Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

13ème Dimanche – Année A – 28 juin 2020 – Évangile de Matthieu 10, 37-42

Évangile de Matthieu 10, 37-42

L’Évangile pour le monde

A la suite de dimanche passé, nous écoutons aujourd’hui la dernière partie du discours dans lequel Jésus présente ses directives de mission. Et d’abord nous rétablissons les 3 premiers versets que la liturgie a sautés.

Jésus cause de paix ou de guerre ?

N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix mais bien le glaive. Oui je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle fille de sa belle-mère ; on aura pour ennemis les gens de sa maison »

La déclaration est paradoxale et il serait idiot d’en conclure que Jésus a voulu le conflit et que sa religion est source de violence. Mais d’autre part il serait naïf d’imaginer que l’Évangile provoque l’unanimité et le bonheur d’un accord général.

Jésus est un doux mais il ne biaise pas avec la vérité, son message bouscule nos arrangements égoïstes, il sape nos idées toutes faites, il dissout nos rêves infantiles. Il appelle sans lésiner à un changement radical et nécessaire mais il ne force pas les libertés. Si bien que celui-ci accepte et l’autre refuse. Et les disputes éclatent déjà au sein même des familles. Un membre décide de ne plus être un baptisé conventionnel et d’appliquer les préceptes évidents de son Évangile : très vite il se heurte aux critiques, aux moqueries, aux colères des autres. Il espérait vivre dans la concorde et partager sa paix : voilà que des orages éclatent.

Grande alors est la tentation de céder, de faire des concessions ou de se taire afin de retrouver la paix du ménage. Danger très grave contre lequel Jésus va mettre en garde.

Conflits familiaux

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.

L’Évangile n’est pas un credo, ni une liste de lois, ni un catéchisme, ni un manuel liturgique, ni une méthode pour expériences mystiques. Il raconte l’histoire d’un homme qui révèle son identité mystérieuse à travers ses enseignements, ses actions et surtout par sa mort et sa résurrection. Et qui appelle à croire en lui pour avoir la Vie. Celui qui devient son disciple n’adhère pas à une idéologie religieuse mais se laisse prendre par l’amour que Jésus lui porte. Avant il croyait peut-être en Dieu : désormais il fait confiance, il aime celui qui le comble et qui est son Seigneur bien-aimé. La foi chrétienne est l’accueil d’une personne.

Cet amour vécu dans la foi ne supprime évidemment pas les liens affectifs les plus chers : au contraire la foi accroît la capacité d’aimer davantage. Mais si un proche très aimé, un parent ou un enfant, est crispé par cette foi en Jésus et propose des décisions contraires à l’Évangile, le disciple ne peut céder sous peine de trahir le lien créé par sa foi. Il souffrira de cette discordance mais elle sera parfois inévitable. Amour humain et amour divin ne consonent pas toujours. Ce sera la croix.

Où est la vraie vie ?

Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Car celui qui veut sauver sa vie pour soi la perdra ; qui perdra sa vie pour moi la gardera ».

La foi chrétienne n’est absolument pas un appel à la souffrance : elle est appel à « suivre Jésus » c.à.d. à prendre le chemin discerné par l’évangile. L’intention première de Jésus était de transformer l’humanité et de la libérer du mal : les hommes lui ont très vite signifié qu’ils ne voulaient pas de ses méthodes. Et Jésus a compris qu’il n’accomplirait le projet d’amour de son Père que par la croix qui lui était imposée et dont il ferait le foyer de son amour universel. Sur tout projet de vivre l’Évangile et de suivre Jésus plane immanquablement l’ombre de la croix.

Or plus que jamais la société nous martèle la nécessité d’être heureux : il faut profiter de la vie, goûter à tous les plaisirs, luxe, gastronomie, bateau, voyages, moyens de communication…L’égoïsme n’est pas un chemin d’épanouissement mais de mort : l’actualité nous rappelle encore ce que l’Évangile essaie de nous apprendre depuis des siècles.
« Celui qui perd sa vie pour moi la gardera ». Le disciple aime la vie, il sait apprécier les merveilles de la création mais s’il essaie vraiment, il fait l’expérience que le chemin des Béatitudes – folie aux yeux du grand nombre – lui apporte le véritable bonheur. Par sa vie donnée et crucifiée, il vit de la Vie éternelle.

« Nous qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été plongés…pour que nous menions une vie nouvelle…Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui …Pensez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ »
(Paul aux Romains 6 – 2ème lecture)

Accueillir les disciples

« Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste recevra une récompense d’homme juste. Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense »

Après avoir longuement parlé des rejets et même de la haine que rencontreront les disciples, le discours s’achève en soulignant l’honneur de ceux qui les accueilleront.

Car l’évangélisation va réussir. Certes elle se heurtera, partout et encore aujourd’hui, à des refus catégoriques, elle introduira des divisions au cœur des familles, elle se payera d’injures, de coups, de sang versé, mais toujours des cœurs s’ouvriront à ce message inattendu.

Des personnes de toutes conditions, parfois au parcours chaotique, s’émerveilleront d’entendre ceux qui leur annoncent la Bonne Nouvelle du pardon et de la Vie. Et il leur sera révélé, prêcheurs et auditeurs, tous pécheurs, qu’ils communient dans le même mystère du Christ Sauveur et de Dieu. Car la foi n’est pas devenir disciple d’une grande personnalité, ni même seulement de Jésus mais, par lui, devenir enfant du Père des cieux.

Celui qui reconnaîtra dans le disciple un prophète, c.à.d. un porte-parole de Dieu, sera lui-même comme un prophète. Idem celui qui percevra dans un disciple un homme juste, ajusté et justifié par Dieu, sera lui-même justifié.

Et le discours se termine magnifiquement. L’envoyé de Jésus ne survient pas comme un Ange étincelant, il n’est pas un génie bardé de diplômes, souvent il ne paye pas de mine, il ne se targue d’aucune supériorité : il est « un petit » qui sait qu’il a tout reçu. Pauvre, inconnu, méprisé, il est parfois assoiffé comme jadis Jésus au puits de Samarie. Mais celui ou celle qui noue une relation avec lui et qui lui offre un simple verre d’eau, sera récompensé au centuple. Ainsi le discours ne s’achève pas sur une note d’intolérance mais ouvre la porte du salut à tous ceux qui ne savent pas encore très bien se décider mais qui au moins ont bon cœur. Avec une joyeuse stupeur, ils apprendront qu’un jour ils ont offert à boire à Dieu.

Conclusion

Il semble que nous soyons en train de sortir de la crise sanitaire. Mais nous découvrons les ravages causés à l’économie mondiale et les perspectives de désastres immenses. Les chiffres d’infection du covits sont remplacés par les annonces de fermetures d’entreprises, de faillites et de mises au chômage de milliers sinon de millions de travailleurs. Beaucoup de voix se sont élevées pour appeler à un changement radical et ne pas retomber dans les erreurs passées. Mr Emmanuel Macron s’écrie : « Chacun de nous doit se réinventer ». Chacun en a-t-il envie ? Si oui comment le peut-il ?

Le discours de mission de Jésus n’a rien perdu de sa pertinence. Il est essentiel que nous vivions et fassions connaître l’Évangile, que nous le proclamions sans crainte, que nous attaquions les idoles de l’argent, de la cupidité, du repli sur soi. La foi en Jésus Seigneur n’enferme pas dans une piété douceâtre, dans le ronronnement de rites routiniers, dans l’enceinte protégée d’une Église inoffensive. Sans arrêt le pape nous presse de modifier notre style de vie, de rompre avec le gaspillage, de lutter contre l’écrasement des pauvres et la destruction de la planète. Les chrétiens osent-ils le changement indispensable ?

Jésus nous a prévenus : si vous faites ce que je vous dis, vous serez la cible de moqueries et de menaces sérieuses. Là est bien la preuve de notre efficacité. Comme des brebis au milieu des loups, au cœur du combat, témoignons du Christ. Car n’oublions jamais : c’est lorsqu’il a été abattu par les hommes que Jésus a ouvert le Royaume et envoyé l’Esprit, seul capable de nous « réinventer » et d’opérer le renouveau indispensable.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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