ÉVANGILE DE LUC 12, 13-21
«LE VEAU D’OR EST TOUJOURS DEBOUT»
Se passe-t-il un seul jour où un scandale n’éclate ?
Des nantis se font domicilier dans un pays étranger afin d’échapper à l’impôt.
Des multinationales détournent leurs revenus pharaoniques dans des paradis fiscaux.
Des politiciens acceptent des pots-de-vin et abusent des biens sociaux.
Des dirigeants corrompus amassent des fortunes gigantesques et laissent une grande part de leur peuple croupir dans la misère. Les plus grandes marques de luxe parisiennes battent leurs records de vente alors que des multitudes manifestent pour obtenir des conditions de vie décentes.Le nombre de milliardaires ne cesse d’augmenter, les aéroports débordent de millions de touristes tandis que des bâtiments de la Justice tombent en ruines, des hôpitaux manquent de personnel, des services publics se déglinguent, les restos du cœur débordent de demandes.
Et encore ! Tout cela ne dévoile que la pointe de l’iceberg. L’argent poursuit son règne de puissance fascinante, immense, criminelle. Le veau d’or est toujours debout.
Quelle est donc cette société déchirée où les richesses sont surabondantes et si mal réparties ? Pourquoi des hommes à l’air si respectable ne voient-ils pas que des filets de sang coulent au-bas de leurs coffres-forts ?
A la suite de tous les prophètes, Jésus parle souvent d’argent, surtout dans l’évangile de Luc qui nous guide cette année. Que nous dit-il aujourd’hui ?
NE PAS REGLER LES CHICANERIES
Situation classique, lieu habituel d’affrontements et de disputes : l’héritage. Deux frères ne parvenaient pas à s’accorder pour le partage équitable du patrimoine. L’un d’eux demande à Jésus de régler le problème. Mais il refuse tout net. Il ne veut pas s’immiscer dans l’embrouillamini des chicaneries. « Je ne suis pas votre juge pour faire vos partages » dit-il. C’est aux hommes à régler eux-mêmes leurs différends.
Mais il proclame un principe général qui doit inspirer toutes les tractations :
Jésus dit à la foule : « Gardez-vous bien de toute âpreté au gain car la vie d’un homme ne dépend pas de ses richesses ».
Certes nous ne voulons pas subir de préjudices et nous exigeons un partage équitable. Mais il est possible que les appréciations soient très différentes, et même inconciliables : l’un croit exprimer une revendication juste, l’autre estime être floué. Donc que l’on recoure à un tiers pour régler le problème au mieux.
Mais il faudra souvent consentir à des concessions, renoncer éventuellement à l’armoire de grand-mère à laquelle on tenait tellement. Accepter d’être la poire vaut mieux que de frapper et mettre l’autre dans les pommes. Le vrai vainqueur sera celui qui aura tout fait pour sauver l’entente fraternelle. Et que les belles-sœurs, s.v.p., ne jettent pas de l’huile sur le feu !
Et là-dessus Jésus poursuit par une parabole.
PARABOLE DU RICHE INSENSE
Il y avait un riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. « Je vais démolir mes greniers, en construire de plus grands, y entasser tout ce que je possède. Et je me dirai : Te voilà avec des réserves en abondance pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de la vie ».
Mais Dieu lui dit : « Tu es fou ! Cette nuit même, on va te redemander ta vie. Ce que tu auras mis de côté, qui l’aura ? »
Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même au lieu d’être riche en vue de Dieu »
Jésus n’a jamais exigé que l’on gagne tous la même chose. On peut être riche par héritage ou le devenir par une invention, application et ténacité dans le travail, chance ou réussite dans les affaires : ce n’est pas un crime.
Mais le problème se pose : que va-t-on faire ? Notre homme a bonne conscience : il n’a volé personne, il a payé ses ouvriers. Sa fortune est sienne, il peut en disposer à loisir. La force de l’argent, c’est qu’il chasse l’inquiétude de l’avenir, il assure, il promet tranquillité, jouissance, considération des voisins. Et il ne convainc jamais l’homme qu’il en a suffisamment..
Mais si l’homme a beaucoup, s’il a contracté une excellente assurance-vie, il n’est pas maître du temps. Subitement la mort peut survenir et tout s’écroulera comme château de cartes.
Que devient un être qui n’a plus d’avoir ?
Que devait faire le riche ? Non pas s’enfermer dans son luxe mais comprendre son devoir de partage. Car la richesse n’est pas une tare mais une responsabilité.
Dimanche prochain, nous entendrons le Seigneur revenir sur le sujet :
« Donnez des aumônes. Faites-vous un trésor inépuisable dans les cieux…Car là où est votre trésor, là sera votre cœur ».
Le mot aumône se réduit aujourd’hui à jeter une pièce à un mendiant mais, dans la bible, il se dit « tsedaka » qui signifie « justice ». Le possédant a le devoir moral de voir les malheureux et de leur venir en aide. Ce n’est pas charité mais justice. Le don certes diminue le compte en banque mais accroît le vrai trésor : la valeur authentique de l’homme devant Dieu. S’il est juste envers les pauvres, ceux-ci l’accueilleront près de Dieu qui est le Père de tous.
Une autre fois Jésus dira encore :
« Faites-vous des amis avec le Mamôn trompeur pour qu’une fois cet argent disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».
Ici Jésus personnifie l’argent : il l‘appelle, avec un mot hébreu, « MAMON ». L’argent n’est plus un objet utile pour régler les échanges, mais il devient un sujet, une puissance que l’on sert, dont on devient serviteur, et même esclave que l’on vénère comme un dieu à qui on dit « AMEN » c.à.d. « j’ai confiance en toi ».
Idolâtrie extrêmement grave ! S’il se laisse subjuguer par l’argent – parce qu’il donne assurance et fierté, qu’il permet plaisirs et jouissances -, l’homme s’enferme dans l’égoïsme. C’est absolument le contraire du Royaume du Père que Jésus propose où chaque personne est unique et a le droit à des conditions de vie ; où la dictature de la loi de la jungle fait place à la Loi de Dieu qui libère et crée la communauté ; où la terre est notre maison commune que nous respectons et qui nourrit tous ses habitants.
LA RACINE DE TOUS LES MAUX, C’EST L’AMOUR DE L’ARGENT (1 Tim 6, 10)
Nous avons bien des raisons de nous justifier : la vie augmente, la déco semble vieillotte, le nouveau modèle (voiture, portable) est plus performant, nous avons charge des vieux parents, les jeunes exigent beaucoup, les emplois sont vulnérables, l’avenir inquiétant…Tant de bons motifs pour nous accrocher à notre bien-être. A quoi s’ajoutent nos objections: nos dons seront-ils bien employés ? N’y a-t-il pas du gaspillage ?…
Si une certaine prudence est requise pour la gestion de nos affaires et si la charité doit être intelligente, il ne faudrait pas que cela cache « l’âpreté au gain » pointée par le Seigneur.
Une plus grande sobriété du train de vie et surtout un amour effectif des plus pauvres nous permettront de « nous faire des amis là-haut » et « de nous enrichir en vue de Dieu ».
Rêve utopique ? Puisque Bill Gates annonce qu’il donne des millions de dollars à des organismes culturels, peut-être ( ?), un jour, un milliardaire chrétien annoncera (avec modestie) qu’il offre (pour commencer)10 millions d’euros à une clinique pour lépreux tenue par des sœurs missionnaires dans un des coins les plus reculés du globe.
Frère Raphaël Devillers, dominicain