Année A — Nativité du Seigneur — 25 décembre 2025
Évangile selon saint Luc 2, 1-14
Voici la nuit, le jour où tout change et rien ne change. Noël est autant un nouveau jour pour l’Humanité, qu’un autre jour. La naissance du Christ, c’est autant le miracle qui sauve l’Humanité qu’un évènement passé totalement inaperçu.
Jésus n’est pas des personnages que l’Histoire remarque. Il est un quidam du peuple, de ces petites gens qui importent peu. Si, à la Résurrection, l’incarnation de Dieu devient éclatante, si déjà lors de son ministère public Jésus apparaît particulier, sa naissance est inaperçue. A peine quelques bergers, nous dit l’Évangile, et quelques mages lointains l’ont-ils décelée. Le Sauveur est venu au monde et presque personne ne le remarque. Tout a changé et rien n’a changé.
Voici la nuit, le jour de Noël, voici la fête de la lumière qui triomphe des ténèbres, beaucoup de familles sont certes dans la féerie et dans joie, mais c’est aussi un jour comme un autre, sans trêve sur bien des champs de combat ; un jour où les personnes seules se sentent encore plus seules, un jour déprimant pour les personnes déprimées, un jour de sacrifice même pour des parents désœuvrés, qui ont tenu à offrir un petit Noël à leur enfants. Tout a changé et rien n’a changé.
Que la mort et la Résurrection du Christ aient définitivement changé les choses, nous le concevons bien : c’est le fondement de notre religion. La preuve du Salut, c’est le retour de Jésus d’entre les morts. Mais sa naissance n’apparaît pas comme un bouleversement. Que du contraire, la venue d’un Messie, pourtant annoncée de manière tonitruante par les prophètes, se fait dans la discrétion d’une étable, à l’insu de tous.
C’est l’occasion de nous pencher sur l’historicité des récits de la Nativité et, au-delà, de celle de Jésus. Régulièrement, des historiens remettent en cause l’existence du Christ, arguant que les récits (Mt 1-2 ; Lc 1-2) sont tardifs, écrits quelques 80 à 90 ans après les faits qu’ils rapportent. S’il est vrai que personne n’a pris note de la naissance de Jésus, que les récits de la Nativité ne sont en rien du journalisme, qu’ils ont été stylisés pour souligner le message théologique qu’ils portent, il faut aussi remarquer que les premières biographies du Bouddha datent de 600 ans après sa mort, celles d’Alexandre le Grand, 400 ans. Personne ne doute pourtant de leur existence. Ce qui fait la valeur des textes du Nouveau Testament, c’est qu’ils ont été écrits alors que vivaient encore des témoins oculaires de la vie du Christ.
Ceci nous oblige, tout de même, à une prise de distance critique par rapport au texte. Par exemple, le recensement du gouverneur Quirinius que l’Évangile évoque est historiquement daté de l’an 6 ou 7. Sans doute est-il évoqué pour faire naître Jésus à Bethléem, là où Michée (5,1) avait prophétisé la venue du Messie. Jésus est-il effectivement né à Bethléem ? Certains en doutent. Pourquoi s’appelle-t-il dès lors Jésus de Nazareth ? Entre la réalité historique et l’intention de Luc de nous faire comprendre qu’il est le Messie annoncé, comment trancher ?
La discrétion de l’évènement de la naissance de Jésus pose certes des difficultés historiques, mais, spirituellement, elle est parlante. C’est dans la nuit la plus sombre que Dieu s’incarne – qui justifie d’ailleurs le choix symbolique – et non historique – du 25 décembre, alors que les jours visiblement rallongent. Forcément, le Salut surgit des ténèbres ; la venue du Messie doit éclairer nos nuits les plus sombres. Mais ce qui frappe, c’est la discrétion de cet éclat, la quasi-imperceptibilité du surgissement de l’incarnation divine, sa faiblesse aussi, comme un petit enfant soumis aux aléas de la vie.
C’est ainsi que Dieu surgit dans nos ténèbres : de manière éclatante par une résurrection spectaculaire ou de manière ténue comme une bougie vacillante dans la nuit. Voici ce que nous célébrons à Noël : la puissance de Dieu comme un scintillement dans la ténèbre. Tout change et rien ne change.
C’est la nuit, le jour de Noël, le jour merveilleux du surgissement divin dans le monde et pourtant, aujourd’hui aussi, des gens souffrent et pleurent ; des gens agonisent et meurent. Nous voici deux mille ans après la naissance du Christ et quel changement spectaculaire avons nous observé ? Toujours autant d’oppression et de guerres ; toujours autant de misère humaine et de pauvreté. Factuellement, historiquement, où est l’éclat de Noël ? En quoi la venue du Christ a-t-elle fait toutes choses nouvelles ?
Tout a changé et rien n’a changé. Voilà le sens paradoxal de Noël : le surgissement presqu’invisible, au cœur de la nuit, de l’espérance qui sauve tout, du Christ qui surgit au cœur de nos ténèbres humaines. La marche du monde n’a pas été changée par la naissance de Jésus. C’est notre marche dans le monde qui est bouleversée par sa rencontre personnelle.
C’est à nous qu’il revient d’être des petites lumières vacillantes pour notre monde enténébré. Voici Noël, le jour où nous méditons la lumière divine qui surgit en nous, le jour intérieur qui change tout et nous appelle à rayonner d’espérance. Voici comment Dieu fait toutes choses nouvelles : en éclairant de notre lumière intérieure les ténèbres du monde.
C’est Noël, le jour qui change tout en nous, pour que nous allions changer le monde.
Joyeux Noël à tous.
— Fr. Laurent Mathelot OP
