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30ème dimanche – Année A – 25 octobre 2020

Évangile de Matthieu 22, 34-40

Aimés pour Aimer

30ème Dimanche – Année A – 25 octobre 2020 – Évangile de Matthieu 22, 34-40
Georges Bernanos (1888 – 1948)
Il est plus facile que l’on croit
de se haïr.

La grâce est de s’oublier.
Mais si tout orgueil était mort en nous,
la grâce des grâces serait
de s’aimer humblement soi-même,
comme n’importe lequel
des membres souffrants de Jésus-Christ.

L’enfer, c’est de ne plus aimer.

On ne marchande pas avec le bon Dieu,
il faut se rendre à lui sans conditions.
Donnez-lui tout, il vous rendra plus encore.

(Journal d’un curé de campagne)

Évangile de Matthieu 22, 34-40

Aimés pour Aimer

L’effervescence grandit dans Jérusalem envahie par des dizaines de milliers de pèlerins tout joyeux de se préparer à la Pâque, grande fête de la libération. Sur l’esplanade du temple, ils peuvent remarquer un homme simple qui parle sans falbalas, qui raconte des petites histoires où il tente de dire comment vient le Royaume de Dieu. Beaucoup le voient comme un rêveur, certains se demandent s’il serait le messie. Mais les autorités religieuses – qu’il ose critiquer - cherchent à le décrédibiliser . 4 scènes de débats se succèdent : voici la 3ème. Des Pharisiens tiennent un conciliabule et délègue un des leurs, un légiste, un spécialiste des lois, pour lui poser une question débattue dans leur milieu.

Un Pharisien, docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »


Le cœur de la foi d’Israël bat dans la Torah, le livre des saintes Écritures qui rapporte toutes les volontés de Dieu. Les rouleaux sont lus et vénérés dans le temple et les synagogues. La fonction des docteurs de la loi revêt une importance capitale car ils ont mission d’étudier les textes en permanence pour en découvrir tous les sens, les expliquer au peuple afin que la connaissance conduise à une obéissance parfaite. On peut y découvrir des centaines de prescriptions (plus tard, au Moyen-Âge, le grand docteur Maïmonide en dénombrera 613). Mais dans cet amas de lois, il doit y avoir un ordre, on doit pouvoir distinguer ce qui est le plus important. Quel est donc le principe essentiel ?: la question était débattue dans les écoles des scribes et des légistes et c’est celle que le docteur pharisien vient poser à Jésus.

Le Primat de l’Amour


Jésus lui répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout esprit ». Voilà le grand, le premier commandement.


Sans hésiter Jésus pointe tout de suite le verset du Deutéronome que tout Juif – aujourd’hui encore – doit prononcer dans sa prière matin et soir, la profession de foi fondamentale :
« Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc .... »(Deutér. 6, 4).

Qui donc est Dieu ? On peut adorer une Puissance transcendance, on a peur d’un juge implacable mais on peut aimer le vrai Dieu au nom ineffable de YHWH qui s’est révélé à Israël comme le Dieu « lent à la colère et plein de tendresse et de miséricorde ». Il a libéré les esclaves hébreux en Égypte, parlé à Moïse, fait alliance avec ce petit peuple, lui a révélé le véritable code de conduite de l’humanité, l’a conduit avec sollicitude et donné une terre. Donc l’amour premier est celui de ce Dieu. Il faut d’abord écouter sa Parole dans l’Écriture pour perdre les fausses idées que nous nous forgeons et le découvrir, seul Dieu authentique.

Ce Dieu UN nous aime absolument donc notre amour-réponse ne peut être que total. La vie a alors un sens : se diriger vers celui qui, le premier et sans mérite de notre part, nous a manifesté en acte son amour. On ne peut cantonner la foi dans quelques pauses pieuses, des rites religieux, une croyance vague et cachée. Dans la Bible, « cœur » ne désigne pas l’affectivité, l’émotion passagère mais le tout de la personne, le centre d’où il dirige sa vie et prend ses décisions. L’âme, c’est l’élan vital. L’esprit : l’activité raisonnable, la façon de réfléchir.
La foi est écoute qui éveille l’amour qui se traduit en actes. Notre malheur est dans notre éparpillement, nos déchirures en désirs opposés. L’amour de Dieu nous unifie. L’ordre ne nous écrase pas : il met « de l’ordre » dans notre existence.

Tel est bien le grand commandement mais il dérive immédiatement sur un second commandement dont il est inséparable.

Amour de Dieu et amour de l’autre


Et voici le second qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».


Tout de suite Jésus ajoute une autre citation qu’il va chercher dans le livre du Lévitique (19, 14). Le commandement de l’amour pour Dieu est bien « le grand, le premier » mais il enchaîne tout de suite sur l’amour du prochain. Un amour très pratique : ne pas moissonner l’entièreté de son champ mais laisser une part pour le pauvre et l’émigré ; ne pas exploiter le prochain et ne pas le voler ; rendre des jugements justes sans favoriser le grand ; n’avoir aucune pensée de haine contre son prochain. On ajoute le même ordre à l’égard de l’émigré qui est venu s’installer dans le pays : « Tu aimeras l’émigré comme toi-même car vous-mêmes avez été émigrés en Égypte » (19, 34).

On remarque que ces actions sont « sociales » afin d’accomplir les exigences de droit et de justice que les prophètes ont toujours exigées. Et on se rappelle l’entrée fracassante de Jésus lorsqu’il voulut purifier le temple : le culte y était parfaitement célébré mais ne provoquait pas la conversion des participants. L’amour pour Dieu ne se roucoule pas dans le chant mais travaille dans le champ de la vie.

Et comme notre grande tentation est d’en rester à de bonnes intentions, de caresser des pensées pieuses ou de fabuler sur des projets que nous ne réaliserons jamais, il nous faut sans cesse entendre l’appel aux actes. Ainsi tout au long de son évangile, Matthieu insiste toujours sur la nécessité du « faire » : «Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur » : il faut faire la volonté de mon Père » (7, 21)

Tout est suspendu à l’amour


Tout ce qu’il y a dans l’Écriture (la Loi et les Prophètes) dépend de ces deux commandements ».


Ces deux commandements ne sont pas seulement en tête de la liste des prescriptions que l’on peut dénombrer dans la Bible : ils sont comme le double crochet auquel toute la Révélation est suspendue. Construire des édifices sacrés, y célébrer un culte fastueux, prêcher, écrire des commentaires bibliques, organiser des œuvres sociales, partir en mission, organiser des pèlerinages, décorer sa demeure d’insignes religieux... : tout doit être voulu et réalisé par amour de Dieu et pour que le prochain, surtout le pauvre, soit aimé.

Matthieu termine la scène sur cette déclaration : Marc et Luc ajouteront que le scribe était tout à fait d’accord avec cette réponse de Jésus. Ainsi tous les essais de prendre Jésus au piège échouent : sur le plan de la Loi, les adversaires n’ont rien à lui reprocher et Matthieu notera : « Depuis ce jour-là, nul n’osa plus l’interroger » (22, 46). Et cependant deux jours plus tard, le complot va réussir : à la veille de la Pâque, Jésus sera arrêté, condamné et exécuté sur une croix.

Quand l’amour de Dieu et l’amour des hommes « se croisent », le cœur transpercé devient source de vie pour les autres.

La Nouvelle Alliance

Après sa résurrection et le don de l’Esprit de Dieu, toute l’histoire va s’éclairer et l’Amour éclate dans son sens plénier. Jésus devient « la Bonne Nouvelle », l’Évangile, la source de la joie.

En conscience Jésus a donné sa vie pour nous libérer du pire esclavage : celui du péché qui ravage tout homme et cherche à le tuer. Nous ne sommes pas sauvés par des sacrifices d’animaux mais par celui de l’Agneau de Dieu.

Par le don de l’Esprit, nous sommes transfigurés : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes » (1 Jean 3, 1)

Tout croyant, avec sa médiocrité, sa petitesse, ses tendances au mal, peut s’aimer lui-même : « Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal 2, 20).

Les croyants ne sont plus un peuple singulier enfermé dans ses frontières mais un peuple universel : « Par la foi, vous êtes fils de Dieu en jésus Christ. Il n’y a plus juif et Grec, esclave et homme libre, homme et femme. Tous vous êtes un en Jésus Christ » (Gal 3, 26)

L’amour reçu du Père se diffracte en amour mutuel : « Désormais nous connaissons l’amour : Jésus a donné sa vie pour nous : donc nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jean 3, 16).

Une Loi : l’amour. « Je vus donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez, vous aussi, vous aimer les uns les autres ». (Jean 13, 34)

Et qui est le prochain à aimer ? Le Samaritain a donné la réponse définitive : se faire soi-même proche et secourable pour celui qui est tombé, qui a mal, qui souffre, qui est seul.

Et tout à la fin du temps de la Révélation, Jean osera écrire ce qui n’avait jamais été écrit par personne sur la terre : « Dieu est Amour : qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu » (1 Jean 4, 3)



Frère Raphaël Devillers, dominicain

« Tous Frères » du pape François

« Tous Frères » du pape François

Un texte à lire et à mettre en pratique pour l’archevêque anglican de Canterbury
L’archevêque de Canterbury et primat de la Communion anglicane Justin Welby commente la dernière encyclique du Pape François “Fratelli tutti”, soulignant la richesse du texte et l’esprit d’ouverture manifestée par le Saint-Père, «dans une optique profondément chrétienne et inspirante».

Une vision «claire, passionnante et ambitieuse du rôle de l’amitié et de la solidarité humaines comme base d’un meilleur ordre mondial futur»: c’est en des termes enthousiastes que Justin Welby décrit l’encyclique Fratelli tutti.

Une voix modérée et ancrée dans le Christ

Le primat anglican insiste sur l’équilibre qui se dégage du texte du Pape François, lequel «entrelace les thèmes de l’individuel et du social, et souligne leur nécessaire interdépendance, rejetant les extrêmes de l’individualisme et du collectivisme social comme étant contraires à la véritable dignité et aux droits de tous les êtres humains». «Sa voix est une voix véritablement et clairement chrétienne, d’une radicale modération, qui n’est ni captée par l’individualisme de la culture ni prisonnière des rêves du collectivisme social. …..À ses yeux, le Saint-Père «expose une vision de relations humaines, sociétales et internationales qui soient saines, fondées sur le souci de l’autre, l’écoute, le partage et l’ouverture aux idées et expériences nouvelles (…)». Il s’agit là d’une vision «ancrée dans une christologie profonde».

Croyants et non-croyants peuvent y souscrire

Le primat souligne aussi l’espérance que transmet le Pape dans ce document «à la fois réfléchi et joyeux», abordant une multiplicité de thèmes d’actualité, et qui «offre des moyens de forger un monde meilleur».

«Il s’agit d’un document véritablement œcuménique», rappelle-t-il. La dimension interreligieuse qui est abordée montre par ailleurs que l’argumentation du Saint-Père, «bien qu’enracinée dans la foi chrétienne, est de force universelle». «Bien qu’il écrive dans une optique profondément chrétienne et inspirante, le Pape François expose explicitement une vision à laquelle les non-croyants peuvent souscrire», continue le Primat anglican, avant d’avertir: «il faudrait être extraordinairement étroit d’esprit pour ne pas prêter attention à son appel à l’action pour des raisons purement sectaires ou similaires».

Un document à mettre en pratique

L’archevêque de Westminster, qui a déjà préfacé un livre de François, estime enfin que «ce remarquable Pape a rendu un autre service au monde en rassemblant dans un seul texte une telle richesse de connaissances sur certains des problèmes les plus urgents de notre époque». «C’est un volume qui mérite d’être lu et relu. J’espère sincèrement qu’il sera non seulement lu, mais qu’il sera mis en pratique par les dirigeants du monde entier», conclut-il.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican.
Paru dans Cathobel, le 19 octobre 2020.


« Tous Frères » : Lettre du pape François
Ed. Fidélité – 4, 50 euros

"Le fanatisme est la marque d’une absence de Dieu"

"Le fanatisme est la marque d’une absence de Dieu"

par Adrien Candiard, dominicain



Alors que la France a été secouée par le meurtre brutal de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, par un terroriste, frère Adrien Candiard, dominicain et membre de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, a publié au début du mois un essai sur le fanatisme. Un thème hélas on ne peut plus d'actualité.

Aleteia : De quoi le fanatisme est-il le fruit ?

Adrien Candiard : Quand j’ai commencé à travailler le sujet, je croyais, comme tout le monde il me semble, que le fanatisme venait d’une forme d’excès de religiosité. À présent, il m’apparaît que le fanatisme est au contraire la marque d’une absence de Dieu. Cela peut surprendre ! Mais le fanatique religieux est quelqu’un qui, tout en parlant de Dieu à tout bout de champ, l’a en réalité remplacé par un objet plus accessible, qu’il peut posséder, alors que Dieu est toujours plus grand que nos prises de contrôle et nos manipulations. Ce qui peut remplacer Dieu, c’est souvent des objets proches de Dieu : ses commandements, sa révélation, la liturgie, etc. Tous ces objets sont très bons en eux-mêmes, tant qu’ils restent ce qu’ils sont : des chemins vers Dieu. Quand on les prend comme une fin en soi, quand on les traite comme des absolus, alors que Dieu seul est absolu, on bascule dans l’idolâtrie.

Comment le fanatisme contemporain s’exprime-t-il par rapport au fanatisme des siècles précédents ? En quoi diffèrent-ils ?

Si le fanatisme est d’abord une tentation présente dans le cœur de l’homme, il y a une certaine permanence au fil des siècles. L’époque change les moyens de diffusion et les modes d’action, ce qui n’est pas rien, mais sur le fond, rien n’a changé depuis que les Hébreux, dans le désert, inquiets de ne pas voir Moïse redescendre du Sinaï, ont préféré adorer un veau d’or plutôt que l’étrange Dieu invisible qui les avait fait sortir d’Égypte.

Comment différencier les fanatismes ? Un fanatique chrétien est-il très différent d’un fanatique musulman ?

Les fanatismes ont une base commune : ils affirment tous que Dieu n’est pas connaissable en lui-même, et ils le remplacent par autre chose. Mais ils vont se distinguer par ce qui devient l’objet de leur idolâtrie. Cela amène des formes de fanatisme très différentes : celui qui fera des versets bibliques un absolu définitif, au point de refuser qu’on enseigne à l’école la théorie de l’évolution, est évidemment très différent d’un taliban qui prépare un attentat-suicide !

Comment le fanatisme peut-il malgré tout nous dire quelque chose de Dieu ?

Paradoxalement, le fanatisme nous dit quelque chose d’essentiel : il y a dans le cœur de l’homme une place très particulière pour Dieu. Quand cette place est occupée par quelque chose d’autre, que ce soit religieux (la Bible, le « vrai catholicisme », l’imitation du Prophète…) ou séculier (la race, la classe, le progrès, l’histoire, la nation…), alors cela tourne à la catastrophe.

Quels sont les risques du fanatisme ?

Au-delà des risques évidents, quand le fanatisme engendre une violence physique (ce qui n’est pas toujours le cas !), j’aimerais souligner combien le fanatisme est, pour celui qui le vit, une prison. Les idoles ne nous libèrent jamais. Elles créent de l’obsession, du scrupule, de la peur. Rien de surprenant à cela : elles sont limitées, et nous voulons les prendre pour un absolu.

N’y a-t-il pas une forme de fanatisme au fond de chacun ? Comment la combattre ?

La tentation idolâtre, qui fait naître le fanatisme, nous concerne tous. Ce n’est pas pour rien que le premier des Dix commandements nous met en garde à son sujet ! La vie spirituelle n’est rien d’autre qu’une patiente destruction de nos idoles intérieures, sous la conduite de l’Esprit saint : prier, laisser Dieu être Dieu en nous, c’est donc progressivement désarmer en nous les tentations du fanatisme.

Propos recueillis par Domitille Farret d'Astiès, le 03/10/20.
Du fanatisme : quand la religion est malade, par Adrien Candiard.
Editions du Cerf, octobre 2020, 10 euros.
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