentation de nous prendre pour les auteurs de cette « moisson » qui est l’œuvre de Dieu. Le véritable salut du monde ne peut être qu’œuvre divine. 

Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.

Après un profond retournement vers Dieu, les disciples sont convaincus que leur œuvre ne dépend pas de leur initiative mais est réponse à un envoi : « Allez ! ». Et très vite leur élan est mis à l’épreuve car, convaincus que la Bonne Nouvelle qu’ils apportent devrait leur valoir reconnaissance et bon accueil, ils font la rude expérience de l’indifférence, de la dérision, de l’injure sinon même du mépris et du rejet. Le monde suit un programme qui est tout le contraire de celui des Béatitudes et la conversion exige un retournement complet. Or les missionnaires n’ont pas d’armes ni de défenses, ils sont vulnérables comme des agneaux au milieu de loups qui ne cherchent qu’à les détruire. Mais leur joie demeure car l’Agneau pascal a été vainqueur : avec Lui, la croix n’est pas un échec mais une victoire.

Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.

Le premier témoignage des envoyés est leur comportement. En priorité ils doivent être désencombrés au maximum de sorte qu’ils soient disponibles pour tout déplacement, qu’ils montrent une Église totalement désintéressée car la véritable richesse est celle du Royaume qui vient. Du coup ils contestent à la base une société égoïste, avide de consommation et destructrice des biens. L’Église ne déteste pas le monde, elle cherche au contraire à le sauver. C’est lui qui se suicide.

Le Seigneur ne recommande évidemment pas la grossièreté mais à l’époque, dans ces régions, les rencontres pouvaient être l’occasion de « salamalecs » interminables. L’envoyé est un homme poli mais pressé : le front du malheur l’appelle avec urgence. La distraction est le mal (Lévinas)

Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison.” S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. estez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté.

Le dénuement oblige donc au recours à l’hospitalité car il faut bien quémander nourriture et couche. Dès l’abord, avec joie et bonne humeur, l’envoyé offre ce qui l’habite : la paix du Seigneur. On ne vient pas déblatérer, se lamenter, se perdre dans des débats abstraits contradictoires. Le vrai croyant témoigne par sa joie. Et si la porte d’entrée se claque à son nez, il reste content de partager les échecs de son Maître.

Mais si on lui offre l’hospitalité, il accepte de recevoir ce qui lui est présenté. Si ces gens n’observent pas les interdits alimentaires des Juifs, sans vergogne les envoyés mangeront ce qui leur offert. On sait que Paul devra encore lutter, même contre Pierre, pour sauver cette liberté. Il n’y a plus d’aliments interdits.

Il arrivera que les missionnaires accueillis quelque part, soient invités chez des voisins qui semblent promettre table plus succulente et couche plus moelleuse. Résistez à la tentation, demande le Seigneur : vous ne pouvez apparaître comme avides d’argent ou de confort.

Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.”

Enfin voici la tâche essentielle. En priorité se préoccuper des faibles : malades, handicapés, démunis car l’Évangile n’est pas une évasion dans la spiritualité mais recherche du salut de tout l’homme, de toute homme. Alors vous pouvez annoncer en toute assurance que Dieu commence à établir son Règne de miséricorde.

Dans toute ville où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville… »

Terrible menace qui nous paraît affreuse, exagérée. Et pourtant l’histoire ne manifeste-t-elle pas que la passion du pouvoir, la rage de conquête, l’idolâtrie de l’argent, la passion de la sexualité débridée, le racisme et la haine mènent toujours aux désastres, à la mort ? Cependant dans ce pauvre monde déchiqueté, la Bonne Nouvelle change des cœurs, suscite des François et des Damien. Rien n’éteindra cette petite lumière.

Retour de Mission

Les 72 disciples revinrent tout joyeux : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis mais parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

Mission accomplie, ces hommes simples reviennent près de leur envoyeur, débordant de joie d’avoir pu faire du bien, opérer des guérisons et ouvrir des cœurs à la foi. Quelle plus belle œuvre que d’évangéliser ? Mais Jésus rectifie leur motif : qu’ils ne se vantent pas de leurs œuvres car leur pouvoir était un don gratuit, mais qu’ils exultent car ils sont membres du Royaume éternel, ouvriers de l’extension mondiale du Règne de l’amour de Dieu, hérauts du Seigneur Christ.

Conclusion pour demain

Voilà un beau reflet de l’Église primitive, laquelle certes n’était pas sans défauts : il suffit de remarquer tous les reproches que Paul écrit à ses correspondants. Mais très vite tout a bien changé. L’Église minoritaire, faite d’un réseau de petites communautés suspectes et fragiles, s’est développée.

En échange de la fin des persécutions, elle est devenue religion officielle, cléricale, et s’est laissée cajoler par les puissants. Comme Caïphe, elle s’est figée dans des rites immuables. Comme Pilate elle a pris goût au pouvoir et ses hiérarques ont aimé la pourpre, les dentelles et les révérences. Comme les Pharisiens, elle s’est corsetée dans des obligations, l’obsession de la pureté, la culpabilisation, les observances minutieuses. La citadelle était solide : elle se craquèle.

Ce n’est pas l’Église qui est en train de s’effondrer mais le « gros appareil » (Simone Weil) et il faut s’en réjouir. L’Église, elle, Corps du Christ, reste bien vivante. Dans l’ombre, dans le silence des médias obsédés par les idoles, elle irrigue le tissu social, lutte pour la justice et le droit, clame l’espérance dans une société qui s’étrangle. Plus que jamais, « la moisson est abondante et peu nombreux sont les ouvriers ». Comment l’exemple des missionnaires de l’évangile de ce jour peut-il encore nous inspirer pour inventer l’Église de demain.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Le feu de l’enfer éteint par le feu de l’amour

Interview de Kim dans « La Croix »

11 juin 2022

Le 8 juin 72, il y a tout juste 50 ans, vous étiez victime d’un bombardement. Comment vivez-vous cet anniversaire ?

Je continue de porter mon passé, bien sûr, mais de façon différente. A l’époque j’étais une gamine innocente, souffrant atrocement…Mais ensuite j’ai choisi ma vie. Je suis devenu une épouse, une maman, une grand-mère, une militante. J’ai frôlé la mort ce jour-là mais le fait d’avoir survécu devait avoir un sens.

Lequel ?

Celui de témoigner. Témoigner que, même après cela, on peut trouver la paix. Je suis profondément croyante, je suis baptiste. Pour moi, on ne peut rien changer au passé mais on peut changer l’avenir grâce à l’amour et au pardon.

Pourquoi détestiez-vous cette photo ?

Elle m’embarrassait. Être exposée ainsi au monde entier, hurlant tout nue…Et puis elle me ramenait en permanence au moment le plus douloureux de ma vie ; j’avais 9 ans, et en une fraction de seconde, mon enfance s’est arrêtée net. Il n’y a pas de mot pour dire ce que je ressentais. Le napalm brûle à 3000 ° ; j’avais l’impression d’être cuite vivante…jusqu’aux os…J’ai fini par faire la paix avec cette photo. Par la voir, au fil du temps, comme une sorte de don. Elle m’a offert une notoriété qui m’a permis ensuite de promouvoir la paix.

Gardez-vous des séquelles physiques ?

Plein !! En gros le tiers de mon corps a été brûlé en profondeur. J’ai donc dû enchaîner les greffes de peau (17) et les écarts de température restent encore douloureux…Heureusement ma vie a totalement changé ces dernières années grâce à un traitement au laser…

Estimez-vous avoir eu une enfance sacrifiée ?

Oui. Après avoir perdu connaissance, on m’a emmenée à l’hôpital : on a bandé mes plaies mais comme mon état empirait, on a fini par m’envoyer à la morgue. Les victimes des brûlures de guerre survivaient rarement…Au bout de deux ou trois jours, mes parents ont réussi à me retrouver et l’on m’a réellement prise en charge. On m’a imposée des bains quotidiens pour empêcher que les brûlures de mon dos, de ma nuque – des plaies à vif – s’infectent. Ces bains quotidiens, c’était l’enfer sur terre ! La douleur était telle que je m’évanouissais chaque fois.. .C’était abominable.

Dans « Sauvée de l’enfer » en 2017, vous expliquez que lorsque vous étiez étudiante, vous avez voulu quitter la vie. Pourquoi ?

Parce que détestais ma vie ! Je souffrais constamment et avec mes cicatrices hideuses je croyais ne jamais trouver l’amour. Ces années, je n’ai nourri qu’un espoir : faire médecine pour devenir pédiatre et venir en aide aux enfants. Mais je me suis retrouvée instrumentalisée par les autorités vietnamiennes qui entendaient m’utiliser à des fins de propagande pour dire tout le mal que je pensais de ceux qui avaient brisé mon enfance. Je devais enchaîner les interventions publiques…Devant les journalistes étrangers, les traducteurs modifiaient mes propos pour qu’ils collent à ce que le pouvoir attendait de moi…J’étais au bord du suicide.

A cette époque, vous tombez, par hasard, sur une bible. En quoi cela a-t-il changé votre vie ?

C’était le plan de Dieu (rires) ! En 1982, en effet par hasard je tombe sur une bible dans une bibliothèque d’Hô Chi Minh-Ville. Je la feuillette et je m’arrête sur le Nouveau Testament. Là je découvre que Jésus a souffert pour le message qu’il annonçait. Je découvre aussi qu’on peut être aimé de façon inconditionnelle. Et ce baume-là, sur un coeur meurtri comme le mien, c’était extraordinaire. Je me suis convertie peu après. Ce que mes parents ont pris pour une trahison. Ils étaient adeptes du caodaïsme et, pour eux, je devenais une renégate.

J’étais une étudiante sans le sou, et, à partir de là, ma mère a refusé de me donner de l’argent. Elle m’a dit : « Tu crois dans ton Dieu ; eh bien ton Dieu prendra soin de toi » . J’ai serré les dents mais j’ai beaucoup pleuré. Pour la petite histoire, mes parents ont fini par se convertir, mais 15 ans plus tard !

Au fond je dirais que la foi dans l’évangile m’a permis de trouver la paix. La joie aussi. J’ai progressivement appris à ne plus avoir peur de l’avenir, de la douleur, de moi-même aussi ! Comme si Dieu avait mis une sorte de distance entre moi et ma souffrance.

Cela vous a aidée à ne pas vivre dans le passé ?

Sans doute. S’enfermer dans le passé, c’est un piège. On peut s’y noyer. Il ne faut pas le ressasser mais plutôt s’en servir pour s’élever. Après pour être honnête, le pardon dont parlait tant la Bible, ça je n’étais pas sûre d’en être capable ( rires)

C’est-à-dire ?

Le « Aimez vos ennemis », comment dire ?…Il faut se replacer dans le contexte. J’avais tellement d’ennemis à l’époque : les pilotes qui avaient bombardé mon village, les agents du gouvernement…Le pardon, je n’étais pas prête. Et puis avec le temps, j’ai fini par comprendre qu’on ne peut pas y arriver seule. Dieu doit nous aider, nous donner la force. D’ailleurs je dis souvent à Dieu : « Fais ta part, je fais la mienne… »(rires)

Vous disiez avoir cru ne pas pouvoir trouver l’amour …

Je me trompais…Avec ma peau de buffle, je pensais que personne ne voudrait de moi : j’ai finalement trouvé l’amour. Voilà un peu plus de 30 ans que Toan partage ma vie. Il m’accepte telle je suis, inconditionnellement…Les médecins m’avaient toujours répété que mon corps avait trop souffert pour enfanter…Ils se trompaient. Nous avons eu deux garçons, Thomas et Stephen, et trois petits-enfants.

En 1996, lors d’une commémoration, vous rencontrez le capitaine responsable du bombardement. Que vous êtes-vous dit ?

(silence) Il répétait en boucle : «  Je suis tellement désolé ! Tellement désolé, tellement désolé… ». Il pleurait comme un enfant. Il m’a demandé si je lui pardonnais et je lui ai répondu que oui. Durant ces années, j’avais travaillé tous les jours sur le pardon et à ce moment-là, j’étais prête. Je crois même pouvoir dire que j’étais reconnaissante de pouvoir accorder mon pardon à cet homme

Après, vous avez décidé de fonder « The Kim Foundation international ».

C’est une ONG engagée auprès des enfants blessés ou gravement handicapés du fait de la guerre. Nous levons des fonds en partenariat avec d’autres organisations pour ouvrir des dispensaires, des écoles, des bibliothèques. L’idée est de réparer, dans la mesure de nos moyens évidemment, l’impact de la guerre sur tous ces enfants. ( …)

13ème dimanche – Année C – 26 juin 2022 – Évangile de Luc 9, 51- 62

Évangile de Luc 9, 51- 62

Toi, Va Annoncer le Règne de Dieu

Pendant plus de trois mois, la liturgie nous a fait vivre le mystère central de Pâques : sa préparation (carême), sa célébration, son accomplissement dans le don de l’Esprit (Pentecôte), la révélation du vrai Dieu (Trinité) et le don de l’Eucharistie qui nous y fait participer. Aujourd’hui nous reprenons la lecture suivie de l’évangile de Luc à un moment charnière : le tournant essentiel de la vie de Jésus.

Sa mission en Galilée

Dès qu’il avait reçu sa vocation lors de son baptême par Jean, Jésus s’est mis à circuler à travers sa région de Galilée, annonçant la venue proche du Royaume de Dieu et opérant quelques guérisons de malades et d’handicapés. Son succès, dit Luc, est immédiat : les foules viennent de partout pour l’entendre et surtout pour voir des choses miraculeuses. Il regroupe autour de lui quelques disciples qui le suivent.

Quel est pour lui, très vite, le problème ? Ce n’est pas le problème politique : il n’appelle jamais à la révolte contre le joug de Romains et même dit sa grande admiration pour la foi d’un centurion qui le prie de guérir d’un mot son serviteur. Ce n’est pas le problème moral : certes il appelle à la conversion des pécheurs mais il les fréquente, proclame qu’il est venu pour eux, intègre le publicain Matthieu dans son équipe apostolique, pardonne gracieusement une femme reconnue comme une grande pécheresse, comme plus tard il s’invitera chez le publicain Zachée.

Mais Jésus prend des attitudes et ose des proclamations qui choquent : la joie de l’accueillir comme Messie supprime l’obligation du jeûne et surtout son autorité pour pardonner d’un mot les péchés. « Blasphème ! » hurlent les scribes et les pharisiens qui épient cet inconnu venu de rien et qui se montrent de plus en plus hostiles à son égard. Des conciliabules se trament dans l’ombre : « Qu’allons-nous faire de lui ? »(5, 11) Jésus voit la haine monter.

Si bien qu’un jour, après un long temps de prière et de réflexion, il réunit ses apôtres et Pierre, le premier au nom de tous, confesse : « Tu es le Christ de Dieu ». Jésus ne dément pas mais il leur ordonne de ne le dire à personne car le peuple en conclurait que l’on peut donc préparer la révolution armée. Et, à leur grande stupeur, il leur annonce qu’il sera rejeté par les Anciens, les Grands Prêtres et les Scribes, qu’il sera mis à mort mais il ressuscitera. En outre, il prévient tous les disciples qu’il devront eux aussi perdre leur vie pour lui. On devine à quel point tous ces hommes sont chamboulés, désemparés par cette annonce incompréhensible.

En route vers Jérusalem

En tout cas, peu après, la décision est prise et Luc la rapporte par une phrase solennelle d’une grande intensité (ici traduction littérale difficile) et qui ouvre l’évangile de ce dimanche.

En route vers Jérusalem « L’accomplissement des jours de son enlèvement arriva : il durcit son visage pour aller vers Jérusalem ».

Jésus ne veut qu’une chose : accomplir parfaitement le dessein de son Père et inaugurer le Royaume sur terre. Il a évalué qu’en partant de l’endroit où il se trouve, il arrivera dans la capitale pour la célébration de la Pâque. Il y dénoncera un culte hypocrite, des autorités vaniteuses et cupides, des théologiens obsédés par le légalisme – bref tout ce qui se présente comme chemin vers Dieu mais qui en fait tolère l’injustice. La religion déformée n’est-elle pas plus dangereuse que les défaillances morales ?

Évidemment Jésus sait que ses dénonciations exacerberont la fureur de ces autorités et qu’ils chercheront à le supprimer. La perspective de l’arrestation et de la condamnation à la croix l’épouvante mais il ne peut reculer ni se taire. Il faut aller jusqu’au bout. Ainsi il accomplira les Écritures : il sera l’authentique agneau pascal sacrifié pour l’exode universel et définitif : la sortie, la libération de l’humanité de la prison du péché. Et il réalisera la mystérieuse figure de ce Serviteur de Dieu évoquée par le 2ème Isaïe :

« Dieu m’a ouvert l’oreille, je ne me suis pas cabré, j’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient…J’ai rendu mon visage dur comme un silex (Is 50, 7)…

« Il était méprisé, homme de douleurs…Or en fait ce sont nos souffrances qu’il portait…Il était transpercé à cause de nos révoltes. Il n’ouvre pas la bouche comme un agneau traîné à l’abattoir. Il fait de sa vie un sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours et la volonté de Dieu aboutira…Mon Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté…Les foules du monde vont être émerveillées ». (Is 53)

« Il était méprisé, homme de douleurs…Or en fait ce sont nos souffrances qu’il portait…Il était transpercé à cause de nos révoltes. Il n’ouvre pas la bouche comme un agneau traîné à l’abattoir. Il fait de sa vie un sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours et la volonté de Dieu aboutira…Mon Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté…Les foules du monde vont être émerveillées ». (Is 53)

La prophétie la plus énigmatique de la Torah, Jésus l’interprète pour lui : il sera « élevé » sur la croix…mais, parce qu’il se donnera par amour, son Père l’ «élèvera » dans sa Gloire. Jésus serre les dents, sa décision est irrémédiable. Il faut continuer à envoyer des messagers.

Respect de la liberté

Jésus envoie des messagers pour préparer sa venue. Un village de Samarie ne l’accueille pas parce qu’il va à Jérusalem. Jacques et Jean interviennent : « Seigneur , veux-tu que nous ordonnions au feu de tomber du ciel pour les détruire ? ». Jésus se retourne et les secoue vertement. Ils partent pour un autre village.

Judéens et Samaritains se détestaient depuis des siècles mais au contraire d’Elie qui envoyait la foudre sur ses ennemis, Jésus stoppe tout de suite le fanatisme des deux fils Zébédée : la foi se propose à la liberté de la décision. Refusé quelque part, le missionnaire ne doit pas être furieux mais chercher un autre auditoire. Jésus avait déjà proposé le bon Samaritain comme modèle de charité et Luc racontera que plus tard, l’évangéliste Philippe réussira sa mission chez les Samaritains. La Pâque de Jésus a fait sauter les barrières.

L’urgence de la mission

Trois cas de vocation illustrent l’importance et l’urgence de la mission.

En cours de route, un homme dit  à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras ». Jésus lui déclare : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête ».

Emballé par la figure de Jésus, ce jeune s’offre comme candidat à la mission. Très bien mais il est prévenu : il faudra s’attendre à de grosses difficultés. Chez Luc, Jésus adulte n’est jamais dans une maison à lui. La vie itinérante sera une aventure de s.d.f.(sans domicile fixe), elle se heurtera aux sarcasmes, aux refus, dépendra de l’hospitalité. Fini le confort.

Jésus dit à un autre : « Suis-moi ». L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père ». Jésus réplique : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu ».

Sans doute une des déclarations les plus scandaleuses de Jésus puisque la Loi obligeait à l’amour et au respect des parents. Son outrance veut faire entendre que l’annonce de l’Évangile est l’urgence suprême car la foi est comme une renaissance dans le Royaume de la Vie. Chaque minute compte.

Un autre lui dit : «  Je te suivrai, Seigneur mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison ». Jésus lui répond : «  Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ».

Voici maintenant une allusion à l’appel du prophète Élisée à qui Elie avait concédé de faire d’abord ses adieux aux siens. Jésus est plus exigeant. L’engagement à la mission cause une rupture, elle est un don total et définitif et un renoncement aux attaches du passé.

Le côté abrupt de ces déclarations montre qu’avant d’ordonner des consignes strictes, elles veulent convaincre surtout de l’urgence et de l’importance vitale de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Car il s’agit bien de sauver les hommes de la mort. Le monde est « aux urgences » : il ne faut pas lambiner.

Conclusions

Notre pape François semble bien souffrir de son handicap puisqu’il a dû remettre son voyage en R.D.C. Pourra-t-il encore voyager ? Mais on devine qu’il doit davantage souffrir de l’opposition sinon de l’hostilité qui monte contre lui jusqu’aux plus hauts degrés de la Curie et dans les milieux traditionnalistes qui se rebellent contre l’orientation qu’il entend donner à l’Église. Quelques événements récents cités ci-dessous font deviner la colère de ceux qui sacralisent un passé révolu. Or la vraie tradition ne vit que par la réforme permanente.

La réforme de l’Église ne se fera pas sans combats. Comme Jésus, ceux qui sont persuadés de son urgence devant les grands malheurs qui menacent notre monde doivent « durcir leur visage », serrer les dents, garder une volonté tenace.

Le temps du Synode peut laisser indifférent (« encore du bavardage ») ou être l’occasion d’entendre l’appel du Seigneur : « Laisse les morts, va annoncer la venue du Règne…Laisse-là ton mol oreiller…Ne regarde pas en arrière ».

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Contre le « restaurationnisme »

Pape François

« Le concile dont certains pasteurs se souviennent le mieux est le concile de Trente », déplore le pape François dans un grand entretien accordé aux directeurs des revues jésuites le 18 mai 2022 et publié par la Civiltà Cattolica le 14 juin.

« Le restaurationnisme est venu bâillonner le Concile », regrette-t-il, expliquant qu’il est « très difficile d’envisager un renouveau spirituel en utilisant des schémas très démodés ». Il évoque le cas d’un diocèse en Argentine « tombé entre les mains » d’un groupe animé par cet esprit préconciliaire ou encore le nombre « impressionnant » de ces mouvances aux États-Unis. 

Le Pape rappelle les difficultés dont il avait été témoin pendant la période post-conciliaire, citant le cas du père Pedro Arrupe, ancien supérieur général des Jésuites qui avait été combattu par un groupe de jésuites espagnols « qui se considéraient comme les vrais orthodoxes ». 

« Cela se produit de nouveau », insiste-t-il, invitant à se libérer d’une « pensée fermée, rigide, plus instructive-ascétique que mystique ». Il estime néanmoins qu’ »il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine » et considère qu’il reste encore « quarante ans » à l’Église pour l’intégrer. (…)

Site Aleteia – Lettre du Vatican

Toulon : Rome suspend les ordinations

Pape François

Coup de tonnerre dans le diocèse de Fréjus-Toulon (Var). Le Vatican a ordonné la suspension sine die de l’ordination de six diacres et de quatre prêtres prévues le 26 juin.

Mgr Aveline, archevêque de Marseille, au cours de sa mission d’inspection, aurait « relevé plusieurs points posant question dans la formation et le discernement des candidats du séminaire de la Castille » selon nos confrères de Famille chrétienne. Ce séminaire fondé en 1983, ouvert aux traditionalistes, accueillerait des profils jugés atypiques parmi la cinquantaine de séminaristes se préparant au sacerdoce. L’audit a également pointé « la restructuration du séminaire » qui s’est traduite il y a deux ans par la mise à l’écart de son directeur.
L’évêque D. Rey, âgé de 69 ans, issu de la communauté de l’Emmanuel, fait lui-même figure de référence chez les conservateurs. À la tête du diocèse depuis vingt-deux ans, soutien affiché de la Manif pour tous, il s’est notamment illustré en ordonnant des prêtres selon le rite romain, pratique désormais restreinte par le Vatican. Sous son autorité, le diocèse a accueilli une trentaine de communautés françaises et étrangères. Certaines, ouvertement traditionalistes, sont dans le viseur de Rome.

Dans le diocèse, sous le choc, la décision est accueillie « dans la douleur », souligne Mgr Rey, mis en difficulté par ses positions contraires à la ligne du pontificat du pape. « Confiant » pour la suite, il précise s’être « récemment » entretenu à Rome avec le Cardinal Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques. En mai, le Vatican a lancé une autre mission d’inspection au sein du séminaire de la très influente communauté Saint-Martin, fondée en 1976 et implantée à Évron, en Mayenne. Son séminaire est devenu, avec celui de la Castille, l’un des plus actifs de France. …

Ouest-France 3 06 2022


Séminaristes en soutane !

L’Archevêque de Toulouse, Guy De Kerimel, dans une lettre adressée le jeudi 2 juin 2022 aux séminaristes du diocèse de Toulouse, est revenu sur leur rencontre de la veille au soir.

Le ton et le contenu étaient pour le moins inattendu de la part de cet évêque, issu de la communauté de l’Emmanuel, habituellement enclin à mettre en avant la restauration des valeurs les plus conservatrices : « Durant cette soirée, j’ai évoqué mon questionnement lors des confirmations des étudiants, face à quelques-uns d’entre vous en soutane et surplis, et je vous ai dit que je ne souhaitais pas que les séminaristes s’affichent de manière trop cléricale… L’image de ces futurs clercs installés dans des stalles, loin des fidèles, donnait une image très cléricale et pas ajustée à votre situation de séminaristes, qui restent des fidèles laïcs. »


« Je précise donc mon désir : le port de la soutane n’est pas permis au séminaire, c’est la loi en vigueur. Je demande donc à ce que cette loi s’applique hors du séminaire dans le diocèse de Toulouse, y compris pour les diacres. À partir de l’admission, il est permis de porter un signe distinctif, col romain ou simple croix. »

Mais le propos va bien au-delà d’une querelle de vêtement, les séminaristes sont invités à changer de regard : « Il me semble que la priorité d’un jeune en formation, en vue du sacerdoce ministériel, est de faire grandir et fortifier sa relation au Christ dans l’humilité et la vérité sans chercher à entrer dans un personnage. Il doit se faire accessible à tous, s’occupant d’aimer les gens, en particulier les plus pauvres et les plus lointains, avant de se soucier d’afficher une identité très marquée. »

L’occasion de rappeler également l’essence de la fonction de prêtre qui doit être « identifié et reconnu par sa sainteté, son esprit de service et la qualité de sa relation pastorale avant tout ». En résumé, l’habit ne fait pas le moine. (…)

Golias 16 06 2022

Fête de l’Eucharistie – Année C – 19 juin 2022 – Évangile de Luc 9, 11b-17

Évangile de Luc 9, 11b-17

Le Corps et le Sang du Christ

A la veille de la grande fête de la Pâque à Jérusalem – sans doute en l’an 30 de notre ère -, trois hommes tenus pour révolutionnaires sont condamnés et crucifiés. Or une vingtaine d’années plus tard, Paul de Tarse, un ancien pharisien converti, écrit à la petite communauté qu’il a fondée à Corinthe, la ville célèbre pour ses mœurs dépravées et c’est dans ce document, bien avant les évangiles, que nous trouvons la première allusion au Repas du Seigneur.

Moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur.

La nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, rendit grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi ». Après le repas, il fit de même avec la coupe : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance établie par mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi ».

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».

Initiative extraordinaire présentée comme simple, évidente, nécessaire et d’une profondeur insondable. Ainsi le crucifié Jésus, conscient de sa mort toute proche, a ordonné à ses disciples de se réunir pour un simple repas. Il ne s’agira pas d’évoquer le souvenir d’un défunt car, trois jours plus tard, les disciples ont vu le Ressuscité et ils le confessent comme Seigneur enlevé dans la gloire de Dieu son Père. Et il a voulu prolonger sa présence terrestre en eux et par eux. Ainsi il a transfiguré son horrible exécution en don de sa personne pour eux : « Prenez-moi… ». Un don total qu’ils doivent intérioriser comme on assimile de la nourriture. Pour vivre.

Pleurer la mort d’un défunt, s’apitoyer sur les souffrances de la croix, évoquer son souvenir, péleriner sur sa tombe ne suffit pas. Les disciples n’ont pas à se projeter dans les regrets du passé (comme les disciples de Jean-Baptiste) mais à s’ouvrir à une Présence. Le crucifié Jésus est devenu le Ressuscité vivant qui les rejoint au coeur de leur être (« mangez, buvez ») pour être présent et leur donner un avenir. Leur communion à son Corps et son Sang devient du coup communion entre eux.

La Nouvelle Alliance

La fête de la Pâque célébrait l’événement fondateur d’Israël. Jadis les ancêtres hébreux étaient descendus en Égypte pour y trouver de riches pâturages mais le Pharaon les avait soumis à l’esclavage aux travaux forcés (avertissement à ceux qui cherchent la richesse …et qui souvent en deviennent esclaves !)

Mais une certaine année, au premier mois, à la fête du printemps où ils consommaient un jeune agneau et des pains sans levain, Moïse les exhorta à se préparer pour partir dans la nuit. Beaucoup suivirent leur chef, d’autres craignirent de risquer cette aventure mais des membres d’autres tribus se joignirent à eux. Miraculeusement ils purent traverser le mer sans être rejoints par l’armée égyptienne.

Dans la péninsule, au mont Sinaï, YHWH, leur Dieu unique, fit Alliance avec eux : vous serez mon peuple, mon fils élu, mais vous devez observer tous mes commandements. Ce choix n’était pas dû à leurs mérites mais leur imposait de devenir le modèle pour toutes les nations. Israël accepta, chemina longtemps à travers le désert où ils découvrirent une sécrétion comestible d’arbuste. « Man hû ?- Qu’est-ce que c’est ? » et ils l’appelèrent « manne ». Enfin ils parvinrent à la terre que YHWH leur avait promise et Moïse étant mort, ils la conquirent sous la conduite de Josué (Iéshouah, le même nom que Jésus).

Cet événement extraordinaire de l’Exode non seulement ne peut être relégué dans la boîte aux souvenirs mais il doit demeurer présent dans la grande festivité de Pessah où l’on consomme un agneau rôti en buvant des coupes de vin et en racontant la haggadah, le grand récit de ces événements. La tradition juive dit : «  A chaque génération, on est tenu de se considérer comme si c’était soi-même qui sortait d’Égypte ». Le repas pascal n’est pas seulement souvenir mais acte de libération divine.

Hélas, ensuite les prophètes témoignent que, sans cesse, Israël, même ses rois et ses prêtres, trahissait l’Alliance, ne vivait pas comme Dieu l’avait prescrit. Le désastre survint avec la chute de Jérusalem, la destruction du temple et l’exil en Babylonie. Mais la miséricorde de Dieu est inépuisable : des prophètes annoncèrent qu’il ferait une nouvelle Alliance :

« Des jours viennent où je conclurai avec Israël une nouvelle Alliance : j’inscrirai mes directives dans leur être. Ils me connaîtront tous. Je pardonne leur crime » (Jér 31, 31)…. 

« Je vous donnerai un coeur nouveau…je mettrai en vous mon propre Esprit » (Ez 3, 26).

Formidable rebondissement de l’histoire : Jésus est l’agneau de Dieu, il a été immolé pour libérer tous les hommes esclaves du péché et leur donner l’Esprit de Dieu. En invitant ses disciples à partager son corps et son sang, il les rend participants de la Nouvelle Alliance. Nouveau Josué, il nous fait entrer dans le Royaume sans frontières où ils auront mission d’aimer Dieu leur Père de tout leur coeur et de s’aimer les uns les autres comme Jésus les a aimés.

Le premier jour de la semaine, le lendemain du sabbat, jour où Jésus est ressuscité, les disciples sont donc invités à se réunir pour partager le repas du Seigneur. Leur assemblée s’appelle « l’Église », un mot qui désigne « ceux qui ont été appelés dehors ». Ils sont remplis de joie comme des esclaves dont les chaînes sont tombées et ils se retrouvent à table pour partager l’Eucharistie ( = action de grâce).

Que tous soient un

Devenant de la sorte membres du Corps du Seigneur, ils manifestent sa résurrection et se doivent de s’aimer les uns les autres – chose plus difficile que de chanter des cantiques ! Déjà Paul, dans cette lettre, secouait ses frères :

« Lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on…Alors ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez. Méprisez-vous l’Église de Dieu ?…Celui qui mangera le pain ou boira à la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun se teste …car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 17-28)

Les Corinthiens croient bien communier à la présence du Seigneur mais ils n’en concluent pas que cette foi les oblige à la charité fraternelle. Peu avant Paul les tançait vertement :

« La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps. Car tous, nous participons à cet unique pain » (1 Cor 10, 16)

Eucharistie et Solidarité

Le récit de la dernière Cène est rapporté dans la 2ème lecture de ce dimanche mais l’évangile, lui, raconte la célèbre scène dite de « la multiplication des pains »selon Luc, et qui se trouve aussi chez les autres évangélistes, et même deux fois chez Matthieu.

Jésus parlait du Règne de Dieu à la foule, et il guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Les Douze lui disent : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages des environs pour y loger et trouver de quoi manger ». Il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ils répondent : « Nous n’avons pas plus que 5 pains et 2 poissons … ». Il y avait bien 5000 hommes. Jésus leur dit : « Faites-les asseoir par groupes ». Jésus prit les 5 pains et les 2 poissons et levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit 12 paniers »

Ne nous demandons pas comment cela fut possible mais remarquons les analogies très fortes avec le récit de la dernière cène. Ici il s’agit d’un simple pique-nique à la campagne mais c’est aussi le soir ; il s’agit de pain ordinaire, il n’y a pas de vin mais Luc raconte le geste de Jésus avec les mêmes mots que, plus tard, pour l’Eucharistie : « prend ..rend grâce…rompt…donne… ». Il y a donc un lien très fort entre ce partage du pain à une multitude affamée et le don de son corps et de son sang à la veille de sa mort.

Le don de sa mort par Jésus est l’accomplissement d’une vie donnée aux autres. Les guérisons qu’il a opérées n’ont jamais été des coups d’éclat pour s’attirer des fidèles par le merveilleux. Mais elles étaient provoquées par sa miséricorde, sa tristesse devant le malheur des hommes. Que des foules soient affamées, c’est un scandale inacceptable dans un monde qui regorge de ressources. Nous, comme les douze, nous sommes tentés de renvoyer tous ces gens importuns et de conserver nos petites provisions. Mais Jésus nous appelle à partager et à donner. Paul termine cette lettre aux Corinthiens en écrivant : « Pour la collecte en faveur des saints, le premier jour de chaque semaine, chacun mettra de côté chez lui ce qu’il aura réussi à épargner afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour recueillir les dons » (16, 2).

Le temps du synode nous presse à partager nos suggestions : alors que des multitudes ont déserté la messe du dimanche, comment faire pour que nos assemblées soient des « communions » authentiques à l’Amour ?

Fr Raphael Devillers, dominicain.

L’Eucharistie : Souci des autres

Pape François

Comment vivons-nous l’Eucharistie ? Quand nous allons à la Messe le dimanche, comment la vivons-nous ? Est-ce seulement un moment de fête, est-ce une tradition consolidée, est-ce une occasion pour se retrouver ou pour se sentir en règle, ou bien quelque chose de plus?

Il existe des signaux très concrets pour comprendre comment nous vivons tout cela, comment nous vivons l’Eucharistie ; des signaux qui nous disent si nous vivons bien l’Eucharistie ou si nous ne la vivons pas si bien que cela. Le premier indice est notre manière de regarder et de considérer les autres. 

Dans l’Eucharistie, le Christ accomplit toujours à nouveau le don de soi qu’il a fait sur la Croix. Toute sa vie est un acte de partage total de soi par amour ; c’est pourquoi Il aimait être avec ses disciples et avec les personnes qu’il avait l’occasion de connaître. Cela signifiait pour Lui partager leurs désirs, leurs problèmes, ce qui tourmentait leur âme et leur vie.

Or, lorsque nous participons à la Messe, nous nous retrouvons avec des hommes et avec des femmes de tout type : des jeunes, des personnes âgées, des enfants ; des pauvres et des nantis ; originaires du lieu ou étrangers ; accompagnés par leurs familles ou seuls…

Mais l’Eucharistie que je célèbre me conduit-elle vraiment à les sentir tous comme des frères et des sœurs ? Fait-elle croître en moi la capacité de me réjouir avec celui qui se réjouit et de pleurer avec celui qui pleure ? Me pousse-t-elle à aller vers les pauvres, les malades, les exclus ? M’aide-t-elle à reconnaître en eux la face de Jésus ?

Nous allons tous à la Messe parce que nous aimons Jésus et nous voulons partager, dans l’Eucharistie, sa passion et sa résurrection. Mais aimons-nous, comme Jésus le veut, nos frères et nos sœurs les plus indigents ? Par exemple, à Rome ces jours derniers nous avons vu de nombreuses situations de difficultés sociales, que ce soit en raison de la pluie, qui a causé tant de dégâts à des quartiers entiers, ou du manque de travail, conséquence de la crise économique dans le monde entier.

Je me demande, et que chacun de nous se demande : Moi qui vais à la Messe, comment est-ce que je vis cela ? Est-ce que je me soucie d’aider, de m’approcher, de prier pour ceux qui ont ce problème ? Ou bien suis-je un peu indifférent ? Ou peut-être est-ce que je ne me soucie que de faire des bavardages : tu as vu comment celle-là est habillée, ou comment celui-là est habillé ? Parfois c’est ce que l’on fait après la Messe, et on ne doit pas le faire ! Nous devons nous soucier de nos frères et de nos sœurs qui en ont besoin à cause d’une maladie, d’un problème.

Pape François
Audience générale – Mercr. 12 02 2014

Fête de la Sainte Trinité – Année C – 12 juin 2022 – Évangile de Jean 16, 12-15

Évangile de Jean 16, 12-15

Père, Fils, Esprit : Dieu est amour

Après le départ des milliers de pèlerins venus pour les fêtes de Pâque puis de Pentecôte, Jérusalem a repris sa vie normale. Sauf qu’une rumeur commence à se répandre : les disciples de ce Jésus qui, peu avant, avait été condamné et exécuté sur une croix, prétendent qu’ils ont vu leur maître ressuscité ! Il est vraiment Seigneur, Fils de Dieu son Père, il nous a communiqué l’Esprit-Saint et nous a ordonné d’annoncer cette Bonne Nouvelle dans le monde.

Message proprement inouï, unique dans l’histoire ! Blasphématoire donc inacceptable pour Israël qui repose sur la foi en un Dieu UN et qui répète chaque jour sa confession de foi : « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». Absurde de penser que le Seigneur connaisse l’horreur de la mort et que la croix signe la preuve de l’amour de Dieu.

Les apôtres reconnaissent qu’ils ont mis beaucoup de temps pour commencer à comprendre l’homme qui s’appelait Jésus de Nazareth. C’était un prophète comme Jean-Baptiste mais très vite les questions affluèrent : Jésus prêchait comme personne, il annonçait la prochaine venue du Royaume de Dieu, opérait des guérisons. Il avait avec Dieu une exceptionnelle relation de proximité et de tendresse : il s’adressait à lui comme un enfant : « Abba, Père ». Et il nous a permis de prier à sa manière. Mais certains de ses propos étant intolérables pour les autorités, la menace de mort se précisa. Loin de fuir ou de se taire, il accentua ses prétentions. Juste avant la Pâque, il se présenta à nous comme l’agneau de la libération puis il fut arrêté et exécuté.

Une expansion rapide de la Bonne Nouvelle

Tout semblait fini pour nous. Mais le 3ème jour, à notre stupeur, il revint vers nous, ressuscité, vivant et nous expliqua qu’ainsi s’était accompli le projet de Dieu. Il avait accepté de donner sa vie pour offrir le pardon des péchés aux hommes de tous les pays et il nous envoya l’Esprit de Dieu pour nous consolider dans notre mission.

Très vite les missionnaires se heurtèrent aux sarcasmes puis à la colère puis à la fureur de leurs compatriotes et ils se dispersèrent dans tous les pays voisins. Nous manquons beaucoup de repères pour marquer les étapes de l’expansion. Mais si Jésus est mort en l’an 30 de notre ère, déjà en 51, Paul s’adresse à la petite communauté de Thessalonique qu’il venait de fonder en leur disant :

« Paul, Silvain et Timothée à l’église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et en le Seigneur Jésus-Christ. A vous grâce et paix » et il les exhorte à « servir le Dieu vivant et véritable et à attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus qui nous arrache à la colère » (1, 9)

Ensuite Paul, vers 54-55, termine sa 2ème lettre aux Corinthiens par la formule qui deviendra la salutation d’ouverture de la liturgie :

« La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (13, 13)

Tous les premiers chrétiens, comme Jésus d’abord, sont des Juifs qui demeurent absolument fidèles à la profession de foi monothéiste : on ne s’étonne donc pas que des discussions interminables et très animées éclatent partout et se poursuivent sans fin. Jésus est plus qu’un prophète, l’Esprit est davantage qu’un souffle inspirateur…mais il n’y a pas trois dieux. Et si les Écritures parlaient déjà d’Israël fils de Dieu, de la Parole et de la Sagesse de Dieu, il faut aujourd’hui aller plus loin.

Une conversion périlleuse

Par conséquent la conversion à Jésus est un acte risqué, parfois dangereux. Elle fait passer pour hérétique alors que les évangiles s’acharnent à montrer que la révélation apportée par Jésus ne supprime pas la Torah mais la mène à sa fin : « Je ne viens pas abolir mais accomplir ». Une nouvelle lecture de la Loi indique que le projet de Dieu devait s’effectuer comme il l’a été par Jésus.

La foi allume des débats, divise les membres des familles, fait éclater des amitiés, cause la perte d’un emploi. Un document romain rapporte que l’Empereur Claude (mort en 54), excédé par les batailles qui se livraient parfois dans les synagogues à propos d’un certain Jésus, décida de chasser tous les Juifs de la capitale.

Le diacre Etienne, l’apôtre Jacques de Zébédée, d’autres anonymes, puis Pierre…Paul sont mis à mort : premiers martyrs d’une liste interminable qui s’allonge aujourd’hui comme jamais. Le chemin de l’amour ressuscité passe immanquablement par le Golgotha.

Enfin vers la fin du premier siècle, la communauté de Jean sort un 4ème évangile où l’on voit l’aboutissement d’une longue réflexion communautaire. La recherche sur l’Évangile et les échanges avec le milieu hellénistique aboutissent, sous le souffle de l’Esprit, à une compréhension plus approfondie de l’Esprit comme une personne.

Au 2ème siècle, dans l’Église orientale on proposera le mot grec « trias » qui, par le latin, donnera le mot « Trinité » : pauvre mot froid et abstrait pour désigner le mystère le plus riche de vie du Dieu en trois personnes.

Des controverses houleuses

Jean ne clôturera pas la fin de l’enquête : les débats vont se poursuivre dans une ambiance pas toujours fraternelle car « la rage théologique » sait être acerbe. Des écoles rivaliseront, lanceront un feu d’artifice d’anathèmes réciproques. Jusqu’à ce que le concile de Nicée (325) puis celui de Constantinople (381) accouchent des formules des « credo » que nous récitons encore. Ainsi l’Église va poursuivre sa route et s’étendre peu à peu dans le monde.

Ce rapide coup d’œil sur les débuts tentait de montrer que la foi en Dieu unique, Père, Fils et Esprit, était une aventure historique risquée qui risquait fort d’échouer. Néanmoins, dans un monde baignant dans le paganisme et à partir de la foi monolithique d’Israël, la foi trinitaire s’est peu à peu éclairée sous la lumière et la force de l’Esprit.

Jésus l’avais promis aux siens : « Lorsque viendra l’Esprit de Vérité, il vous fera accéder à la Vérité tout entière…Il me glorifiera et vous communiquera ce qui est à moi » (Jn 16, 13). Mais il ajouta : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (13, 34)

La Trinité Révélation de l’Amour

La foi en un Dieu en trois personnes ne se réduit pas à une conviction intellectuelle, à la confession d’une formule car ce mystère restera à jamais inaccessible à l’esprit humain. Mais il nous introduit sur le chemin de l’amour.

Un grand philosophe écrivait : « …De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Quel aveuglement – pardon Mr Kant. Réfléchissons un peu à trois richesses de cette foi.

D’abord – ce que certains philosophes ignorent – le concept de « personne » qui joue un si grand rôle dans la réflexion anthropologique moderne est né des débats théologiques lors des premiers conciles.

Ensuite remarquez que les Trois Personnes ne sont pas désignées, comme nous, par des noms personnels (Jean Dupont, ;..) mais par des mots de relation : Dieu est le Père de Jésus, celui-ci est le Fils de son Père, l’Esprit est celui qui unit Père et Fils. Nous, nous sommes des humains et nous avons, ou non, des relations éventuelles. Tous les hommes ne sont pas pères, et certains peuvent , hélas, perdre leur enfant : ils restent des hommes. Les Trois personnes divines, elles, sont des relations, elles ne sont que des relations. Tout l’être de Dieu consiste en l’amour porté à son Fils : l’être du Fils est l’amour porté à son Père dans l’élan de l’Esprit.

C’est pourquoi la foi en la Sainte Trinité, si elle est consciente, entraîne l’amour des uns pour les autres. Elle n’est pas une conviction pieuse, privée, éthérée mais une force qui répare nos relations, les renforce, les multiplie. Sortir pour se donner à l’autre pour l’aimer est se trouver et se personnaliser. Elle est de la sorte le grand facteur de la paix du monde.

Enfin, au coeur de nos limites et de nos péchés, gardons conscience de notre grandeur. Le croyant reste un pécheur mais il peut toujours demander la miséricorde du Père. Car le Fils de Dieu a offert sa vie pour nous pardonner : il nous montre ses plaies en nous disant « Paix à vous ». Et l’Esprit de Vie et de Lumière habite en nous. Et si nous nous sommes éloignés de cette foi, si nous sommes tombés dans les turpitudes, nous pouvons toujours revenir.

A la fin de sa vie, le poète Paul Valéry, incroyant, notait dans ses carnets : « Après tout personne avant saint Jean n’avait écrit que Dieu est Amour ».

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Dieu est Communion

Dialogue de Communion

La célébration d’aujourd’hui est une fête qui nous fait célébrer d’une manière unitaire ce que – de Noël et à la Pentecôte – nous avons contemplé comme les facettes d’un diamant. Aujourd’hui nous contemplons le diamant dans son ensemble.

Dieu n’est pas solitude, mais parfaite communion. C’est pour cela que la personne humaine, image de Dieu, se réalise dans l’amour, qui est un don sincère d’elle-même.

C’est un Dieu qui est amour et dialogue, non seulement parce qu’il nous aime et dialogue, mais parce qu’il est, Lui, un dialogue d’amour ;

Le théologien Romano Guardini écrivait à propos du signe de la croix :

  • « Nous le faisons avant la prière afin qu’il nous mette spirituellement en ordre. Il concentre en Dieu nos pensées, notre cœur et notre vouloir.
  • Nous le faisons après la prière, afin que ce que Dieu nous a donné reste en nous.
  • Le signe de la croix embrasse tout l’être, le corps et l’âme … Et tout est consacré au nom de Dieu »

… Si la Bible dit que nous devons vivre dans l’amour, dans le dialogue et dans la communion, c’est parce qu’elle sait que nous sommes tous « image de Dieu ». Rencontrer Dieu, faire l’expérience de Dieu, parler de Dieu, donner gloire à Dieu, tout cela signifie – pour un chrétien qui sait que Dieu est Père, Fils et Esprit – vivre dans une constante dimension d’amour, de dialogue et de don.

La Trinité, pour laquelle nos cœurs sont une demeure,  est communion d’amour, et la famille en est la première et plus immédiate expression. L’homme et la femme, créés à image de Dieu, deviennent dans le mariage “une seule chair”, soit une communion d’amour qui génère une nouvelle vie. La famille humaine est donc image de la Trinité pour l’amour entre les personnes et pour la mission de donner la vie.

La Trinité est un mystère vraiment lumineux : en nous révélant Dieu, ce mystère a révélé ce que nous sommes. Je dirais de plus, la vie chrétienne se déroule, du début à la fin, dans le signe et en présence de la Trinité.

A l’aube de notre vie, nous avons été baptisés « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », et à la fin, si nous avons la grâce de mourir chrétiennement, ces paroles seront récitées à notre chevet : « Pars, âme chrétienne, de ce monde : au nom du Père qui t’a créée, du Fils qui t’a sauvée, et du Saint Esprit qui t’a sanctifiée ».

Mgr Francesco Follo,
Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris,
Site : Religieuses trinitaires 1 06 2015