header2

4ème dimanche de Pâques – Année A – 3 mai 2020

Évangile de Jean 10, 1-10

Le Pasteur est bon :
les brebis vivent libres

Le Bon Pasteur - Ravennes

Evêque Pasteur selon le pape François


Pour les nominations épiscopales : que les candidats soient des pasteurs proches des gens. C’est le premier critère…

Qu’ils soient des pères et des frères, qu’ils soient doux, patients et miséricordieux.

Qu’ils aiment la pauvreté intérieure comme liberté pour le Seigneur – mais également extérieure comme simplicité et austérité de vie.

Qu’ils n’aient pas une psychologie de princes ! Qu’ils ne soient pas ambitieux, qu’ils ne recherchent pas l’épiscopat.

Qu’ils soient capables de « surveiller » le troupeau qui leur sera confié, c’est-à-dire de prendre soin de tout ce qui le garde uni, de « veiller sur » lui, de faire attention aux dangers qui le menacent.

Mais surtout qu’ils soient capables de « veiller pour » le troupeau, de monter la garde, de nourrir l’espérance qu’il y ait du soleil et de la lumière dans les cœurs, de soutenir avec amour et patience les desseins que Dieu réalise dans son peuple.

( 21 juin 2013 )

Évangile de Jean 10, 1-10

Le Pasteur est bon : les brebis vivent libres


Cette célèbre parabole sur Jésus le Bon Pasteur forme la conclusion du chapitre 9 qui a raconté l’histoire de l’aveugle-né. Guéri par Jésus, l’homme a comparu devant le tribunal pharisien qui l’a exclu parce qu’il croyait en Jésus. Le chapitre se terminait par une dure apostrophe de Jésus contre ces pharisiens qui demeuraient aveugles à son sujet : « Votre péché demeure ! ». Le chapitre 10, que nous commençons aujourd’hui, explique par une parabole la portée générale de ce qui est en train de se passer. N’oublions pas que Jean écrit son livre plus de 50 ans après la Pâque de Jésus alors que, en dépit de l’hostilité farouche des autorités religieuses, bien des Juifs se convertissent à l’Evangile. Synagogue et Eglise se séparent.

La parabole de Jésus aux Pharisiens comporte deux parties dont chacune s’ouvre par un double « Amen », ce qui souligne d’emblée l’absolue certitude de l’enseignement de Jésus et la nécessité de le croire c.à.d. de changer de conception et baser sa nouvelle existence sur lui.


Jésus le véritable Pasteur

Jésus reprend une image classique dans l’antiquité : les rois et les dirigeants étaient souvent comparés à des bergers puisqu’ils avaient la charge de veiller à la vie et à la santé des hommes qui leur étaient confiés et de les défendre contre leurs ennemis.

Le portier d’Israël, dit Jésus, c’est Dieu et quand je suis venu, il m’a laissé entrer parce que je suis le Bon Berger qui vient chercher ses brebis.

D’autres viennent également mais avec des desseins mauvais. Ils se présentent comme des sauveurs, tiennent des propos séduisants, font miroiter des promesses de bonheur. Mais ce sont des ambitieux pervers. Les uns au fond ne cherchent qu’à s’enrichir, à bâtir une fortune colossale ; les autres prônent les moyens violents, parlent de révolution par les armes. Tous promettent la libération et ils conduisent les peuples à un esclavage encore pire.

Jésus, lui, se présente sans masque, homme pauvre, simple, sans dessein retors. Aucune cupidité ne l’anime et il est décidé à la non violence. Son arme unique est la parole. Il connaît bien ses brebis car elles lui appartiennent. Il ne mobilise pas les masses par des discours tonitruants, il ne hurle pas des slogans tissés de mensonge, il ne veut pas des supporters ou des fans à conduire par le bout du nez. Il s’adresse à chacun « par son nom » c.à.d. de façon personnelle et singulière. Ici un pêcheur, là un douanier, ici un centurion romain là un ancien zélote. Chacun est unique et peut raconter comment il a rencontré Jésus, comment il a perçu son appel. La foi n’est pas un enregistrement dans une organisation qui comptabilise le nombre de ses adhérents mais une « vocation » pour devenir librement un disciple de Jésus. Avant d’être sacerdotale, la vocation est laïque, à l’honneur de chacun.

« Il les fait toutes sortir…Il les conduit dehors ». Comme Pierre, Jean, Nicodème, Marie-Madeleine, l’aveugle-né vivait dans l’enclos de la Loi de Moïse ; dans d’autres pays, les hommes suivent une autre religion ; partout beaucoup se disent détachés de toute croyance mais ils sont enfermés dans les prisons de leur égoïsme, des habitudes ou des addictions. Dans tous les cas, l’appel de Jésus fait sortir, libère de tous les carcans, lance vers de nouveaux horizons.

On se souvient du cri de Paul qui était tellement fier d’être un pharisien impeccable, observant toutes les règles avec un zèle sans failles jusqu’à ce que le Seigneur l’appelle. Alors il écrit aux disciples tentés de se replacer sous le joug de la Loi : « Mes frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés » (Gal 5, 13).

Quand il a conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un inconnu, elles s’enfuiront loin de lui car elles ne reconnaissent pas la voix des inconnus.


Lorsqu’on est adepte d’une religion, d’une philosophie, d’une politique, on est sous la guidance des préceptes, des ordres, d’un programme. Toujours d’un texte auquel il faut obéir. Quand Jésus nous fait sortir de cela, on n’obéit plus à des recommandations, on écoute quelqu’un. Quelqu’un qui vous aime puisqu’il vous a appelé. Quelqu’un que vous ne voulez plus perdre puisqu’il vous conduit sur les chemins de la liberté. Quelqu’un dont vous n’avez plus peur mais à qui vous cherchez à faire plaisir.

Ecouter sa voix. L’Evangile n’est pas un catéchisme : c’est la voix du Pasteur qui connaît les bons pâturages et les points d’eaux, qui veille à l’unité, qui cherche la brebis égarée et la ramène au troupeau, qui soigne la brebis blessée. Que faisons-nous de l’écoute de l’Evangile ? Certains sortent de la messe du dimanche (phare de la semaine) et seraient incapables de le reconstituer. Beaucoup n’ouvrent jamais le livre des évangiles chez eux.

Or l’enjeu est grave, le péril permanent car des « voleurs et des brigands » rôdent et proposent d’autres chemins aux disciples. Il s’agit en permanence de rester sur ses gardes et de discerner où est la vérité. Le disciple qui a intériorisé l’Evangile sent d’instinct que telle voix enjôleuse le conduirait dans le ravin.
Tout cela nous paraît peut-être banal, connu. Mais Jean conclut ce premier enseignement par une remarque désabusée :

Jésus employa cette parabole en s’adressant aux pharisiens mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire.


Ces hommes ne sont ni athées ni débauchés. Ils croient, ils prient et pourtant ils ne saisissent pas ce que Jésus veut dire. Il va utiliser une autre image pour essayer quand même de se faire comprendre.


Jésus est la Porte

La libération spirituelle n’est pas le résultat de nos efforts, le fruit du développement personnel, la maîtrise de nos pensées. Il n’y a pas une méthode à appliquer mais une personne à approcher. Jésus est le moyen, le passage pour aller vers Dieu.

Je suis la porte…Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé : il pourra aller et venir et il trouvera un pâturage.


A nouveau Jésus se démarque des faux sauveurs, voleurs et brigands, assoiffés d’argent ou partisans de la violence meurtrière. Il est le passage unique et obligé pour découvrir le salut. Que veut dire ce mot que nous employons si souvent ? Deux choses.

« Aller et venir » est une expression biblique pour signifier la liberté. Le disciple reste faible, harcelé de tentations, capable de chutes mais l’amour du Bon Berger pour lui est tellement grand qu’il ne retombera jamais dans une prison. S’il va trop loin, son Sauveur ne cesse de chercher la brebis égarée pour la guérir par son pardon et la ramener à la communauté.

« Il trouvera pâture » car son Berger le conduira dans le champ des Ecritures, il lui fera entendre la Parole de Dieu qui nourrira son désir profond de vérité et de vie car « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu ». Dans une société où les médias nous bombardent de nouvelles, où la publicité nous hypnotise par la nouveauté de ses produits, par des images de jouissance parfaite, par les rêves de voyages lointains, bref par l’idéal du bonheur, le disciple fidèle découvre la vacuité de ces mensonges qui conduisent l’humanité à la catastrophe, comme on le constate de mieux en mieux.

Et Jésus termine par une affirmation magnifique où il exprime la grandeur exceptionnelle de sa mission :

Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire. Moi, je suis venu pour que les hommes aient la Vie, pour qu’ils l’aient en abondance.


A plusieurs reprises notre pape François a dit son étonnement de voir tant de chrétiens affichant une mine morose, sortant de la messe avec un air triste (il faut avouer que des célébrations respirent tout sauf la joie).

Et on connaît le cri célèbre de Nietzsche : « Il faudrait qu’ils me chantent de meilleurs chants pour que j’apprenne à croire en leur sauveur ; il faudrait que ses disciples aient un air plus sauvé ». (dans « Ainsi parlait Zarathoustra »).

Le disciple de Jésus n’est pas accablé de n’être pas en règle, il n’est jamais découragé par sa faiblesse, il n’est pas un prophète de malheurs, il ne fulmine pas contre la décadence de la société, il n’annonce pas le désastre imminent de la fin du monde, il ne regrette pas « l’Eglise d’hier », il n’est pas un « mouton de Panurge » qui bêle sur commande.

Il est un vivant. Jamais confiné. Cela le remplit de joie. Il est libéré.


Conclusion

Les représentations du Bon Pasteur sont souvent mièvres. Or il y va du salut de l’humanité. Grave !

L’Evangile en montre le contexte polémique : Jésus n’est pas compris par ses adversaires qui lui sont de plus en plus hostiles. Et il évoque des concurrents cupides, violents, égorgeurs…

Trouver sa voie, échapper aux prisons, suivre un guide sûr, demeurer libre, vivre, sur-vivre : quelles merveilles !

Chantons : « Le Seigneur est mon Berger : rien ne saurait me manquer… » (Psaume 23)



Frère Raphaël Devillers, dominicain

Les églises fermées, un signe de Dieu ?

Les églises fermées, un signe de Dieu ?

par Thomas Halik

Le Père Tomas Halik , ordonné prêtre clandestinement durant le régime communiste, professeur de sociologie à l’université de Prague, lauréat du Prix Tempelton, docteur honoris causa de l’université d’Oxford, nous livre une analyse décapante sur la fermeture des églises face au coronavirus. Son texte suscite déjà un débat en Europe et aux Etats-Unis.
Lors de grandes calamités, il est naturel de se préoccuper d’abord des besoins matériels pour survivre. Mais on ne vit pas que de pain. Le temps est venu d’examiner les implications plus profondes de ce coup porté à la sécurité de notre monde. L’inéluctable mondialisation semble avoir atteint son apogée. La vulnérabilité générale d’un monde global saute maintenant aux yeux. Quel genre de défi cette situation représente-t-elle pour le christianisme, pour l’Église et pour la théologie ?

L’Église devrait être un « hôpital de campagne ». Par cette métaphore, le pape veut dire que l’Église ne doit pas rester dans un splendide isolement, mais doit se libérer de ses frontières et apporter de l’aide là où les gens sont physiquement, mentalement, socialement et spirituellement affligés. Oui, c’est comme cela que l’Église peut se repentir des blessures infligées tout récemment par ses représentants aux plus faibles.

Si l’Église doit être un « hôpital », elle doit bien sûr offrir les services sanitaires, sociaux et caritatifs qu’elle a offerts depuis l’aube de son histoire. Mais en tant que bon hôpital, l’Église doit aussi remplir d’autres tâches. Elle a un rôle de diagnostic à jouer, en identifiant les « signes des temps ». Un rôle de prévention, en créant un « système immunitaire » dans une société où sévissent les virus malins de la peur, de la haine, du populisme et du nationalisme. Et un rôle de convalescence, en surmontant les traumatismes du passé par le pardon.


Les églises vides, un signe et un défi

L’an dernier, juste avant Pâques, Notre-Dame de Paris a brûlé. Cette année, pendant le Carême, il n’y a pas eu d’offices religieux dans des centaines de milliers d’églises sur plusieurs continents, ni dans les synagogues et les mosquées. En tant que prêtre et théologien, je réfléchis à ces églises vides ou fermées comme un signe et un défi de Dieu.

Comprendre le langage de Dieu dans les évènements de notre monde exige l’art du discernement spirituel, qui à son tour appelle un détachement contemplatif de nos émotions exacerbées et de nos préjugés, ainsi que des projections de nos peurs et de nos désirs. Dans les moments de désastre, les « agents dormants d’un Dieu méchant et vengeur » répandent la peur. Ils en font un capital religieux pour eux-mêmes. Pendant des siècles, leur vision de Dieu a apporté de l’eau au moulin de l’athéisme.

Je ne vois pas Dieu comme un metteur en scène de mauvaise humeur, assis confortablement dans les coulisses des événements. Je le vois plutôt comme une source de force, opérant chez ceux qui font montre de solidarité et d’amour désintéressé dans de telles situations. Oui, y compris ceux qui n’ont pas de « motivation religieuse » pour leur action ! Dieu est amour humble et discret.

N’avons-nous pas déjà été avertis par ce qui se passe dans de nombreux pays, où de plus en plus d’églises, de monastères et de séminaires se vident et ferment leur porte ?

Mais je ne peux m’empêcher de me demander si le temps des églises vides et fermées n’est pas une sorte de vision nous mettant en garde contre ce qui pourrait se passer dans un avenir assez proche : c’est à cela que pourrait ressembler dans quelques années une grande partie de notre monde. N’avons-nous pas déjà été avertis par ce qui se passe dans de nombreux pays, où de plus en plus d’églises, de monastères et de séminaires se vident et ferment leur porte ? Pourquoi avons-nous pendant si longtemps attribué cette évolution à des influences externes (« le tsunami séculier ») au lieu de comprendre qu’un autre chapitre de l’histoire du christianisme arrive à son terme et qu’il est temps de se préparer pour un nouveau ?
Cette époque de vide dans les bâtiments d’église révèle peut-être la vacuité cachée des Églises et leur avenir probable, à moins qu’elles ne fassent un sérieux effort pour montrer au monde un visage totalement différent. Nous avons beaucoup trop cherché à convertir le monde et beaucoup moins à nous convertir nous-mêmes par un changement radical de l’« être chrétien ».

Quand l’Église médiévale a fait un usage excessif des interdits comme sanction et que ces « grèves générales » de toute la machine ecclésiastique signifiaient que les services religieux n’avaient plus lieu et que les sacrements n’étaient plus administrés, les gens ont commencé à rechercher de plus en plus une relation personnelle avec Dieu, une « foi nue ». Les fraternités laïques et le mysticisme se sont multipliés. Cet essor du mysticisme a sans aucun doute contribué à ouvrir la voie à la Réforme. Non seulement celle de Luther et de Calvin mais aussi la réforme catholique, liée aux Jésuites et au mysticisme espagnol.

Peut-être que la découverte de la contemplation pourrait aider à compléter la « voie synodale » vers un nouveau concile réformateur.


Un appel à la réforme

Je ne vois pas en quoi une solution succincte sous forme de substituts virtuels serait une solution suffisante à l’heure où le culte public est interdit.

De même, pensions-nous vraiment répondre au manque de prêtres en Europe en important des « pièces de rechange » pour la machinerie ecclésiale à partir d’entrepôts apparemment sans fond en Pologne, en Asie et en Afrique ?

Nous devrions accepter l’actuel sevrage des services religieux et du fonctionnement de l’Église comme un kairos, une opportunité pour nous arrêter et nous engager dans une réflexion approfondie devant Dieu et avec Dieu.

Cet « état d’urgence » est un révélateur du nouveau visage de l’Église.

Nos paroisses, nos congrégations, nos mouvements et nos monastères devraient se rapprocher de l’idéal qui a donné naissance aux universités européennes : une communauté d’élèves et de professeurs, une école de sagesse, où la vérité est recherchée à travers le libre débat et aussi la profonde contemplation. De tels îlots de spiritualité et de dialogue pourraient être la source d’une force de guérison pour un monde malade.

La veille de l’élection papale, le cardinal Bergoglio a cité un passage de l’Apocalypse dans lequel Jésus se tient devant la porte et y frappe. Il a ajouté : aujourd’hui, le Christ frappe de l’intérieur de l’Église et veut sortir. Peut-être est-ce ce qu’il vient de faire.


Où est la Galilée d’aujourd’hui ?

Depuis des années je réfléchis au texte bien connu de Friedrich Nietzsche sur le « fou » (le fou qui est le seul à pouvoir dire la vérité) proclamant « la mort de Dieu ». Ce chapitre s’achève quand le fou va à l’église pour chanter Requiem aeternam deo et demande : « Après tout, que sont vraiment ces églises sinon les tombeaux et les sépulcres de Dieu ? »

Pendant longtemps, plusieurs aspects de l’Église me paraissaient de froids et opulents sépulcres d’un dieu mort. Beaucoup de nos églises ont été vides à Pâques cette année. Mais nous avons pu lire chez nous les passages de l’Évangile sur le tombeau vide.

Si le vide des églises évoque le tombeau vide, n’ignorons pas la voix d’en haut : « Il n’est pas ici. Il est ressuscité. Il vous précède en Galilée. » Où se trouve la Galilée d’aujourd’hui, où nous pouvons rencontrer le Christ vivant ?

Dans le monde, le nombre de « chercheurs » augmente à mesure que le nombre de « résidents » (ceux qui s’identifient avec la forme traditionnelle de la religion et ceux qui affirment un athéisme dogmatique) diminue.

En outre, il y a bien sûr un nombre croissant d’« apathiques » – des gens qui se moquent des questions de religion ou de la réponse traditionnelle qu’on leur donne.

La principale ligne de démarcation n’est plus entre ceux qui se considèrent croyants et ceux qui se disent non-croyants. Il existe des « chercheurs » parmi les croyants (ceux pour qui la foi n’est pas un « héritage » mais un « chemin ») comme parmi les « non-croyants », qui, tout en rejetant les principes religieux proposés par leur entourage, ont cependant un désir ardent de quelque chose pour satisfaire leur soif de sens. Là est la Galilée d’aujourd’hui.


À la recherche du Christ parmi les chercheurs

La Théologie de la Libération nous a enseigné à chercher le Christ parmi ceux qui sont en marge de la société. Mais il est aussi nécessaire de le chercher chez les personnes marginalisées au sein de l’Église, parmi ceux « qui ne nous suivent pas ». Si nous voulons nous connecter avec eux comme disciples de Jésus, nous allons devoir abandonner beaucoup de choses.

Il nous faut abandonner bon nombre de nos anciennes notions sur le Christ.
Le Ressuscité est radicalement transformé par l’expérience de la mort. Comme nous le lisons dans les Évangiles, même ses proches et ses amis ne l’ont pas reconnu. Nous n’avons pas à prendre pour argent comptant les nouvelles qui nous entourent. Nous pouvons persister à vouloir toucher ses plaies. En outre, où serons-nous sûrs de les rencontrer sinon dans les blessures du monde et les blessures de l’Église, dans les blessures du corps qu’il a pris sur lui ?

Nous devons abandonner nos objectifs de prosélytisme.
Nous n’entrons pas dans le monde des chercheurs pour les « convertir » le plus vite possible et les enfermer dans les limites institutionnelles et mentales existantes de nos Églises. Jésus, lui non plus, n’a pas essayé de ramener ces « brebis égarées de la maison d’Israël » dans les structures du judaïsme de son époque. Il savait que le vin nouveau doit être versé dans des outres nouvelles.

Nous devons apprendre à élargir les limites de notre compréhension de l’Église.
Nous voulons prendre des choses nouvelles et anciennes dans le trésor de la tradition qui nous a été confié et les faire participer à un dialogue dans lequel nous devons apprendre les uns des autres. Nous devons apprendre à élargir les limites de notre compréhension de l’Église. Il ne nous suffit plus d’ouvrir magnanimement une « cour des gentils ».

Le Seigneur a déjà frappé « de l’intérieur » et est sorti – et il nous appartient de le chercher et de le suivre. Le Christ a franchi la porte que nous avions verrouillée par peur des autres. Il a franchi le mur dont nous nous sommes entourés. Il a ouvert un espace dont l’ampleur et l’étendue nous donnent le tournis.

L’Église primitive des juifs et des païens a vécu la destruction du temple dans lequel Jésus priait et enseignait à ses disciples.
Les juifs de cette époque ont trouvé une solution courageuse et créative : ils ont remplacé l’autel du temple démoli par la table familiale, et la pratique du sacrifice par celle de la prière privée et communautaire. Ils ont remplacé les holocaustes et les sacrifices de sang par le « sacrifice des lèvres » : réflexion, louange et étude des Écritures. À peu près à la même époque, le christianisme primitif, banni des synagogues, a cherché une nouvelle identité propre. Sur les décombres des traditions, les juifs et les chrétiens apprirent à lire la Loi et les prophètes à partir de zéro et à les interpréter à nouveau.

Ne sommes-nous pas dans une situation similaire ?


Dieu en toutes choses

Quand Rome est tombée au début du Ve siècle, les païens y ont vu un châtiment des dieux à cause de l’adoption du christianisme. Les chrétiens y ont vu une punition de Dieu adressée à Rome, qui avait continué à être la putain de Babylone.
Saint Augustin a rejeté ces deux explications. Il a développé sa théologie du combat séculaire entre deux « villes » adverses : non pas entre les chrétiens et les païens, mais entre deux « amours » habitant le cœur de l’homme : l’amour de soi, fermé à la transcendance (amor sui usque ad contemptum Deum) et l’amour qui se donne et trouve ainsi Dieu (amor Dei usque ad contemptum sui).

La période actuelle de changement de civilisation n’appelle-t-elle pas une nouvelle théologie d’histoire contemporaine et une nouvelle compréhension de l’Église ?

« Nous savons où est l’Église, mais nous ne savons pas où elle n’est pas », nous a enseigné le théologien orthodoxe Evdokimov. Peut-être ce que le dernier concile a dit sur la catholicité et l’œcuménisme doit-il acquérir un contenu plus profond ? Le moment est venu d’élargir et d’approfondir l’œcuménisme, d’avoir une « recherche de Dieu en toutes choses » plus audacieuse.

Nous pouvons, bien sûr, accepter ces églises vides et silencieuses comme une simple mesure temporaire bientôt oubliée.
Mais nous pouvons aussi l’accueillir comme un kaïros – un moment opportun « pour aller en eau plus profonde » dans un monde qui se transforme radicalement sous nos yeux. Ne cherchons pas le Vivant parmi les morts. Cherchons-le avec audace et ténacité, et ne soyons pas surpris s’il nous apparaît comme un étranger. Nous le reconnaîtrons à ses plaies, à sa voix quand il nous parle dans l’intime, à l’Esprit qui apporte la paix et bannit la peur. »



THOMAS HALIK,
Publié dans « LAVIE » ce 24 avril 2020

Cliquez-ici

Abonnement gratuit sur simple demande adressée à r.devillers@resurgences.be

Merci de préciser vos nom, prénom, ville, pays et engagement éventuel en Église.

Toutes les homélies sont toujours visibles à l'adresse :

https://resurgences.be