Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

16ème dimanche ordinaires – Année C – 21 juillet 2019 – Évangile de Luc 10, 38-42

ÉVANGILE DE LUC 10, 38-42

ÉCOUTER LA PAROLE DE DIEU

Contrairement à son maître Jean-Baptiste qui menait une vie ascétique dans un lieu écarté où il attendait que les gens viennent à lui, Jésus d’emblée a décidé d’aller à la rencontre des gens à travers villes et villages de Galilée pour leur annoncer la Bonne Nouvelle. C’est au cœur du quotidien, au sein des rencontres et des tâches ordinaires, que vient le Royaume.

Prophète ambulant, Jésus acceptait les invitations, même de la part des pharisiens qui essayaient de le piéger par leurs questions insidieuses (7, 36 ; 11, 37 ; 14, 1).

Aujourd’hui l’évangile nous le montre recevant au contraire une hospitalité amicale et généreuse dans la célèbre scène avec les deux sœurs Marthe et Marie.

Son arrivée au village était inattendue, sa visite impromptue. Dare-dare, l’aînée, Marthe qui a tout l’air d’une maîtresse femme, prend les choses en main et décrète la mobilisation générale. Car il faut recevoir dignement cet hôte de marque avec la bande de ses apôtres qui ne devaient pas bien manger tous les jours. Branlebas général. Marthe improvise un menu et bientôt un arôme délicieux flotte dans la pièce. « Mmm’ » murmure Barthélemy en se léchant les babines.

Mais où est la petite Marie ? Marthe s’aperçoit que sa petite sœur ne collabore pas à la cuisine. Négligeant deux devoirs sacrés (nourrir les hôtes et rendre service), Marie est tranquillement assise par terre et elle écoute Jésus. Marthe surgit :

Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse toute seule à faire le service ? Dis-lui donc de m’aider.

La réponse de Jésus va la stupéfier :

Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée.

Chères Mesdames qui vous dévouez de tout cœur et tous les jours pour nourrir votre famille, ne soyez pas ulcérées par cette réplique. Jésus ne critique pas cet humble et magnifique labeur qui consiste à faire les courses, préparer des aliments, disposer la table (et souvent sans même recevoir de remerciements de la part des hommes – ces mufles !). Il est très important de préparer une nourriture saine et variée, d’aimer faire plaisir aux convives, de veiller à la réussite de ce moment où la famille se rassemble. Tant de choses se nouent à table !

Mais faut-il faire tant de tralala, s’échiner à tant de complications culinaires ? Jésus et ses amis sont des gens simples, ils ne cherchent pas un restaurant ***** : un seul plat leur suffirait.

Et plus profondément encore « une seule chose est nécessaire » : écouter l’enseignement de Jésus. Et c’est le génie de la petite Marie de l’avoir compris. Lorsqu’elle s’assied aux pieds de Jésus, ce n’est pas par fainéantise, pour laisser tout le labeur sur les épaules de sa grande sœur : c’est parce que c’est la position du « disciple » qui repose tout son corps pour n’être qu’oreilles toutes ouvertes à écouter le Maître.

Car si les prophètes et les rabbins n’acceptaient comme disciples que des hommes, Jésus a cette particularité d’accepter également des femmes. C’était une promotion révolutionnaire à l’époque.

ECOUTER LA PAROLE DE DIEU

L’activité essentielle de Jésus a toujours été, d’un bout à l’autre de sa mission, de parler, de proclamer son message, d’annoncer la Bonne Nouvelle, d’enseigner les richesses du Royaume.

Dès son baptême, il enseigne dans les synagogues (4, 15) ; par villes et villages il enseigne (13, 22) ; du début à la fin de ses derniers jours à Jérusalem, il enseigne dans le temple (19, 47 à 21, 37).

Dans sa première parabole, il compare son œuvre à celle d’un semeur qui sème, qui jette la Parole à tous vents : « La semence, c’est la Parole de Dieu » (8, 11). Cette parole doit être bien reçue par ceux qui l’écoutent mais elle peut être étouffée par des ronces c.à.d. « les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie » (8, 14).

Les soucis: c’est précisément ce dont Jésus fait doucement reproche à la pauvre Marthe : « Tu t’inquiètes pour bien des choses ». Croyant bien faire, elle s’enlisait dans les soucis de multiplier les plats et de fignoler tous les détails de sa réception.

N’est-ce pas encore l’ornière dans laquelle tombent aujourd’hui des multitudes de chrétiens ? Bombardés par les slogans publicitaires, ciblés par les médias, entraînés par la contagion des païens, ils perdent un temps fou dans des achats superflus, des chipoteries pour être à la mode, suivre les séries débiles de la TV, varier leur décoration, se divertir, chercher des placements avantageux. « Je n’ai jamais été aussi occupé » me glissait un retraité.

Marie, elle, a compris que s’il fallait bien accueillir les invités, la chose primordiale, quand on recevait Jésus, était de l’écouter, de se nourrir de sa Parole. Car s’il faut manger pour vivre, il importe plus encore d’assimiler son enseignement afin d’apprendre à vivre selon Dieu.

Une autre Marie, celle qui allait devenir la mère de Jésus, l’avait compris. Comment a débuté son aventure ? Elle a écouté une Parole, elle en a été chamboulée mais elle l’a accueillie et cette Parole est devenue en elle la Personne du Fils de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur : que sa Parole s’accomplisse » (1, 38).

Lorsqu’un jour, une femme a lancé à Jésus : « Oh qu’elle est heureuse ta maman ! », il lui a rétorqué : « Heureux surtout ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l’observent » (11, 28). Car les liens spirituels l’emportent sur les liens charnels : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (8, 21)

CONCLUSION

Cette scène n’est certes pas une dévalorisation des tâches ménagères et ne nous exhorte pas à entrer dans un ordre contemplatif. Elle nous rappelle l’exigence première, pour tout chrétien, d’être disciple c.à.d. d’écouter vraiment l’Evangile qui est la Parole de Dieu même.

En comblant tous nos besoins, en nous offrant des plaisirs toujours nouveaux, en nous emportant dans son rythme endiablé, en nous entraînant dans un torrent de nouvelles et de musiques, la société moderne nous « casse les oreilles ». Après nous avoir ébloui longtemps par ses réussites mondiales, voilà qu’elle avoue enfin que ses extravagances mènent la planète à la ruine totale.

L’urgence est indiscutable : revenir à l’essentiel : que nous dit Dieu ? N’avons-nous pas aménagé une vie religieuse à notre convenance : de vagues opinions héritées du catéchisme, des pratiques pas très dérangeantes, des bonnes manières, une morale des droits de l’homme ? Cette Eglise « soft » s’écroule. Il est besoin d’un tout autre engagement pour endiguer les forces de dissolution à l’œuvre.

Le Seigneur nous dit comme à Marthe : « Vous vous inquiétez pour trop de choses, vous vous perdez dans l’action. Une chose est nécessaire : créez des pauses de silence et longtemps, longtemps, écoutez l’Evangile dans sa crudité, sa nudité, son tranchant.

Ne croyez pas le connaître : accueillez-le comme une Parole neuve, vivante, un glaive tranchant. Ne vous reposez pas sur d’autres : creusez l’Evangile à votre façon, cherchez ce que vous n’y avez jamais perçu, inventez une réponse personnelle.

Ne décidez pas ce que vous devez faire pour Dieu : écoutez ce qu’il veut faire de vous.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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