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8ème dimanche – Année C – 27 février 2022

Évangile de Luc 6, 39-45

8ème dimanche - Année C – 27 février 2022 – Évangile de Luc 6, 39 - 45
La Parabole des aveugles -Tableau de Peter Breughel l’ancien (1568 ), au musée de Naples

Jésus Parole de Dieu (évangile de Jean)


La Lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière.
Celui qui fait la vérité vient à la Lumière.
Celui que Dieu a envoyé dit les Paroles de Dieu, qui lui donne l’Esprit sans mesure.
Amen, amen, je vous le dis : celui qui écoute ma Parole et croit en Celui qui m’a envoyé, a la Vie éternelle. Il ne vient pas en jugement, il est passé de la mort à la Vie.
Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et Vie.
Mon enseignement ne vient pas de moi mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura si cet enseignement vient de Dieu.
Je suis la Lumière du monde : celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres. Il aura la Lumière qui conduit à la Vie.
Je suis le berger et les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors. Il marche à leur tête et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.

« Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (les gardiens du Temple 7, 46)

Évangile de Luc 6, 39-45

Conclusion du Sermon dans la Plaine


Le grand discours inaugural de Jésus s’adressait à tous (« la foule... ») mais Jésus le termine par un enseignement à ses « disciples » qui seront chargés de le vivre et de le répercuter partout. Très pédagogue, il le fait en « mode de parabole », c.à.d. en usant d’images qui s’inscriront mieux dans les mémoires. D’ailleurs plusieurs de ces sentences sont devenues universellement célèbres.

Parabole des Aveugles


Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?...
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître ».


La foi n’est pas une opinion privée et l’Église n’est pas un cercle fermé : la Bonne Nouvelle reste bien pour toujours le chemin du salut de l’humanité donc le disciple – sans intolérance et avec ses défauts et ses défaillances - assume illico le rôle de guide. La première condition est donc qu’il connaisse très bien le message à transmettre, qu’il « voit » la façon de le transmettre sans l’altérer.

L’histoire montre à suffisance combien de fois les disciples, même au sommet, ont mal interprété l’Évangile parce qu’ils étaient influencés par les idées ambiantes ou parce qu’ils voulaient en adoucir les aspérités. La Bonne nouvelle ne doit être ni imposée ni édulcorée. Donc exigence fondamentale de chaque chrétien : être formé, bien écouter le Maitre. Tout disciple doit être, à son niveau, en état de formation permanente afin que le monde aveugle ne bascule pas dans les fossés de la guerre et de l’injustice.

La grande carence de l’Eucharistie du dimanche n’est-elle pas dans la faiblesse de l’éducation des fidèles ? Lectures et prédication exigent beaucoup plus de soin dans une société où la culture change et s’étend.

Parabole de la paille et de la poutre


Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? ...Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.


Emporté par un mauvais zèle, le chrétien peut être tenté de croire que la mission est handicapée par le défaut de tel chrétien et de le juger sans indulgence. Faux comportement, hypocrisie, car cet homme est lui-même pécheur et donc il n’est pas lucide pour juger l’autre : il grossit chez l’autre un péché alors qu’il en porte lui-même des pires.

Jésus avec force nous répète que nous sommes « frères », mot répété à quatre reprises, que nous ne le sommes que grâce à Lui, et donc que nous ne pouvons nous condamner mutuellement. Que chacun d’abord s’applique à vivre cette « fraternité », à en être plus digne, à répondre mieux à sa vocation personnelle. L’avancée dans la foi rend miséricordieux à l’égard de tout frère et sœur.

Parabole des arbres


Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »


Dans la langue de Jésus, le mot cœur, pris en symbole, ne désigne pas le lieu des émotions et des affections mais effectivement « le cœur », le centre profond de la personne, là où elle réfléchit, médite, élabore raisonnements, décisions, sentiments. Là se réalise son projet de vie.

Bien et mal, les tendances s’affrontent en nous, en notre « cœur ». Mais celui qui se laisse dominer par la jalousie, la violence, l’appétit de lucre, l’ambition – bref celui qui a un cœur mauvais - émettra des jugements féroces, s’emportera dans des colères haineuses, favorisera l’injustice, restera indifférent au sort des malheureux.

Le trésor, c’est la bonté de notre cœur. Elle s’obtient par la foi véritable, l’espérance ailée, la chaleur de la charité. Le bon exemple, la patience, la production de bons fruits et surtout la prière soutiendront l’effort de conversion réciproque.

Parabole des maisons et Conclusion du Discours

Malheureusement la liturgie du jour omet la dernière parabole qui concluait ce grand enseignement par une mise en garde « fondamentale » (c’est le cas de le dire). La voici.

Et pourquoi m’appelez-vous « Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ?
Quiconque vient à moi et écoute mes paroles et les fait (met en pratique), je vais vous montrer à qui il ressemble.
Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison,
mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.
Mais celui qui a écouté et n’a pas fait (mis en pratique)
ressemble à celui qui a construit sa maison à même le sol, sans fondations.
Le torrent s’est précipité sur elle, et aussitôt elle s’est effondrée ;
la destruction de cette maison a été complète. »


Répétons-le encore : la foi n’est pas un décor religieux, un vernis, un héritage familial, une pratique épisodique de quelques rites. L’Évangile est de fait, et tout de suite ici sur terre, « Bonne Nouvelle » parce que son acceptation et sa mise en pratique permettent l’édification de l’homme dans la vérité de sa vie. Il y a des moments où le croyant doit opter, faire un choix difficile. Il arrive que des membres de sa famille, des enseignants ou des copains de son école, des collaborateurs de son entreprise, la majorité des médias affirment des certitudes contraires, ricanent au sujet de ce « christianisme » dépassé et en voie de disparition. Ce n’est pas le moment de capituler, de se calfeutrer dans un silence complice. Le choix est inéluctable et peut entraîner non seulement des gênes mais des pertes financières.

Notre vie est comme une maison que nous construisons par nos choix et son fondement réside dans nos ACTES. Ce ne sont pas nos sentiments pieux, notre goût du sacré qui nous feront tenir droits dans la foi lorsque les épreuves s’abattront. Car elles surviendront tôt ou tard et parfois avec une force torrentielle.

L’exemple en est la société moderne et post-moderne : elle n’a pas persécuté les chrétiens, les États ont continué à verser des subsides, à sauver des édifices. Mais en quelques dizaines d’années, des centaines de millions de pratiquants du monde occidental ont abandonné toute croyance et toute pratique. Et l’hémorragie continue inexorablement. L’irrépressible envie de jouir, de posséder, de se distraire, de voyager, excitée sans arrêt par la publicité et les médias, lamine et torpille une foi qui n’est que vague religiosité. Sous les attaques, nous ne tiendrons pas par nos édifices sacrés et nos institutions chrétiennes mais par notre persévérance à mettre en pratique l’Évangile. Nos ACTES, si petits soient-ils, constituent un socle, une fondation inébranlable sur laquelle se brise le tsunami des contradictions.

Déjà saint Jacques mettait en garde contre une écoute passive :

« Que chacun soit prompt à écouter ...Accueillez avec douceur la Parole plantée en vous et capable de vous sauver la vie. Mais soyez les réalisateurs de la Parole, et pas seulement des auditeurs qui s’abuseraient eux-mêmes.
En effet si quelqu’un écoute la Parole et ne la réalise pas, il ressemble à un homme qui observe dans un miroir le visage qu’il a de naissance : il s’observe, il part, il a tout de suite oublié de quoi il avait l’air.
Mais celui qui s’est penché sur la Loi parfaite, celle de la Liberté et s’y est appliqué non en auditeur distrait mais en réalisateur agissant, celui-là trouvera le bonheur dans ce qu’il réalisera ». (Jac 1, 19-35)

Conclusion

Petites paraboles simples mais d’une importance essentielle. A méditer pendant toute cette semaine car elles pointent nos comportements quotidiens.

Former sa foi, voir le frère et non le concurrent, enrichir le trésor du cœur, pratiquer ce que l’on a appris. Ainsi nous ne serons pas une Église hypocrite.

Fr Raphael Devillers, dominicain.
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CHANTAL DELSOL

La fin de la chrétienté

Chantal Delsol est philosophe, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Dans ses derniers essais, Le Crépuscule de l’universel (Cerf, 2020) et La Haine du monde, Totalitarismes et postmodernité (Cerf, 2016), elle décryptait la discorde entre les modernes et les antimodernes, entre ceux qui veulent remplacer le monde existant et ceux qui veulent le cultiver comme des héritiers. Poussant plus loin l’analyse, la philosophe s’attaque dans La Fin de la chrétienté aux conséquences du déclin du catholicisme en Occident avec le retour du paganisme. Pour elle, le christianisme doit inventer un autre mode d’existence.



Aleteia : la chrétienté, expliquez-vous est une civilisation contrairement au christianisme. Si la première est finie, le second peut perdurer. Qu’entendez-vous par chrétienté et civilisation ?

Chantal Delsol : la chrétienté est cette civilisation, autrement dit ce système du monde, qui a été constitué autour et sous la houlette du christianisme, puis du catholicisme. Il s’agit d’un mode d’être à la fois total et cohérent : il sous-entend en même temps la croyance religieuse, les mœurs, la morale, les lois, les types de pouvoir, les types de famille et la sociologie, etc. Et dans ce cadre, tout est cohérent : par exemple le pouvoir politique correspond avec la définition de Dieu (la démocratie est inventée en Occident parce que nous avons un Dieu qui confère la liberté à l’homme, sa créature).

Chaque civilisation est à cet égard un ensemble cohérent. Ainsi le christianisme a-t-il construit le monde qui lui convenait, comme l’islam-religion a construit l’islam-civilisation. Dans la chrétienté-civilisation, c’est le christianisme, puis le catholicisme, qui impose ses lois et ses mœurs, qui conseille les puissants, qui apporte ses modèles de pouvoir et de vie. C’est cette influence-pouvoir qui est aujourd’hui effacée.
  • Quand a commencé l’agonie de cette civilisation ?
Elle commence à s’effacer avec la Renaissance et probablement avant, quand l’anthropologie et la cosmologie chrétiennes commencent à être mises en doute, par exemple chez Montaigne. Mais le moment de remise en cause est le XVIIIe siècle avec la pensée des Lumières, puis la saison révolutionnaire qui met en place les réformes et les lois correspondantes. À partir de là, l’Église est en position défensive et tente de conserver son influence, avec de plus en plus de difficultés.
  • Quelles sont les principales causes de l’agonie de la chrétienté ?
Le terme « cause » lui-même est polymorphe. Il y a des causes lointaines et des causes de toutes sortes. Au plus loin, je crois qu’une vision du monde qui apporte l’idée d’une « vérité », laisse forcément émerger l’idée de « doute », et par conséquent se constitue d’avance une armée d’opposants. Dans les autres cultures, qui se construisent autour de mythes et non autour de vérités, il ne peut y avoir place au doute (on ne va pas contester l’existence d’Achille, qui est un mythe ni-vrai ni-faux, tandis qu’on va avoir envie un jour ou l’autre de contester l’existence du Christ, établie comme vérité). Le christianisme contient sa contestation. L’esprit des Lumières, c’est cela. Et c’est en même temps une évolution culturelle et sociologique individualiste, qui s’oppose à un dogme chrétien holiste. Où l’on voit la dissociation entre catholiques et protestants. Le catholicisme ne peut pas accepter l’évolution individualiste des Lumières parce qu’il est, dans ses dogmes mêmes, holiste. C’est probablement pourquoi la fin de la chrétienté correspond à un effondrement du catholicisme, pendant que l’évangélisme par exemple, se porte très bien — il englobe la modernité et ne la conteste pas, il accompagne les temps au lieu de se raidir contre eux.
  • Quelles nouvelles croyances remplissent le vide laissé par la chrétienté ?
Il y a forcément un déploiement d’autres religions, parce que l’homme est un animal religieux, et le christianisme devenu minoritaire ne laisse pas la place au nihilisme, mais à d’autres religions qui sont des religions de la nature, celles qui éclosent pour ainsi dire toutes seules, qui sont naturelles et instinctives. On peut les appeler des paganismes parce que cela renvoie aux religions naturelles que le christianisme a remplacé dans les premiers temps. Mais c’est un mot un peu trop général, aussi j’ai préféré parler de cosmothéisme (pour éviter le mot panthéisme qui est chargé de connotation négative depuis le début du XIXe siècle). Il s’agit en tout cas d’adorations de la nature sous tous leurs modes, à partir de l’écologie qui se transforme lentement en religion — elle en comporte déjà tous les aspects et toutes les manifestations.
  • « Une civilisation, écrivez-vous, ne se sauve pas. » Quelles conclusions doivent tirer les chrétiens de ces profonds changements ? Doivent-ils se recentrer sur l’exemple et le témoignage ?
J’ai surtout essayé de montrer qu’une civilisation ne se sauve pas avec la force et la violence, contrairement à ce que pensaient nos pères. On ne fait pas la guerre pour sauver une civilisation, enfin c’est ainsi que je vois les choses. De plus, je crois qu’il y a une contradiction entre une religion de l’amour et une évangélisation par conquête. Les conquêtes chrétiennes de l’histoire me laissent profondément mal à l’aise, même si je suis persuadée que nous n’avons pas à juger nos ancêtres avec nos critères d’aujourd’hui.

En tout cas, tels que nous sommes maintenant, nous avons à user pour l’évangélisation de la seule « arme » légitime : l’exemple et le témoignage, en effet. Que devons-nous abandonner pour cela ? L’impatience ! L’évangélisation de conquête était pressée — peut-être pour baptiser le plus de monde possible ? peut-être parce qu’on pensait la fin des temps proche ? peut-être parce que, quand même, le désir de pouvoir se mêlait à tout cela ? Nous n’avons pas à être impatients.

Regardez les moines de Tibhirine : ils s’installent là, sans faire de bruit, ils soignent la population musulmane et ils prient, en s’avançant tranquillement vers la fin des temps. Voilà ce qui nous reste à faire. Nous sommes-nous demandés pourquoi tant de monastères se portent si bien pendant que le Vatican se porte si mal ?

Propos recueillis par Laurent Ottavi. -publié dans Aleteia le 07/02/22
Éd. du Cerf – 16 euros.

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