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4ème dimanche de Carême – Année C – 27 mars 2022

Évangile de Luc 15

Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?

4ème dimanche de carême - Année C – 27 mars 2022 – Évangile de Luc 15
Toutes les paraboles sont belles, mon enfant,
Mais entre toutes, les trois paraboles de l’espérance s’avancent.
Mais entre toutes les trois voici la troisième parabole qui s’avance.
Non seulement elle est neuve comme au premier jour,
Et dans les siècles elle sera neuve.
À moins d’avoir un cœur de pierre, mon enfant,
Qui l’entendrait sans pleurer.
Elle a touché dans le cœur de l’homme un point unique,
Un point secret, un point mystérieux.
C’est la parole de Jésus qui a porté le plus loin, mon enfant.
Elle est célèbre même chez les impies.
Or il dit : Un homme avait deux fils.
Et celui qui l’entend pour la centième fois,
C’est comme si c’était la première fois.

Charles Péguy (Le Porche du mystère de la deuxième vertu - 1912)

En 1908, il a écrit à un ami : « J’ai retrouvé la foi...je suis catholique ».
Septembre 1914, il est tué sur le front.

Évangile de Luc 15

Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?

Contrairement à son maître Jean-Baptiste, Jésus d’emblée s’est mis à circuler dans les villes et villages de Galilée ; prophète pauvre, il dépendait de la générosité des habitants. Luc le montre ainsi prêt à entrer chez un centurion romain, mangeant avec des pécheurs, invité chez des pharisiens. Ceux-ci étaient très scandalisés par sa joyeuse commensalité avec des gens que la Loi interdisait de fréquenter : n’était-ce pas paraître approuver leur conduite ?

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole : ... »


En fait Jésus va raconter « les trois paraboles de la miséricorde » : celle du berger qui remarquant qu’une brebis s’est égarée, déploie tous ses efforts pour la retrouver, et plein de joie, invite ses amis pour un joyeux festin ; celle de la femme qui, affolée, cherche sa drachme perdue, fouille partout, la retrouve, organise un joyeux festin ; et enfin la troisième, la plus célèbre, dénommée souvent « du fils prodigue », mais qui est plus justement la parabole du Père prodigue, la seule lue aujourd’hui.

Les trois paraboles sont donc une réplique contre les pharisiens qui « récriminent », ce qui est un péché grave, déjà dans l’Exode où il pointe une opposition au Dessein de Dieu. En voulant protéger la Loi derrière des murs de prescriptions et de rites, et en abandonnant les pécheurs à leur sort, ils font de la religion une forteresse. Ils se croient les élus et en fait ils s’enferrent dans le moralisme, ils veulent faire leur salut par eux-mêmes. Leur bonne conscience les rassure et ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils manquent à l’essentiel : la miséricorde. L’autre, le perdu, ne leur cause aucun souci, il ne leur manque pas.

Ainsi Jésus justifie sa conduite : si un berger veut à tout prix retrouver sa brebis perdue, si une femme s’acharne à retrouver son argent égaré, a fortiori Dieu ne veut pas qu’un seul homme se perde. Il m’a envoyé, comme son Fils, pour chercher le perdu, le retrouver et fêter en communauté son retour.

Le péché


« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir ». Et le père leur partagea son avoir ».
Il réalisa son avoir, partit pour un pays lointain et dissipa son bien dans une vie de désordre. Mais une grande famine survint et il commença à se trouver dans l’indigence. Il se mit au service d’un citoyen de ce pays qui l’envoya garder les porcs. Il aurait bien voulu se nourrir des gousses que mangeaient les porcs mais personne ne lui en donnait.


Que s’est-il donc passé ? Le cadet n’en peut plus, il étouffe dans cette grande demeure, il a envie de vivre, de partir au loin. La stature de son père lui pèse car demander son héritage, c’est désirer la mort du père, refuser d’être un fils qui dépend, vouloir diriger sa vie propre. Ne plus être un fils qui doit obéir et toujours demander, avoir à soi, être seul maître de ses décisions. Vivre, jouir de la vie, profiter sans interdits, être adulte.

Mais le pays lointain, la société sans Dieu, révèle tôt ou tard ses limites. Notre jeune homme n’a eu avec les femmes que des rencontres passagères, il n’a pas trouvé d’épouse. Dépenser son argent, consommer : on est vite las des plaisirs. Si l’on tombe dans l’indigence, un homme vous exploite. Et si vous manquez, « personne ne vous donne ». Derrière le clinquant et les paillettes, la société est impitoyable.. Loin de la source de l’amour, on est livré à la concurrence, la jalousie, la solitude. Et l’homme y glisse dans la mort inéluctable.

La conversion


Rentrant en lui-même, il se dit : « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi ici je suis perdu. Je vais aller chez mon père et lui dirai : « Père, j’ai péché envers Dieu et contre toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme un ouvrier ». Il alla vers son père.


Sorti de chez son père, il était donc sorti de lui-même pour s’éclater dans la foire aux divertissements. Ayant perdu son avoir, il se met à la recherche de son être. Il ne regrette pas le chagrin qu’il a pu faire à son père lequel reste quelqu’un à qui on doit demander, une autorité qui donne. Mais au moins il prend conscience « j’ai péché ». Et il revient en arrière, plein d’amertume de l’échec subi.

Et alors éclate la merveille, un des plus beaux passages de la bible, la révélation du vrai Dieu.

« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : « Père, j’ai péché, je ne mérite plus d’être appelé ton fils... ». Mais le père dit aux serviteurs : « Vite, apportez la première robe, habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons, festoyons car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».


Quelle révélation du vrai Dieu ! Non un tout puissant courroucé, qui exige des prosternements et prépare un châtiment. Non même un Dieu qui a pitié. Mais un Père qui aime et qui est pris aux entrailles (on comprend pourquoi le récit ne parle pas de mère). D’où sa hâte : insupportable de voir son fils en haillons ! Chaque jour il scrutait l’horizon : tout de suite il a reconnu la petite silhouette. Il accourt vers lui et sans faire nul reproche, il le prend dans ses bras et l’embrasse.

Et il lui offre les symboles de ce que son fils cherchait : la dignité (robe), l’autorité (alliance),la liberté (sandales). La conversion d’un pécheur doit évidemment se fêter : festin pour tous, mangeons, jouons de la musique, chantons. Un homme mort est ressuscité ! Et c’est mon fils ! Toutes les idoles de Dieu s’effondrent !

L’aîné pharisien


Son fils aîné était aux champs. A son retour, s’approchant de la maison, il entendit de la musique et des danses. Il appelle un serviteur qui lui dit : « Ton frère est arrivé et ton père a tué le veau gras parce qu’il est en bonne santé ». Alors en colère, il refusa d’entrer. Son père sortit l’en prier mais il répliqua : « Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres. Tu ne m’a jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui ! ». Alors le père lui dit : « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se réjouir parce que ton frère était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé ».


Fort de café quand même ! Vous faites tout votre possible pour être un fidèle observant, vous luttez contre les tentations, vous multipliez les sacrifices, vous êtes un pilier d’église....Et voilà un autre qui a quitté les rangs pour mener une vie de patachon et qui tout à coup revient, et on organise une fiesta comme s’il était un héros.

Scandale, non ?

C’est que ce n’était pas un autre mais un fils de Dieu comme vous, donc un frère. Ne le cataloguez pas comme un jouisseur dont au fond vous êtes un peu jaloux mais comme un malheureux qui était en train de couler vers la mort. Le péché n’est pas un plaisir défendu mais une maladie mortelle. Au fond les frères ne s’aimaient pas, ils ne se parlaient pas, l’un ne manquait pas à l’autre.

Et c’est alors que le cadet a pris conscience : jadis il avait la même vision du père que son frère. Tous les deux le voyaient comme un donneur d’ordre, un chef qui donnait des ordres et multipliait les interdits. La foi leur paraissait une aliénation. Si l’aîné acceptait ce régime d’obéissance, où l’on accomplit son devoir pour mériter un jour la récompense, lui, le cadet, n’a pas eu cette force, il étouffait sous ce régime. C’est maintenant, avec l’accueil bouleversant, les larmes et la joie de son père, qu’il découvre, enfin, l’authentique visage de Dieu. Il est son Père, il est Amour, il est Miséricorde. Et lui, et son frère, et tous les croyants sont et demeurent ses fils. Sauf s’ils renient cet état, car la foi est toujours option libre.

Le perdu s’est converti parce que le péché le menait à la mort ; l’observant doit apprendre maintenant à se convertir lui aussi. Et hélas, l’histoire finit mal. Le père qui était sorti pour aller à la rencontre du cadet, sort à nouveau pour inviter l’aîné à participer au banquet...et ce dernier se braque dans son refus. Il voulait bien accepter un règlement mais pas l’amour qui pardonne tout à son frère.

Paul de Tarse était d’abord à l’image de l’aîné, fou furieux devant ces nouvelles communautés où se côtoyaient observants et anciens pécheurs, où Pierre participait à de joyeux repas aux côtés de Marie Madeleine et de Zachée. Il a fallu qu’il rencontre le Christ vivant pour qu’il comprenne que le Vrai Fils, Jésus, avait accompli le désir du Père : il était allé jusqu’au bout pour rejoindre les pires pécheurs dans leur péché, leur misère, et sa joie était de les repêcher. Les « aînés » ne l’ont pas accepté et l’ont supprimé.

Mais le Père a retrouvé ce Fils unique qui était mort et qui était devenu vivant afin d’ouvrir le banquet de l’Eucharistie : celle-ci n’est pas la récompense des meilleurs mais le joyeux repas de tous les pécheurs pardonnés.

« Tous ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau » (Apoc)

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Les Honnêtes Gens ne mouillent pas à la Grâce

Les Honnêtes Gens ne mouillent pas à la Grâce

Charles PEGUY (1873 – 1914)


Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée tout faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite.

On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tromper ce qui était habitué.

De là viennent tant de manques que nous constatons dans l’efficacité de la grâce et que, remportant des victoires inespérées dans l’âme des plus grands pécheurs, elle reste souvent inopérante auprès des plus honnêtes gens.

C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale constamment intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute.

Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude ...

Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché.

Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout.

La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé.

Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce. C’est pour cela que rien n’est contraire à ce qu’on nomme (d’un nom un peu honteux) la religion comme ce qu’on nomme la morale. La morale enduit l’homme contre la grâce.

Dans « Péguy tel qu’on l’ignore » – Textes choisis
Coll. Idées, Gallimard poche, 1973

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