header2

3ème dimanche de Pâques – Année A – 26 avril 2020

Évangile de Luc 24, 13-35

La Fraction du Pain d’Emmaüs

3ème Dimanche de Pâques – Année A – 26 avril 2020 – Évangile de Luc 24, 13-35

Pape François : Un virus pire encore !


… Le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent.
Il se transmet à partir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pour moi.

On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler sur l’autel du progrès celui qui est en arrière.
Cette pandémie nous rappelle cependant qu’il n’y a ni différences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles, tous égaux, tous précieux.

Ce qui est en train de se passer nous secoue intérieurement : c’est le temps de supprimer les inégalités, de remédier à l’injustice qui mine à la racine la santé de l’humanité tout entière !

Ne pensons pas uniquement à nos intérêts, aux intérêts partisans.
Saisissons cette épreuve comme une occasion pour préparer l’avenir de tous.

En effet, sans une vision d’ensemble, il n’y aura d’avenir pour personne.
Aujourd’hui, l’amour désarmé et désarmant de Jésus ressuscite le cœur du disciple. Nous aussi, comme l’apôtre Thomas, accueillons la miséricorde, salut du monde.

Et soyons miséricordieux envers celui qui est plus faible : ce n’est qu’ainsi que nous construirons un monde nouveau.

Pape François - Homélie du dimanche 19 avril 2020

Évangile de Luc 24, 13-35

La Fraction du Pain d’Emmaüs

En nous empêchant de nous assembler dans nos églises pour vivre les grandes cérémonies pascales, ce temps de confinement a suscité sur les médias une floraison de retransmissions de messes, de moments de prière et de méditation. Ces émissions, très utiles aux personnes qui ne peuvent plus se déplacer, ont certes un grand intérêt en ces circonstances mais ne seront jamais qu’un palliatif. L’Evangile de l’Incarnation et le précepte central de l’amour du prochain nous obligent à une foi concrète, aux rencontres, aux actes. La messe ne sera jamais un « like » entre amis sélectionnés.

C’est pourquoi, au lieu de nous renfermer dans une piété passive, ce temps devrait être un temps de réflexion personnelle. Pourquoi vais-je à la messe ? Comment est-ce que je la vis ? N’y aurait-il pas des changements à introduire ? Plus profondément encore : la Passion du Christ et sa Résurrection que nous venons de célébrer constituent-elles le cœur de ma foi ? Quelles questions me posent-elles ?

Sans révolte mais avec intelligence, ne devrions-nous pas oser réfléchir à ces questions ? Car pour quelle raison des multitudes énormes de baptisés ont-elles abandonné la pratique ? Pourquoi les jeunes générations n’acceptent-elles plus la transmission qui nous semblait si normale ? Il est insuffisant d’accuser les dérives de la société et le relâchement des mœurs. Dans l’antiquité, Corinthe était connue comme une des cités les plus dépravées du monde : Paul y est venu, ne l’a pas maudite et y a fondé une communauté tellement solide qu’elle perdure jusqu’à aujourd’hui.

A la suite de l’évangile de Jean sur Thomas, poursuivons donc en ce dimanche la réflexion sur Pâques et l’Eucharistie grâce au célèbre récit d’Emmaüs, chef d’œuvre de Luc.


1. La communauté désintégrée

Commencée par la joyeuse entrée de Jésus à Jérusalem, la semaine s’est achevée sur le désastre total : l’horreur épouvantable de la crucifixion. Pour les disciples le sabbat est un cauchemar. Le lendemain, écrasés, plusieurs d’entre eux, dont Cléophas et son ami, décident de repartir. Certes au petit matin quelques femmes sont venues dire que le tombeau était vide, que le cadavre avait disparu et que même une apparition leur avait assuré que le mort était relevé, vivant. Radotage incroyable. L’aventure est finie : on prend la route d’Emmaüs. Ce village n’est nommé qu’une seule fois dans la bible : c’est le lieu célèbre où, en – 165, Judas Maccabée a réussi à vaincre la puissante armée grecque de Nicanor qui venait avec l’intention de détruire radicalement Israël (1 Macc 3, 40).
Oui, nous avons eu tort de faire confiance à ce Jésus trop doux et innocent. Seule la violence peut nous libérer. Barabbas l’avait compris.

Aujourd’hui, en une cinquantaine d’années, des centaines de millions de baptisés occidentaux ont abandonné la foi et quitté l’Eglise. Comme toujours on a été séduit par la puissance : la science, qui ronge les vieilles légendes et offre des possibilités indéfinies, et l’argent qui permet de satisfaire le jaillissement incessant des envies et des désirs. L’histoire ne prouve-t-elle pas qu’ « au commencement est la force »?


2. Une nouvelle lecture des Ecritures

Parmi la foule des pèlerins qui rentrent chez eux après la Pâque, les deux disciples ruminent l’aventure extraordinaire qu’ils viennent de vivre. Abattus, effondrés, ils rappellent tous leurs souvenirs. Ils ont à peine fait attention à un homme qui les a rejoints et chemine à leur côté. Tout à coup il les interpelle : « Vous allez l’air si triste ? De quoi discutez-vous ? ». Et eux de raconter les derniers événements et la fin odieuse de leur maître. Il y a bien, dit Cléophas, quelques femmes du groupe qui ont annoncé que le tombeau était vide et elles prétendent même qu’un ange a affirmé que Jésus vivait. Comment gober pareilles balivernes ?

C’est alors que l’inconnu les conduit sur une autre interprétation des Ecritures. Comme tout Israël, vous attendiez l’intervention d’un Messie tout puissant qui allait écraser les ennemis, châtier les impies, établir un Israël glorieux. Mais d’autres passages évoquaient une figure absolument différente : un Messie pacifique, un agneau transpercé, un amour qui s’offre pour libérer l’humanité entière. Non une victoire par les armes mais une libération par amour…

Peu à peu, les certitudes des deux disciples s’effritent, des rayons de la vérité percent leurs ténèbres. Au fond n’est-ce pas cela que Jésus leur apprenait ? Ses enseignements apparaissent dans la lumière. La Passion infligée serait donc l’action de l’amour, la source d’une infinie miséricorde ? Jésus serait plus qu’un prophète ?

La résurrection serait donc possible ? Les Ecritures s’ouvrent à leur véritable signification.


3. La fraction du pain

Les échanges se sont poursuivis pendant tout le jour : on approche d’Emmaüs et le 3ème homme fait mine d’aller plus loin mais Cléophas le retient :

« Reste avec nous : le soir approche et déjà le jour baisse ». Il entra pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. Mais il avait disparu à leurs regards.


Longtemps sa Parole avait soufflé sur leurs cœurs refroidis : elle les brûlait d’une présence qu’ils ne peuvent plus perdre. La révélation culmine à table où le 3ème pénètre dans les deux pour les faire un en lui. Les disciples sont foudroyés d’une joie nouvelle: ils voulaient suivre un Messie conquérant qui changerait le monde. Et voilà que le Messie est en eux pour les transformer. Ils ne le voient plus : ils savent qu’effectivement il est entré « pour rester avec eux ». Définitivement. Il n’est plus à côté mais à l’intérieur. En eux.


4. La communauté intégrée


« A l’instant même, ils se lèvent et repartent pour Jérusalem. Ils trouvent les 11 apôtres et les autres qui leur disent : « Vrai ! Le Seigneur est ressuscité : il est apparu à Simon Pierre ». A leur tour ils racontent ce qui s’est passé sur la route et comment ils l’ont reconnu à la fraction du pain ».


La nuit est tombée mais il n’y a pas un seul instant à perdre. La fuite de Cléophas devient retour, « conversion » au sens hébreu du terme. Il faut rejoindre la communauté qui, elle aussi, vit un bouleversement.

Les femmes n’avaient pas fabulé : le crucifié est ressuscité, le mort est vivant. D’abord la croix avait fait éclater la communauté : la « fraction du pain », l’Eucharistie la reconstitue en une seule Eglise conduite par Pierre.


Méditer l’Evangile

Confinés, nous pouvons à notre aise réfléchir à cette magnifique page d’Evangile.

Beaucoup ont lâché la pratique du dimanche : j’en fais peut-être partie. Que serait une foi figée dans un carcan de certitudes ? L’idéal de la paix, les droits de l’homme, le souci des handicapés, la politesse : on est tous d’accord. Mais la croix et la résurrection ? Or tout en dépend. Sinon on en reste à un plan moral.

La foi n’est pas un catéchisme mais une histoire. La Bible raconte les recherches tâtonnantes, les erreurs, les péchés épouvantables des hommes qui en appellent à un Dieu. Non un Tout-Puissant écrasant. Non un Juge implacable.

Jésus vient après des siècles de l’histoire d’un peuple qui a compris que le temps n’est pas un cercle, une fatalité absurde. Que l’humanité ne peut s’accomplir par ses seules ressources. Qu’elle a besoin d’un Dieu sauveur. La Bible est le livre de l’espérance du salut.

Le salut est-il national, politique, sanitaire, financier ? Limites très insuffisantes si je contemple mon enfant mort. L’amour ne postule-t-il pas l’éternité ?

L’amour au sommet, l’amour total n’est-il pas le don sans reprises, le pardon sans limites ? Plus encore n’est-il pas celui qui nous demeure toujours alors que nous l’avons mille fois renié ? Celui qui ressuscite lorsque nous l’avons assassiné ? Celui qui nous retire de l’enfer de nos haines et de nos injustices ?

Jésus est celui-là. Homme inscrit dans un moment du temps, chassé de l’histoire par la méchanceté et l’ignorance des hommes, il y revient ressuscité. Et il invente la merveille. Il nous rejoint sur la route où nous marchons souvent écrasés de tristesse, lourds de nos déceptions, rongés par notre culpabilité, retournant sans fin des questions sans réponse.

« Que vous êtes lents à comprendre ». Ne cherchez pas des méthodes mystiques, n’attendez pas d’être parfaits, ne construisez pas des lieux sacrés. Dans votre cuisine, invitez-moi et mettons-nous à table. Ne préparez pas un menu gastronomique et le champagne. Soyons simples. Un quignon de pain, une gorgée de vin. Mais c’est moi qui vous invite, qui rompt le pain et vous tend la coupe. « Prenez : mangez…buvez : ceci est mon Corps … ».

Car mon corps n’est pas dans le tombeau : maintenant c’est vous qui l’êtes. Voyez ce Christ répandu dans une communauté qui traverse espace et temps. Et qui incarne à tout instant confiance, réconciliation, paix, justice.
Emmaüs n’est plus souvenir d’une guerre mais mémoire actuelle du Dieu-avec-nous.

Chaque dimanche, nous commençons la semaine et le Seigneur nous recrée. Les morceaux fractionnés que nous sommes deviennent son Corps unique. Nous ressuscitons en Lui. La foi devient amour.



Frère Raphaël Devillers, dominicain

L’autre pandémie

L’autre pandémie

par Frédéric Loore

Ma femme est infirmière. Elle travaille dans l’un des grands CHU de Wallonie. Durant des années, elle est rentrée le soir complètement exténuée, au terme de journées marathon qui succédaient les unes aux autres. Très régulièrement, au cours de son service, elle n’avait eu le temps ni de s’asseoir, ni de manger, ni même d’aller aux toilettes certains jours.

Victime du manque constant de personnel dans son unité, il lui fallait prodiguer des soins à la chaîne, s’efforçant malgré tout de les administrer selon l’art de sa profession, à défaut trop souvent de ne pouvoir y ajouter ce qui fait pourtant la beauté et la dignité de ce merveilleux métier de soignant : saisir la main ouverte d’un patient en détresse, s’asseoir cinq minutes sur son lit pour le réconforter ou simplement l’écouter, s’arrêter pour rassurer des proches inquiets…

Pas le temps pour le supplément d’âme. Courir. Foncer. Se hâter. Urgence à tous les étages. L’habitude avait creusé l’ornière.

Le sous-effectif chronique n’était pas l’unique gangrène du monde hospitalier mis en coupe réglée par des comptables-inquisiteurs qui avaient pour mission de contingenter la souffrance, de convertir les malades en quotas et de ramener l’humain à des formules de tableaux Excell.

Non, on la forçait également à trahir le beau serment de Florence Nightingale - « … Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour maintenir et promouvoir les standards de ma profession... » - en privilégiant les actes les plus rentables, en multipliant les procédures administratives débilitantes, en raccourcissant les séjours de patients poussés vers la sortie et condamnés à soigner leurs complications en ambulatoire, en fermant des services jugés non profitables. Au bout du compte, le malade payait l’addition. (…)


Vers le burn-out

Le temps passant, elle était de plus en plus oppressée. C’était dû aux journées harassantes certes, mais plus encore au double carcan administratif et budgétaire sans cesse resserré autour de sa blouse blanche qui comprimait son souffle vital. Autour d’elle, les rangs s’éclaircissaient. Démissions, burn-out, dépressions, suicides. Les places laissées vacantes le restaient.

Le bilan comptable avait meilleure mine et les rescapées tiraient un peu plus sur la corde pour pallier les défections. Il arrivait cependant qu’on doive procéder à de nouveaux engagements. Dans ce cas, des aides soignantes promues à la va-vite faisaient avantageusement l’affaire.

Chaque jour, elle repartait en « première ligne » comme l’on dit aujourd’hui du haut des balcons où l’on applaudit tous les soirs à 20 heures les « héroïnes ». La coulée de plomb qui obstruait sa gorge avait au moins l’avantage de lui épargner la faim que son temps de midi, sans cesse raboté, ne lui permettait plus de combler. Pourtant, jamais un jour de grève. Pas même un arrêt de travail. Les femmes en blanc goûtent peu les piquets, les barrages et les revendications autour des braséros.
« Mes patients ont besoin de moi », disait-elle. En psychologie, on appelle ça de la « fatigue compassionnelle ».

Alors, elle a tenu tant qu’elle a pu. Son corps la mettait au supplice pour qu’elle arrête, mais sa tête ignorait volontairement les signaux de détresse. Un jour, tout a lâché. Grillée. Epuisée. « Burn out » a conclu le médecin du travail dont le diagnostic était écrit à l’avance. La clinique de l’usure avait fait une malade de plus.


Fraude et Paradis fiscaux

Moi, pendant toutes ces années, j’étais journaliste. J’enquêtais sur les dossiers financiers. Les coups fumants de la criminalité en col blanc. De « Clearsteam » aux « Dubaï Papers », en passant par les affaires « Kredietbank », « sociétés de cash », « Offshore Leaks », « HSBC » ou encore « Kazakhgate », parmi d’autres embrouilles mafieuses. Je découvrais les circuits parallèles de la finance opaque, les réseaux de blanchiment, les procédés de dissimulation. Je voyais les milliards disparaître par tous les points aveugles de la planète financière.

Je bossais également sur la fraude sociale organisée à grande échelle, sur le dos de dizaines de milliers de travailleurs clandestins transformés en nouveaux esclaves, terrés dans la Belgique des sous-sols et des arrière-cours. Là encore, je voyais des sommes folles aspirées par le trou noir de l’économie souterraine.

Et puis, il y avait l’évasion fiscale ordinaire. Celle que des multinationales, des grands patrons, de riches héritiers et des détenteurs de portefeuilles garnis parviennent à faire passer pour de l’ « optimisation légale », grâce à l’enfumage réussi par leurs bataillons d’avocats, de fiscards, d’experts-comptables, de réviseurs et de sociétés de conseil, payés à prix d’or pour transformer les vessies en lanternes.

Durant tout ce temps, j’ai vu de trop rares procès se solder par la « prescription » ou le très commode « dépassement du délai raisonnable », obtenus grâce aux manœuvres dilatoires que certains appellent les « droits de la défense ». J’ai vu des enquêtes laminées, des services de police démantelés, des juges privés de moyens, des flics écœurés, des législations avortées, des commissions d’enquête parlementaires mortes nées.

Ces montagnes de fric auraient dû renflouer les caisses d’un Etat démonétisé au point qu’il ne puisse plus financer correctement l’une de ses missions régaliennes : la santé. Au lieu de ça, elles ont accouché d’une souris par la volonté (ou l’absence de volonté) d’une grande partie de ceux qui se posent en garants de cet Etat.

Ces jours-ci, j’entends certains responsables ventriloqués par les gourous du capitalisme financier, ânonner leurs théories prêtes à penser sur l’économie de la santé. J’entends ceux qui prétendent depuis des années mettre la lutte contre la délinquance financière et la fraude organisée en tête d’un programme qu’ils n’ont jamais appliqué, s’indigner que l’on ait métamorphosé un bien commun en bien marchand.

Tour à tour, ils se dédouanent de la politique d’austérité qui a conduit les hôpitaux au bord du gouffre, ils nous rabâchent que le budget de la santé a été gonflé, ils martèlent que les rangs du personnel soignant ont même grossis, ils se rengorgent en vantant les mérites de notre si merveilleux système hospitalier. En théorie, ils ont sans doute raison. Car en théorie, il est certainement possible de démontrer qu’un éléphant peut demeurer suspendu par la queue à une pâquerette.

Mais sur le terrain, à la lumière des scialytiques, personne n’est dupe. Parce que le réel ne ment jamais. Ils ont beau agiter leurs fétiches empruntés aux sorciers de la technostructure, l’illusion n’opère plus. Car on sait dans les cliniques, dans les maisons de repos, dans les institutions de soins que la culture du rendement et de la productivité dominent jusqu’à réduire l’humain (le corps médical, infirmier ou celui des patients) à sa seule dimension technique, matérielle et financière.

Puisqu’ils aiment tant les inventaires et les exercices comptables, il leur reste à faire le décompte des morts causées par l’autre pandémie : la marchandisation de la santé.



Frédéric Loore « Entre les lignes »

Saint Paul : Lettre aux Galates


Sur notre site www.resurrexit.be, vous pouvez recevoir chaque jour un commentaire suivi de la Lettre aux Galates de S. Paul.
Cliquez-ici

Abonnement gratuit sur simple demande adressée à r.devillers@resurgences.be

Merci de préciser vos nom, prénom, ville, pays et engagement éventuel en Église.

Toutes les homélies sont toujours visibles à l'adresse :

https://resurgences.be