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12ème dimanche – Année A – 21 juin 2020

Évangile de Matthieu 10, 26-33

Évangéliser parmi les contradictions

12ème Dimanche – Année A – 21 juin 2020 – Évangile de Matthieu 10, 26-33

Pape François. : La joie de l’Evangile


La résurrection du Christ n’est pas un fait relevant du passé ; elle a une force de vie qui a pénétré le monde. Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection réapparaissent. C’est une force sans égale.

Il est vrai que souvent Dieu semble ne pas exister : nous constatons que l’injustice, la méchanceté, l’indifférence et la cruauté ne diminuent pas. Pourtant, il est aussi certain que dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit.

Dans un champ aplani commence à apparaître la vie, persévérante et invincible. La persistance de la laideur n’empêchera pas le bien de s’épanouir et de se répandre toujours.

Chaque jour, dans le monde renaît la beauté, qui ressuscite transformée par les drames de l’histoire.

Les valeurs tendent toujours à réapparaître sous de nouvelles formes, et de fait, l’être humain renaît souvent de situations qui semblent irréversibles.

C’est la force de la résurrection et tout évangélisateur est un instrument de ce dynamisme.

Évangile de Matthieu 10, 26-33

Évangéliser parmi les contradictions


Après la longue série de dimanches de préparation et célébration du mystère central de Pâques, nous reprenons aujourd’hui la route ordinaire balisée par la lecture suivie de l’évangile de Matthieu. Celui-ci a bien structuré son livre en alternant des scènes de mouvements, où Jésus circule et agit, et des moments d’arrêts où il livre un grand enseignement. Rappelons donc le début.

Le nouveau prophète issu de Nazareth a rencontré très vite le succès et les foules se pressaient pour demander des guérisons. Aussi, dans son premier enseignement appelé « sermon sur la montagne », Jésus appelle au bonheur du Royaume mais à condition d’écouter sa Parole et de changer sa propre manière de vivre, ce qui signifie devenir disciple (chap.5-7). Ce mot n’a rien à voir avec discipline mais désigne celui ou celle qui accepte « d’apprendre », qui se met à l’école de Jésus et décide de suivre son enseignement.

Là-dessus Jésus reprend son itinérance à travers les villages de Galilée et partout il rencontre le malheur des hommes. Au point que Matthieu écrit cette très belle phrase : « Voyant les foules, il fut bouleversé aux entrailles parce qu’elles étaient harassées comme des brebis sans berger. Alors il dit à ses disciples : « La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux. Priez… ! » (9, 36). Cette réaction profonde de miséricorde permet d’introduire au 2ème grand discours qui est le « discours de mission » (chap.10).

Le projet de Jésus est donc d’emblée missionnaire. Il ne cherche pas à recruter le plus de gens possible, il n’est animé par aucun prosélytisme. L’unique motivation de la mission est le bouleversement du cœur devant l’épouvantable misère de l’humanité. Nous ne sommes pas une organisation religieuse avide d’accroître ses effectifs sous prétexte de faire du bien. N’est missionnaire que le disciple qui participe au cœur plein de tendresse de Jésus. « Les hommes meurent et ne sont pas heureux ».

La mission et les 12 Apôtres (10, 1-15)

Le texte lu aujourd’hui constitue la 2ème partie du Discours : aussi importe-t-il au préalable de rappeler le début.

Parmi les disciples qui s’étaient mis à le suivre, Jésus décide d’en appeler 12 selon le nombre des tribus d’Israël et, après leur avoir communiqué son pouvoir d’exorcisme et de guérison, il les envoie pour prolonger sa mission. Leur nom d’apôtre signifie « envoyé » et leur rappelle qu’ils sont des ambassadeurs tenus de faire exactement ce que leur Envoyeur leur a ordonné. Ils constituent l’unique niveau d’organisation voulue par Jésus.

Rappelons en bref les directives principales :

« En chemin » : comme leur Maître, les apôtres marchent, ils vont à la rencontre des gens.

« Proclamez que le Règne de Dieu s’est approché » : c’est la Bonne Nouvelle, la tâche essentielle. Comme Jésus, ils sont les hérauts qui annoncent la venue d’une réalité mystérieuse.

« Guérissez, purifiez, chassez les démons » : la mission est une lutte contre les forces maléfiques qui déchirent, rongent et tuent les hommes. Corps et âmes sont concernés. La mission n’appelle pas à souffrir pour gagner des mérites, ni à se résigner pieusement ni à « sauver les âmes ». Selon l’expression célèbre du pape François, « l’Église est un hôpital de campagne » : elle s’occupe des urgences, elle ne pose pas des conditions, elle se salit les mains. S’il faut dénoncer les scandales qui y éclatent, il est juste de rappeler l’œuvre colossale effectuée par des chrétiens contre toutes les maladies et les fléaux. Le monde reste en état d’appel en permanence. Il sera toujours fatiguant d’être chrétien et inadmissible d’être « un pratiquant » inerte.

« Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement ». Comme le maître, les apôtres ne peuvent exiger aucune rétribution. Tout est grâce.

« Pas d’argent, pas de sac, pas de réserve car l’ouvrier a droit à sa nourriture ». L’apôtre doit être un pauvre non par ascèse mais comme confiant dans la providence de son Père. Des cœurs s’ouvriront à sa parole et du coup ils ouvriront leur maison au missionnaire démuni. Ainsi d’emblée l’Évangile sera vécu en acte, dans l’hospitalité et le partage avec le pauvre. Le missionnaire offre le Pain de la parole de Vie et il reçoit son pain du jour.

Annonce des persécutions (10, 16-25)

Quel paradoxe tragique ! Ces hommes annoncent la Bonne Nouvelle, ils offrent le pardon, ils réconcilient, ils guérissent les malades et ils agissent avec un désintéressement total. ils devraient donc être accueillis à bras ouverts, félicités, remerciés. Pas du tout ! Certes ici et là ils seront écoutés, ils feront des conversions mais Jésus les prévient : maintes fois ils seront rejetés, détestés, arrêtés, livrés au tribunal. Au sein même des familles éclateront des disputes acharnées au point que certains dénonceront leurs proches jusqu’à les faire condamner à mort. « Vous serez haïs de tous à cause de mon Nom »…« A cause de moi » répète Jésus. Le disciple doit s’attendre à ne pas subir d’autre sort que celui de son maître.

« Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups : soyez rusés comme les serpents et candides comme les colombes ».
La comparaison nous fait prendre conscience de notre vulnérabilité : la brebis est un animal sans aucune défense. Son salut est de demeurer dans le troupeau qui se regroupe autour du bon berger. Malheur à celui qui se fie à ses qualités et qui veut faire cavalier seul.

Ne pas craindre (Évangile de ce dimanche 10,26-33)

Devant la perspective de menaces aussi dangereuses, la tentation sera évidemment de se taire, de réduire la foi à une opinion privée, à une vie de gentillesse et de service. Pour aider ses disciples à persévérer et à tenir bon jusqu’au bout, Jésus présente 4 arguments.

« Ne les craignez pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez, proclamez-le ».
Notre société sécularisée voudrait que la foi soit réduite à des mœurs convenables, à une conduite honnête, à quelques bienfaits au service des pauvres. Or l’Évangile est d’abord un message entendu de la bouche de Jésus, proclamé avec conviction, répercuté par tous les moyens de communication. Il ne faut pas céder à la pression de la dérision moderne et le réduire à une morale mesquine, aux droits de l’homme, aux liturgies, à la piété.

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps : craignez plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne ».
La crainte d’être tué ne peut être vaincue que par une crainte plus grande : la crainte de Dieu. L’amour d’obéissance à Dieu permet d’avoir le courage d’affronter les périls corporels. C’est notre Vie éternelle qu’il faut sauver.

« On vend deux moineaux pour un sou ; or pas un ne tombe sans que votre Père le sache. Soyez sans crainte : vous valez mieux que tous les moineaux ».
Voyez la nature et toutes ces réalités à qui Dieu donne la vie. Si des hommes vous ridiculisent, veulent vous faire taire, décident de vous supprimer, n’oubliez jamais que vous avez une valeur unique aux yeux de votre Père. Il vous connaît et n’ignore rien de ce qui vous arrive. Lorsque les hommes exécutent son Fils, il en fait le Seigneur du monde

« Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père des cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père des cieux ».
Le missionnaire proclame avec assurance la certitude de l’Évangile, il se présente comme l’avocat de Jésus, il refait son procès en cassation en démontrant qu’il n’était pas juste de le crucifier et que la victime innocente du Golgotha est maintenant le juge vivant qui pardonne. C’est pourquoi, lorsqu’il comparaîtra devant le Père, Jésus sera à son tour son défenseur.

S’il n’oublie pas ces 4 affirmations, le disciple pourra bien connaître la peur et même trembler d’angoisse (comme Jésus) mais il parachèvera la mission qu’il a reçue parce qu’il en connaît l’enjeu vital.

Conclusion

« Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Car si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? …

La vie s’obtient et se mûrit dans la mesure où elle est livrée pour donner la vie aux autres. C’est cela la mission.

…Que le monde de notre temps puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont, les premiers, reçu en eux la vie du Christ … » (Pape François – La Joie de l’Evangile - § 8-10)
Frère Raphaël Devillers, dominicain

Paul Clavier : L’argent doit être un lien, pas un bien !

Paul Clavier :
L’argent doit être un lien, pas un bien !

Dans Par ici la monnaie ! Petite métaphysique du fric (Cerf), le philosophe Paul Clavier s’interroge sur le rôle de la monnaie et notre rapport à l’argent. Alors que nous en avons fait un bien en lui-même, que nous voulons faire fructifier à tout prix, il nous invite à lui rendre sa mission première d’outil d’échange de biens et de services. – Extrait de son interview dans LA VIE du 5 juin 2020



Dans votre livre, vous prenez d’emblée le parti de ne pas accuser « la finance » mais d’inviter à l’examen de conscience. Pourquoi ?

L’esprit d’accusation sert souvent à se donner bonne conscience : on pointe du doigt le coupable, qu’on charge de tous les maux, sans se remettre en cause. À quoi bon accuser « la finance » ? Mais c’est nous aussi, la finance ! Notre mode de consommation, notre gestion de l’épargne, notre exigence de rendement monétaire coûte que coûte, notre peu d’enthousiasme pour des placements vraiment respectueux du travail humain et des ressources de la planète… Cessons de regarder la paille dans l’œil du financier et essayons de bouger la poutre qui obstrue notre regard sur l’argent.

Qu’est-ce qui ne va pas avec l’argent aujourd’hui ?

Chacun est conscient que nos choix sanitaires, écologiques, sociaux sont arbitrés par la gestion des déficits publics et privés. L’argent décide de tout, alors que, par destination, l’argent ne devrait être qu’un moyen d’échange des services et des biens réellement utiles. L’argent est un lien, indispensable dans toute économie qui dépasse l’autosubsistance, mais ce n’est pas un bien. Je n’ai pas dit : « l’argent ce n’est pas bien » ! Simplement, ce n’est pas un bien, ni une fin en soi : c’est un moyen. Machiavel l’avait bien vu : « L’homme ne croit s’assurer de ce qu’il possède qu’en acquérant davantage. » Sous prétexte de sécurité financière, nous réclamons toujours davantage de moyens, et nous perdons de vue la finalités de l’activité économique.

(…)

Il y a aujourd’hui un débat au sujet de l’annulation possible de la dette. Est-ce un simple jeu d’écriture qui ne change rien ou bien, au contraire, une occasion de remettre les compteurs à zéro ? Vous donnez notamment de l’économie chabbatique…

C’est une intuition assez remarquable, qui permet d’ailleurs de couper court aux odieux amalgames sur la « finance juive ». Dans l’institution du Jubilé, les Hébreux prévoyaient la remise périodique des dettes, tous les sept ans, lors d’une année de rémission, la shmitta. Et tous les 50 ans, c’est-à-dire toutes les sept fois sept ans, le Jobel, ou Grand Jubilé, prévoyait la redistribution des terres (ou des moyens de production). Autrement dit, vous étiez incité à tirer parti de ce que vous receviez, à développer votre activité, sans pour autant vous laisser tenter par un rêve d’empire économique indestructible. Inutile de songer à bâtir des entrepôts à l’abri desquels vous couleriez des jours solitaires dans l’abondance en oubliant vos frères humains.

Cette vision de l’argent, non plus comme une propriété mais comme un « commun », est-elle vraiment possible ?

Je consacre un chapitre entier à Simone Weil qui nous invite à « déconsidérer » l’argent, et suggère de « garder la monnaie comme comptable, mais de l’éliminer comme juge et bourreau ». Gaël Giraud, lui, préconise que la monnaie soit gérée comme une ressource commune dont l’usager est responsable, mais pas propriétaire. Cette ressource a bel et bien un usage privé (l’argent qui est dans ma poche ou sur mon compte n’est pas le vôtre) mais pas exclusif. Un peu comme l’eau dans un système d’irrigation agricole. Chaque parcelle reçoit et utilise une portion, au détriment des autres, mais l’ensemble est géré en commun. De même la monnaie peut être une ressource gérée en commun, même si elle est consommée individuellement.

Le rôle du système financier est justement d’allouer la monnaie en fonction de besoins réels de chacun et des intérêts de la collectivité, et non d’en faire un simple bien dans le commerce, soumis à la seule loi du marché.

Inutile de crier à l’utopie ! Le succès des monnaies sociales, ou même la pratique déjà répandue des chèques-repas et des chèques-vacances le montre. Ils rendent à la monnaie sa vraie vocation, qui n’est pas de construire des bulles en forme de pyramide, mais de mettre en rapport des besoins et des ressources.

L’argent ce n’est pas comme le vent : notre responsabilité est de savoir d’où il vient et où il va. Alors l’argent n’asservit plus et peut servir le bien commun.

À lire :
Par ici la monnaie ! Petite métaphysique du fric
de Paul Clavier
Cerf, 14€

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