Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

16ème dimanche – Année B – 18 juillet 2021 – Évangile de Marc 6, 30-34

Évangile de Marc 6, 30-34

Les Verbes du Bon Pasteur

Si un collègue incroyant vous pose la question : « Que fait-on dans ta paroisse ? », je crains que vous soyez bien embarrassé : « Euh ? …On célèbre la messe du dimanche…le catéchisme des enfants…des baptêmes, des mariages, des funérailles…Il y avait des mouvements de jeunes mais je ne sais pas s’ils existent encore… ». Et si l’autre continue : « Et ton Église ? Tu as vu le journal tv ? Un fameux ramassis de scandales ! », vous resterez muet et gêné. Si des multitudes de baptisés se sont éloignés de l’Église, c’est d’abord parce que la société de consommation et de divertissement en a englués beaucoup dans les rets de son idolâtrie mais c’est également parce que d’autres n’en connaissent que les cérémonies et ce que les médias en disent. Pas attirant ! L’un d’eux me disait : « Alors que nous vivons dans un monde déboussolé où les questions essentielles abondent, comment se fait-il que vos liturgies soient de fades ritournelles ? On n’ y apprend pas à vivre dans l’actualité ».

Or Jésus n’a pas cherché à consoler par une routine religieuse : il proclamait l’événement-clef, le tournant de l’histoire : Dieu accomplit son projet de sauver l’humanité non par la puissance mais par la réponse libre de chaque homme s’ouvrant à ce projet en pratiquant la parole de Jésus. Et Marc nous a raconté qu’il a confié cette mission à des hommes ordinaires. Voici la suite du récit.

Réunion autour de Jésus

« De retour de leur mission, les Apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportent ce qu’ils ont fait et enseigné ».

C’est l’unique fois où Marc les appelle par ce nom qui signifie envoyé : un ambassadeur doit accomplir la tâche telle qu’elle lui a été confiée et évidemment il doit venir rendre compte de son travail. Il est plaisant d’imaginer cette scène des retrouvailles. Ces hommes étaient partis pleins d’appréhension : démunis à ce point, comment allaient-ils faire ?…De retour, les uns après les autres, ils se jettent devant le maître, s’embrassent et n’en finissent pas de conter leurs péripéties : en tel village, accueil amical et joie des guérisons, en tel autre, sarcasmes, injures, échec. « Pêcher les hommes » : quelle aventure, dure et enthousiasmante !

Comment vivre cela dans nos paroisses ? Comment cesser de vouloir une messe brève, un moment soi-disant sacré pour comprendre que l’on constitue une cellule d’un organisme universel chargé de l’entreprise la plus capitale de l’histoire ? Comment partager les nouvelles, écourter les bavardages, éteindre les rivalités ? Comment déployer les mille devoirs missionnaires : révéler l’Evangile, visite des personnes âgées, secours des malades, éducation des enfants, soutien au familles en difficulté, communications avec toutes les autres cellules d’Église ? Voyez la fierté de Paul éveillant la responsabilité et l’honneur de sa petite communauté de Corinthe perdue dans une ville de luxure et de violence. Leur prise de conscience était telle qu’ils étaient prêts à donner leur vie pour cet Évangile qui les comblait d’une joie inconnue. Ils seraient scandalisés de nous voir aller à la messe en dernière minute et de nous enfuir sans avoir rien appris et en n’ayant salué personne.

Le Repos Nécessaire

Jésus leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu ». De fait les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger. Ils partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l’écart.

Se jeter éperdument dans un travail échevelé est une grande tentation du monde moderne. Et dans une Église où les effectifs baissent en chute libre, on remarque que les prêtres et les militants âgés, surchargés de travail, tombent parfois dans le burnout. Solution de la société : s’enfuir le plus loin possible, avaler les km, s’engouffrer dans le carrousel des divertissements, se jeter dans la gastronomie. Passer de l’insignifiant à l’insensé ne repose pas l’âme mais l’abrutit.

Les apôtres de Jésus n’ont pas toujours mangé à leur faim, n’ont pas reçu un logis confortable, ont subi les intempéries ; ils ont parcouru de longues distances, ont été harcelés de questions, pressés dans des débats contradictoires, détestés et battus. La mission ne les a pas regrossis et beaucoup ont les traits tirés. Jésus remarque leur état et leur propose un repos. Non dans un parc d’attractions mais « à l’écart avec lui ». Fuir un peu les relations pour ne pas s’y noyer. Et se re-poser dans le centre, autour du Maître de Vérité.

Vacances ratées ?

Les gens les virent s’éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi aux entrailles envers eux parce qu’il étaient comme des brebis sans berger.

En quelque temps, avec son annonce du Règne de Dieu et surtout la multiplication de ses guérisons, la réputation de Jésus s’est partout répandue. En le voyant s’éloigner en barque, beaucoup tentent de le rejoindre et débarquent même avant lui. Au grand agacement des apôtres qui espéraient jouir d’un temps de vacances avec le Maître et qui se mettent peut-être à crier : « Rentrez chez vous : laissez-nous donc un peu tranquilles ».

Mais la réaction de Jésus est absolument différente. Il « voit » les gens dans leur vérité : non comme des casse-pieds à chasser avec colère parce qu’ils entravent son projet mais comme des hommes malheureux. Il est important de mieux traduire le verbe. Non « Jésus est saisi de pitié » – ce qui reste un peu mièvre. Mais « il est pris aux entrailles ». En hébreu le verbe a comme racine « rehem » qui signifie matrice : donc il exprime une réaction extrêmement profonde : loin d’une vague émotion comme celle que nous ressentons devant un triste spectacle mais une contraction de l’être d’une mère devant son enfant brisé. Dans les évangiles, ce verbe n’est utilisé que pour Dieu et Jésus.

Et quelle est la cause de cet ébranlement ? Non d’abord les maladies, les handicaps, la misère matérielle. Mais « ils sont comme des brebis sans berger ». Dieu est le véritable berger de son peuple, comme dit le psaume de ce jour, mais il appelle les rois, les grands prêtres, les responsables à remplir ce rôle en aidant le peuple à observer la Loi et à suivre le chemin de Dieu. Hélas ces hommes ne remplissent pas leur mission : il faut lire la diatribe du prophète Jérémie (1ère lecture) « Misérables bergers qui laissent périr et se disperser les brebis de mon pâturage !…Mes brebis se sont égarées et vous ne vous êtes pas occupés d’elles ! ». Donc les cérémonies du temple, les pèlerinages, les minutieuses observances ne parviennent pas à constituer un peuple uni et solidaire.

Et toujours selon Jérémie, Dieu ne voit qu’une solution : « Voici venir des jours où je donnerai à David un Germe juste. Il règnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice » (Jér 23). De la dynastie royale de David viendra donc un roi authentique qui parviendra à accomplir le projet de Dieu : créer un peuple fraternel, uni par les liens du droit et de la justice. La promesse reste indécise mais elle s’affirme dans la certitude.

Jésus en est conscient : il est ce Germe qui inaugure le Règne de Dieu. Comment ? Par sa Parole.

Enseigner la Parole

« Alors Jésus commença à les instruire longuement ».

Il ne faut évidemment pas comprendre le verbe avec son relent scolaire de donneur de leçons, d’apprentissage par cœur, de punitions mais comme révélation du chemin de la Vie. Donc comme réponse à notre soif de vérité, comme découverte de la lumière dans un monde plein de ténèbres que toutes les sciences ne dissiperont jamais. D’emblée, après avoir « proclamé » la sonnerie de l’Heure, Jésus s’est mis à « enseigner ». Dans les synagogues, au bord du lac, dans les villages, c’est son activité principale. Ce sera sa dernière : sur l’esplanade du temple – et elle lui vaudra la mort.

Jésus parle c.à.d. il se propose dans la faiblesse, en respectant la liberté de chaque conscience. « Que celui qui a des oreilles écoute ». A quiconque de se décider. D’attiser son attention en pressentant la valeur capitale du message, en vibrant d’une joie profonde allumée par la « Bonne Nouvelle ». Ou bien de hausser les épaules devant ce paysan et de se détourner de lui en ricanant.

Ce message semble simple, enfantin pour certains, énigmatique pour d’autres. Mais les paraboles incitent l’auditeur à questionner, à demander des éclaircissements si bien qu’elles font passer du messager à son porteur. Marc dit toujours « Jésus enseigne » sans jamais préciser le contenu : c’est précisément pour que le lecteur se remette sans cesse à lire son livre et ainsi apprenne à connaître et à aimer de mieux en mieux la personne de Jésus.

Jérémie accusait les prêtres de ne pas bien instruire le peuple mais celui-ci a-t-il envie d’écouter ? Peut-on imaginer des messes dominicales plus longues et mieux structurées afin qu’il y ait approfondissement de la vie évangélique, meilleure connaissance mutuelle des membres, prise en charge commune des responsabilités, partage des expériences missionnaires ?

Une meilleure écoute de l’Évangile est la condition indispensable du renouveau attendu de l’Église. Il tarde.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


Publié le

dans

par

Étiquettes :