Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Transfigurations

Année C — 2ème dimanche du Carême — 16 mars 2025

Évangile selon saint Luc 9, 28b-36

Ce texte qui relate, selon Luc, le récit de la Transfiguration est très construit. C’est une œuvre tellement emplie de symbolique juive et chrétienne, de liens avec d’autres parties du nouveau et de l’ancien testaments – tellement pleine d’un sens presque graphique – que la tentation est forte de la lire comme telle : un texte purement symbolique.

Je relève quelques références :

  • l’aspect lumineux du Christ qui fait référence à la celui de Moïse quand il redescend d’avoir été auprès de Dieu, au Mont Sinaï ;
  • la présence de Moïse et d’Élie qui symbolisent l’accomplissement de la Loi et de la Parole de Dieu en Jésus ;
  • la voix de Dieu qui est la même que celle entendue à son baptême ;
  • la référence à la fête juive des tentes – Succot – où on célèbre, à la fois, l’assistance de Dieu pendant l’Exode et la fin des moissons. Ainsi, on fête non seulement la fin de l’errance au désert, mais également la récolte des fruits de la Terre promise.

Donc, en pleine connexion avec les écritures et la tradition d’Israël, Luc aurait imaginé ce récit comme une mise en abîme de la Résurrection. Ainsi, il s’agirait d’un processus littéraire qui prépare le lecteur à ce qui va suivre, en lui donnant certaines clés de lecture. Et c’est peut-être effectivement le cas.

On conclut alors que ce passage fonctionne comme une image, un enseignement illustré donné par Luc. En réalité, il ne s’est rien passé ; Pierre, Jacques et Jean n’ont observé aucun phénomène : jamais Jésus ne leur est apparu physiquement transfiguré ; le récit anticipe simplement la résurrection des corps par une image forte et concrète certes, mais inventée – une parabole. Il n’y a effectivement aucune voix qui soit venue du ciel sur quelque montagne que ce soit ; encore moins d’apparition de Moïse et d’Élie. Finalement, ce récit fonctionne comme une expérience de pensée qui nous parle de l’au-delà de la mort. Et c’est tout.

Je le redis, vous pouvez croire cela : que ce passage est une image – certes, belle et parlante – mais juste une image.

Maintenant, partant du principe que, là où l’herbe est plus verte, le ciel est aussi plus bleu, on peut aussi interpréter ce passage comme le récit de la vision des disciples de Jésus en prière, de ce qu’ils ont réellement éprouvé intérieurement. Sans doute, savez-vous que le bonheur et la joie changent notre regard sur le monde ; que vous voyons effectivement les couleurs de manière plus éclatante lorsque nous sommes heureux. C’est un phénomène qui s’étudie en psychologie. A l’inverse, peut-être hélas savez-vous aussi que, plus tristes, plus déprimés, nous voyons effectivement les couleurs plus ternes ; que notre esprit teinte notre vison selon notre humeur. Là où l’herbe est plus verte, le ciel est effectivement plus bleu et, à voir la profondeur paisible de la prière du Christ, à observer la sérénité de l’intime cœur à cœur du Fils avec son Père, la scène apparaît effectivement plus rayonnante à mesure de la joie qu’elle communique au cœur des apôtres. Au fond, il s’agit de traduire ici que le Christ, à mesure que nous l’observons en Dieu, nous fait voir les choses avec un regard de plus en plus lumineux.

Dans cette interprétation, toute aussi valable que la première, le récit est déjà moins imaginé pour acquérir une épaisseur concrète. Il parle déjà d’un fait : la prière, la profondeur spirituelle illuminent notre regard. Vous l’avez sans doute déjà toutes et tous remarqué : certains lieux spirituels, certaines personnes qui prient nous semblent avoir une luminosité, une aura spéciales.

Une troisième lecture est de dire que le corps du Christ s’est effectivement trouvé changé, qu’il a lui-même été physiquement transformé par la prière. C’est aussi quelque chose que la science constate : la prière, la méditation changent la structure du cerveau en favorisant certaines connexions neuronales au détriment d’autres. On l’observe notamment en faisant passer des scanners à des moines, chrétiens ou bouddhistes. On s’approche plus ainsi du sens littéral grec du mot « Transfiguration », c’est-à-dire celui de « métamorphose ». Le Christ s’est littéralement métamorphosé sous les yeux de Pierre, Jacques et Jean. Son corps a effectivement changé sous l’effet de la prière. Quelque chose s’est modifié, non seulement dans le regard de ses disciples, mais avant tout en lui.

Le sens littéral de la Transfiguration est sans doute l’interprétation la plus difficile à recevoir de nos jours. Que les corps puissent être radicalement transformés par l’action de l’Esprit Saint bouscule quelque peu notre raison scientifique. On touche effectivement au mystère de l’Incarnation divine. Mais ce principe d’action de l’Esprit sur la matière, d’une prière efficace qui effectivement transforme charnellement celui qui prie, nous devons le maintenir sinon nous ne pouvons plus croire aux guérisons spirituelles, ni même à la résurrection des corps.

Chaque niveau de lecture de ce genre de récits très imagés et très construits pour dire la réalité spirituelle est une voie d’accès possible vers la compréhension de notre propre transfiguration en Christ : soit que ce récit préfigure notre propre résurrection ; soit qu’il parle du regard que posent les autres sur nous quand nous rayonnons de la proximité de Dieu ; soit qu’il présente effectivement notre propre métamorphose par la prière.

Voici deux questions pour notre semaine de Carême à venir : Quel est l’impact de la prière sur ma vie, mon esprit et mon corps ? Concrètement, qu’est-ce que ça change en moi de me rapprocher de Dieu ?

— Fr. Laurent Mathelot OP


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