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5ème dimanche de Pâques – Année C – 15 mai 2022

Évangile de Jean 13, 31 - 35

Aimez-vous les uns les autres

5ème dimanche de Pâques - Année C – 15 mai 2022 – Évangile de Jean 13, 31 – 35

Dieu est Amour (1ère Lettre de Jean 4, 7- 18)


« Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres car l’amour vient de Dieu ; et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu.
Celui qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu puisque Dieu est amour.
Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui.
Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés.
Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour en nous est accompli.
Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui.
En ceci son amour est accompli : que nous ayons pleine assurance pour le jour du jugement. Il n’y a pas de crainte dans l’amour... »

Évangile de Jean 13, 31 – 35

Aimez-vous les uns les autres


En entendant aujourd’hui l’ordre de Jésus à ses disciples dans l’évangile de Jean : « Aimez-vous les uns les autres », nous méditons sur la portée de ce « devoir d’aimer » tel qu’il a été peu à peu compris par la tradition.

Première Alliance

Avant d’être une prescription imposée, l’amour (agapè) est une révélation à recevoir et à croire. Au commencement Dieu aime son peuple Israël et il le prouve d’emblée en le libérant de l’esclavage en Égypte, en lui faisant passer la mer, en concluant avec lui une Alliance, en lui donnant une Loi de vie, en le conduisant sain et sauf à travers les dangers du désert, en lui donnant une terre féconde, en lui pardonnant sans cesse ses fautes. Dieu est infiniment miséricordieux et il le prouve par des actes. Au point de départ il y a donc la foi : l’appel à faire confiance, à croire en ce cadeau inestimable de Dieu qui n’est pas la récompense d’une bonne conduite mais absolument gratuit.

En retour, Dieu peut ordonner que son peuple l’aime par-dessus tout: « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est le Seigneur UN...Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force » (Deut 5,5). Et cet amour est un appel à aimer autrui: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »( Lév 19, 18).

Nouvelle Alliance

Jésus survient et ouvre la Nouvelle Alliance : les évangiles montrent successivement comment Jésus précise les engagements dus à cette foi. D’abord, selon Marc, Jésus affirme que ces deux commandements, séparés dans la Bible, sont indissolublement unis et les plus grands : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu...et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’ y a pas d’autre commandement plus grands que ceux-là » (Mc 12, 29).

Ensuite, selon Matthieu, Jésus révèle que Dieu est vraiment « Père » et il élargit la notion du prochain jusqu’aux ennemis : « Moi je vous dis : aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment fils de votre Père des cieux » (Matt 5, 43). Et il enseigne que nous serons jugés sur notre amour effectif envers les plus démunis car il s’identifie à eux: « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger...Chaque fois que vous l’avez fait à l’un des plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (25, 40). Ensuite Luc rapporte la célèbre parabole du Samaritain qui détaille bien ce qu’est la notion de « prochain » et l’engagement que cet amour entraîne (Luc 10, 29). L’amour est approche, décision, sollicitude, efficacité.

Enfin survient Jean, le dernier évangéliste. Au lieu de reprendre et prolonger l’élan de cet amour envers les pauvres, il le recentre au contraire sur le foyer des disciples. C’est à eux qu’il ordonne de s’aimer. L’amour mutuel serait-il uniquement réservé aux disciples ?

L’amour dans saint Jean

Tout l’évangile de Jean est porté par la manifestation de l’amour du Père : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son Unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la Vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui » (3, 16).

Comment Jésus manifeste-t-il ce « tant d’amour » du Père ?. Il circule parmi les villages, il s’adresse aux gens les plus simples, il n’impose rien, il est ému par leurs malheurs et guérit certains malades et handicapés. Quelques hommes s’attachent et forment peu à peu une petite communauté qui suit ce maître. Mais ce Maître dénonce hardiment des prélats vaniteux et cupides, il attaque des rites du Temple creux et sans valeur car son amour du Père ne supporte pas qu’on le déforme. Par conséquent cet amour suscite une hostilité qui s’exacerbe jusqu’à décider la mort de celui qui est vu comme un blasphémateur.

La fête de la Pâque arrive et Jean l’introduit d’une manière solennelle : « Sachant que son heure de passer de ce monde au Père était venue, Jésus qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême » (13, 1). En ce dernier soir Jésus rassemble le petit groupe de ses disciples. Que se passe-t-il d’essentiel ?

A leur grande stupeur, Jésus se présente comme un serviteur qui veut leur laver les pieds. Pierre se rebiffe mais Jésus le prévient que son refus le séparerait de lui. Un disciple doit donc d’abord accepter de se laisser laver, purifier donc pardonner par son Seigneur. A la fin de ce service, Jésus ordonne à ses disciples de faire entre eux ce qu’il vient de leur faire. Bénéficiaires du pardon, les disciples se doivent de devenir les serviteurs les uns des autres et partager le pardon que leur Seigneur va obtenir sur la croix. Toute course aux honneurs, toute rivalité hiérarchique sont abolies. Ensuite ensemble ils sont invités à partager le repas du Seigneur : chacun reçoit une bouchée du pain rompu. La communauté est choquée par la brutale sortie de Judas. Alors les disciples peuvent entendre l’annonce qui constitue l’évangile de ce dimanche.

L’ordre premier de l’amour mutuel


Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire – et il la lui donnera bientôt. Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez, et comme je l’ai dit aux Juifs : « Là où je vais vous ne pouvez venir », à vous aussi maintenant je le dis.


« Mon Heure » a sonné : Judas va renseigner les autorités pour arrêter Jésus. Mais l’heure horrible de la crucifixion sera l’heure de sa Glorification puisque, par elle, Jésus accomplira le dessein d’amour de son Père. Et son Père le projettera dans la gloire de la résurrection.

Jésus aime ses pauvres disciples qu’il appelle avec tendresse (« mes petits enfants ») : il sait qu’ils vont l’abandonner mais pour l’instant ils sont incapables de résistance. Ils chercheront un maître disparu mais quand il sera ressuscité, il les retrouvera et les comblera de joie et de paix. Alors, par la force de l’Esprit, ils pourront à leur tour témoigner de Jésus jusqu’au martyre.

Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples ».


Les disciples étaient des hommes de diverses conditions et très différents les uns des autres. Les évangiles ne cachent pas qu’ils croyaient suivre un Messie qui allait instaurer un royaume de puissance et ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand d’entre eux. Jésus au contraire les appelle à s’aimer. Ce n’est pas un conseil, une suggestion mais un ordre formel, indiscutable. Bien que toutes les Écritures avaient toujours ordonné l’amour, ici le commandement est « neuf » parce que Pâque va inaugurer l’Alliance nouvelle dans l’Esprit, parce que le Seigneur s’est fait serviteur et s’est abaissé afin de purifier les cœurs des disciples, parce que le nouveau repas eucharistique les unit pour devenir un seul Corps. « Comme moi je vous ai aimés » : il ne s’agit pas d’un exemple à imiter. On peut traduire « parce que...puisque je vous ai aimés, donc.. ». Se ressourcer sans cesse à cet amour qui va jusqu’à la croix et qui donne la Vie éternelle capable de sacrifier la vie corporelle.

Conclusion

Très souvent on nous exhorte « à la charité », on nous presse de soutenir les œuvres humanitaires, de répondre généreusement aux appels des plus démunis qui sont légion. Et cela à juste titre comme Matthieu nous l’a rappelé : nous serons jugés sur notre comportement envers les pauvres.

Encore faut-il ne pas réduire la charité à la maigre aumône que l’on dépose dans le panier de la quête ou la pièce jetée dans le gobelet du mendiant. La charité n’est pas un modeste complément de la justice mais au contraire l’engagement à combler les failles de la justice. Elle est l’amour absolu puisque le second commandement est semblable au premier donc a des dimensions divines.

L’évangile de Jean aujourd’hui nous rappelle en outre que « la charité » commence par l’amour authentique entre tous les disciples. En effet, même si nous collaborons à des œuvres caritatives, ne restons-nous pas des pratiquants pieux mais simplement juxtaposés pendant le rite ? Connaissons-nous les chrétiens qui ont un grand malade parmi leurs proches ? « Curieux, me dit une catholique : à la messe, nous nous offrons la paix, nous partageons la même Eucharistie...et le lendemain, quand nous nous croisons au supermarché, nous détournons la tête pour ne pas nous saluer !?? ». Que signifie alors « la communion » ?

Les exigences de la foi apparaissent de plus en plus dans une société qui la contredit nettement : c’est pourquoi beaucoup de pratiquants par habitude cessent de prendre part aux assemblées. C’est le moment pour que celles-ci soient vraiment des communautés où l’on essaie de s’aimer en actes comme Jésus nous a aimés, en nous parlant, en échangeant, en nous soutenant. Cela non pas dans le but de créer une communauté repliée sur elle-même. Car, dans une société qui valorise les égoïsmes et excite les jalousies, c’est en découvrant des personnes qui s’aiment que l’on découvrira la foi puisque :

« Si vous vous aimez les uns les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples ».



Fr Raphael Devillers, dominicain.

Emmanuel Lévinas - La priorité de l’amour d’autrui : La Sainteté

Emmanuel Levinas
La priorité de l’amour d’autrui : La Sainteté

Extrait de l’entretien avec B. Révillon : « De utilité des insomnies »
dans le livre d’E. Levinas : « Les imprévus de l’histoire » (éd. poche)

  • Imaginons qu’un jeune élève vienne vous demander une définition de la philosophie.
Je lui dirais que la philosophe permet à l’homme de s’interroger sur ce qu’il dit et sur ce qu’on se dit en pensant. Ne plus se laisser bercer ni griser par le rythme des mots et les généralités qu’ils désignent mais s’ouvrir à l’unicité de l’unique dans ce réel, c.à.d. à l’unicité d’autrui, ...c.à.d. en fin de compte, à l’amour.

Parler véritablement, ... s’éveiller, se dégriser, se défaire des refrains. Déjà le philosophe Alain nous mettait en garde contre tout ce qui, dans notre civilisation prétendument lucide, nous venait des « marchands de sommeil ». Philosophie comme insomnie, comme éveil nouveau au sein des évidences (...)
  • Est-ce important d’avoir des insomnies ?
L’éveil est, je crois, le propre de l’homme. Recherche par l’éveillé d’un dégrisement nouveau, plus profond, philosophique. C’est précisément la rencontre de l’autre homme qui nous appelle au réveil (...)
  • C’est l’autre qui nous fait philosophe ?
Dans un certain sens. La rencontre de l’autre est la grande expérience ou le grand événement. La rencontre d’autrui ne se réduit pas à l’acquisition d’un savoir supplémentaire. Je ne peux jamais saisir totalement autrui certes, mais la responsabilité à son égard, où naît le langage, et la socialité avec lui, déborde le connaître (...)
  • Nous vivons dans une société de l’image, du son, du spectacle où il n’y a que peu de place pour le recul et la réflexion. Si une telle évolution s’accélérait, notre société perdrait-elle en humanité ?
Absolument. Je n’ai pas du tout la nostalgie du primitif. Quelles que soient les possibilités humaines qui y apparaissent, elles doivent être dites. Le danger du verbalisme existe, mais le langage qui est un appel à autrui est aussi la modalité essentielle du « se méfier-de-soi », qui est le propre de la philosophie. Mais je ne veux pas dénoncer l’image. Ce que je constate, est qu’il y a une grande part de distraction dans l’audiovisuel, c’est une forme de rêve qui nous plonge et nous maintient dans ce sommeil dont nous parlions à l’instant. (...)
  • Qu’est-ce que l’éthique ?
C’est la reconnaissance de la « sainteté ». Je m’explique : le trait fondamental de l’être est la préoccupation que tout être particulier a de son être même. Les plantes, les animaux, l’ensemble des vivants s’accrochent à leur existence. Pour chacun c’est la lutte pour la vie. Et la matière dans son essentielle dureté n’est-elle pas fermeture et choc ?

Et voilà dans l’humain l’apparition possible d’une absurdité ontologique : le souci d’autrui l’emportant sur le souci de soi. C’est cela que j’appelle « la sainteté ».

Notre humanité consiste à pouvoir reconnaître cette priorité de l’autre....Vous comprenez pourquoi je porte tant d’intérêt au langage : il s’adresse toujours à autrui, comme si on ne pouvait pas penser sans se soucier déjà d’autrui. D’ores et déjà ma pensée est dans un dire. Au plus profond de la pensée s’articule le « pour- l’autre », autrement dit la bonté, l’amour d’autrui plus spirituel que la science.
  • Cette attention à l’autre, est-ce que cela s’enseigne ?
A mon avis, cela se réveille devant « le visage » d’autrui.
  • L’autre dont vous parlez, est-ce aussi le tout-Autre, Dieu ?
C’est là, dans cette priorité de l’autre homme sur moi que, bien avant mon admiration pour la création, bien avant ma recherche de la première cause de l’univers, Dieu me vient à l’idée.

Lorsque je parle de l’autre, j’emploie le terme de « visage ». Le « visage », c’est ce qui est derrière la façade et sous la contenance que chacun se donne : la mortalité du prochain....Le « visage » dans sa nudité est la faiblesse d’un être unique exposé à la mort, mais en même temps l’énoncé d’un impératif qui m’oblige à ne pas le laisser seul. Cette obligation, c’est la première parole de Dieu. La théologie commence pour moi dans le visage du prochain. La divinité de Dieu se joue dans l’humain. Dieu descend dans le « visage » de l’autre.

Reconnaître Dieu, c’est entendre son commandement : « Tu ne tueras point », qui n’est pas seulement l’interdit de l’assassinat mais est un appel à une responsabilité incessante à l’égard d’autrui – être unique – comme si j’étais élu à cette responsabilité qui me donne, à moi aussi, la possibilité de me reconnaître unique, irremplaçable, et de dire « je ». Conscient que dans chacune de mes humaines démarches – dont autrui n’est jamais absent – je réponds de son existence d’être unique ( ...)

***

E. LEVINAS : né d’une famille juive à Kaunas (Lituanie) en 1905 - Révolution communiste : fuite en France – Études à l’université de Strasbourg – Découverte du philosophe E. Husserl – Cours de M. Heidegger – Guerre 40 : prisonnier dans un camp en Allemagne ; épouse et enfants cachés chez des religieuses – La famille demeurée à l’est est exterminée dans les camps nazis – 1947 : Directeur de l’école normale israélite à Paris – Professeur à l’université de Poitiers puis Paris.

Auteur de très nombreux ouvrages (plusieurs reproduits en poche) – Reconnu comme un des plus grands philosophes du 20ème s. – Décédé le 25 12 1995 après « une vie dominée, dira-t-il, par le pressentiment et le souvenir de l’horreur nazie ».

Cf. Catherine Chalier : Levinas : l’utopie de l’humain (éd. A. Michel)

L’Infini n’a de gloire
qu’à travers l’approche de l’autre.


E. Levinas

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