Sauver la Création

Encyclique « Laudato Si » du pape François

Le pape François a reçu en audience privée une délégation de seize Français ce jeudi 3 septembre 2020. Il a discuté avec eux de manière spontanée pendant près d’une heure autour de la thématique écologique.

Cette rencontre se voulait un prolongement des réflexions que la Conférence des Évêques de France a engagées autour de l’Encyclique Laudato si’. Elle était également l’occasion de présenter au Pape différentes personnalités engagées en faveur de l’écologie mais qui ne sont pas forcément croyantes. Parmi la délégation, figuraient notamment la comédienne Juliette Binoche, l’ancienne journaliste devenue adjointe de la maire de Paris, Audrey Pulvar, l’essayiste Pablo Servigne, l’architecte Raphaël Cornu-Thénard, l’entrepreneur Maxime de Rostolan, ou encore le père Gaël Giraud, jésuite et économiste.

« Il nous a raconté comment il a lui-même pris conscience de l’urgence écologique »

Dès le début de son intervention, le pape François a donné le manuscrit de son discours à ses interlocuteurs, privilégiant une discussion plus spontanée. « Il a dit qu’il voulait nous parler d’abondance de cœur » raconte  Laurent Landete, directeur du Collège des Bernardins et membre de la délégation. « C’est très touchant, car il nous a raconté comment il a lui-même pris conscience de l’urgence écologique, et comment il a cheminé petit-à-petit vers Laudato Si’ », ajoute-t-il.

Le pape François a ensuite évoqué les peuples d’Amazonie, et expliqué que l’écologie devait être « profondément emprise d’humanité ». Il a insisté sur l’importance du lien entre les plus jeunes et les anciens. « Le Pape nous a dit que la question de l’écologie est liée à la question de la sensibilité et de la sagesse. Cette dernière se transmet aussi grâce aux anciens », relève Laurent Landete.

Le Pape a ainsi renouvelé à tout le groupe ses encouragements pour poursuivre leurs efforts en faveur de la sauvegarde de l’environnement.

À l’issue de la rencontre, la délégation a offert plusieurs cadeaux au Souverain pontife, dont un olivier et quatre plans d’Artemisia, une plante très cultivée en Afrique car elle permettrait de lutter contre le paludisme.

Texte écrit non prononcé et remis aux participants

« Je suis heureux de vous recevoir, et je vous souhaite une cordiale bienvenue à Rome. Et je vous remercie, Monseigneur de Moulins Beaufort, d’avoir pris l’initiative de cette rencontre suite aux réflexions que la Conférence des Evêques de France a menées autour de l’Encyclique Laudato si’,

Nous faisons partie d’une unique famille humaine, appelés à vivre dans une maison commune dont nous constatons, ensemble, l’inquiétante dégradation. La crise sanitaire que traverse actuellement l’humanité nous rappelle notre fragilité. Nous comprenons à quel point nous sommes liés les uns aux autres, insérés dans un monde dont nous partageons le devenir, et que le maltraiter ne peut qu’entraîner de graves conséquences, non seulement environnementales, mais aussi sociales et humaines.

Il est heureux qu’une prise de conscience de l’urgence de la situation apparaisse désormais un peu partout, que le thème de l’écologie imprègne de plus en plus les mentalités à tous les niveaux et commence à avoir une influence sur les choix politique et économiques, même s’il reste beaucoup à faire et si nous assistons à trop de lenteurs et même de retours en arrière.

Pour sa part, l’Eglise catholique veut être pleinement participante à l’engagement pour la sauvegarde de la maison commune. Elle n’a pas de solutions toutes faites à proposer et elle n’ignore pas les difficultés des enjeux techniques, économiques et politiques, ni tous efforts que cet engagement entraîne. Mais elle veut agir concrètement là où cela est possible, et elle veut surtout former les consciences en vue de favoriser une profonde et durable conversion écologique, seule capable de répondre aux défis importants qui se présentent à nous.

Sur cette question de la conversion écologique, je voudrais vous partager la manière dont les convictions de foi offrent aux chrétiens de grandes motivations pour la protection de la nature, ainsi que des frères et des sœurs les plus fragiles, car je suis sûr que la science et la foi, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent développer un dialogue intense et fécond (cf. Laudato si’, n. 62).

La Bible nous enseigne que le monde n’est pas né du chaos ou du hasard, mais d’une décision de Dieu qui l’a appelé et toujours l’appelle à l’existence, par amour. L’univers est beau et bon, sa contemplation nous permet d’entrevoir la beauté et la bonté infinies de son Auteur. Chaque créature, même la plus éphémère, est l’objet de la tendresse du Père qui lui donne une place dans le monde. Le chrétien ne peut que respecter l’œuvre que son Père lui a confiée comme un jardin à cultiver, à protéger, à développer dans ses potentialités.

Et si l’homme a le droit d’user de la nature à ses fins, il ne peut, en aucune manière, s’en croire le propriétaire ni le despote, mais seulement l’intendant qui devra rendre des comptes de sa gestion. Dans ce jardin que Dieu nous offre, les hommes sont appelés à vivre en harmonie dans la justice, la paix et la fraternité, idéal évangélique que propose Jésus (cf. LS, n. 82). Et lorsque l’on considère la nature uniquement comme un objet de profit et d’intérêt – une vision qui consolide l’arbitraire du plus fort – alors l’harmonie est rompue et de graves inégalités, injustices et souffrances apparaissent.

…Tout est donc lié. Ce sont la même indifférence, le même égoïsme, la même cupidité, le même orgueil, la même prétention à se croire le maître et le despote du monde, qui portent les hommes : d’un côté à détruire les espèces et piller les ressources naturelles, et, d’un autre côté, à exploiter la misère, abuser du travail des femmes et des enfants, renverser les lois de la cellule familiale, ne plus respecter le droit à la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son achèvement naturel.

Ainsi, «si la crise écologique est l’éclosion, une manifestation extérieure d’une crise éthique, culturelle, spirituelle, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain » (LS, n. 119).

Il n’y aura donc pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau, et c’est en guérissant le cœur de l’homme que l’on peut espérer guérir le monde de ses désordres tant sociaux qu’environnementaux.

Alors que l’état de la planète peut sembler catastrophique et que certaines situations paraissent même irréversibles, nous, les chrétiens, gardons toujours l’espérance, car nous avons le regard tourné vers Jésus-Christ. Il est Dieu, le Créateur en personne, venu visiter sa création et habiter parmi nous (cf. LS nn. 96-100), afin de nous guérir, nous faire retrouver l’harmonie que nous avons perdue, harmonie avec nos frères, harmonie avec la nature. « Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins » (LS, n. 245).

Je demande à Dieu de vous bénir, et s’il vous plait, je vous demande de prier pour moi. »

Pape François

URGENTISSIME ! PREPARER LE CHEMIN DU SEIGNEUR EN CHANGEANT DE MODE DE VIE

Mathieu Labonne est l’actuel directeur du mouvement Colibris créé en 2007 par Pierre Rabhi, qui prône la construction d’une société écologique et humaine à travers l’engagement de chacun, à sa mesure, et qui porte de nombreuses initiatives, notamment des lieux de vie écologiques et participatifs. Ingénieur, Mathieu Labonne a mené des recherches au CNRS sur le climat. Il est également expert sur les questions liées au carbone.

Aleteia : Pour vous, qu’est-ce qu’une société écologique et humaine ?

Mathieu Labonne : C’est de dire que pour qu’il y ait un changement politique à grande échelle, cela ne peut s’appuyer que sur un changement humain. Nous créons un terreau pour que derrière, un changement plus global puisse se faire. Nous voulons aider un maximum de gens à accéder à ce que l’on appelle l’empowerment, la capacité d’agir, dans les domaines de l’économie ou de l’éducation.

Il est indispensable qu’il y ait un changement culturel, c’est-à-dire dans le rapport de l’Homme à la nature, dans nos modes de vie et nos aspirations. Il est possible de faire et de vivre autrement. Notre projet aide ainsi  quelque 800 projets à se développer. Aujourd’hui, entre 300 et 400 d’entre eux fonctionnent bien et peuvent apparaître comme des modèles. Le problème, c’est que ce n’est pas suffisant pour que toute la société fasse la bascule. Aujourd’hui, un Français consomme autant que Louis XIV à son époque. Nous vivons tous mieux que des rois de France !

Vous dites que ce n’est pas suffisant. Vous êtes pessimiste ?

Je suis témoin d’une belle énergie citoyenne, mais mon impression est que cela reste encore minoritaire. Ce n’est pas assez. Il faut continuer notre travail d’inspiration, en mettant les gens en lien entre eux. Le monde à construire n’est pas un monde uniforme. Il n’y a pas de modèle unique. Je vois deux valeurs clefs : l’écologie, qui se traduit  par cette intention d’être les plus autonomes possible, ainsi que la mutualisation et le partage. Nous pouvons réduire notre besoin individuel en jouant avec le collectif, par exemple en utilisant des buanderies collectives. Très souvent, le fait de fonctionner en collectif facilite l’accès à l’écologie. Derrière, c’est la question du vivre-ensemble qui émerge car cela demande de vivre avec des notions d’interdépendance. Je crois beaucoup à la vie communautaire. Après, ce n’est pas un mode de vie qui convient à tout le monde. Le monde moderne est basé sur l’hétéronomie : tous nos besoins individuels sont comblés par la société. C’est très énergivore. Je crois que l’un des grands enjeux, c’est de retrouver nos savoir-faire au niveau local, dans l’agriculture, la construction… Il faut changer les règles du jeu et que les acteurs locaux puissent prendre ensemble les choses en main. Une meilleure gestion du bien commun passe par des acteurs locaux. Mais il faut mettre les gens en capacité de le faire. Nous devons les aider à trouver les bons outils.

Comment faire au quotidien ? Devons-nous changer radicalement de vie ?

Beaucoup de choses sont possibles dans les gestes de chaque jour : acheter des produits locaux et de saison, moins prendre sa voiture … Les trois pôles les plus importants du bilan carbone français moyen sont l’alimentation, le chauffage et les transports, et vient ensuite l’équipement informatique. Pour moi, la politique des bons gestes est bonne, mais elle n’est qu’un début… Une partie de la population sera amenée à changer de mode de vie. Aujourd’hui, s’il l’on veut passer à une agriculture complètement bio, il manque 500.000 agriculteurs. Je pense qu’il faut redonner leur place à des modes de vie plus ruraux. En effet, on densifie au maximum les villes et on désertifie les campagnes. Je pense qu’il faut re-designer son mode de vie, par exemple en apprenant à partager le covoiturage. Un même objet, une voiture par exemple, peut servir à plusieurs personnes. Il y a un mouvement de société prépositif là-dessus, mais encore insuffisant. Beaucoup de gens s’intéressent à ce que l’on appelle la théorie de l’effondrement. Notre vitesse d’évolution est trop lente. Notre monde va changer dramatiquement dans les dix, vingt ans qui viennent. Beaucoup de belles choses se mettent en œuvre mais je reste pessimiste au niveau global. Plus il y aura d’initiatives positives, plus on saura trouver l’inspiration pour trouver des portes de sortie.

Dans Laudato si’, le pape François aborde  la question de la sauvegarde de la maison commune. Sa figure vous inspire-t-elle ?

Oui, complètement. Je vois cela d’un très bon œil. À titre personnel, je suis intéressé par le lien entre économie et spirituel…L’Homme traverse une crise de sens qui se manifeste par la surconsommation et la recherche de confort absolu. Nous répondrons à cette crise-là par la dimension spirituelle, par le fait de retrouver du sens. Avant tout, il faut proposer un nouveau chemin à la société, et cela passe par un retour au sacré, un travail en profondeur sur la psyché humaine, la fin de l’ego de l’Homme. Je pense que c’est un peu le mythe de Prométhée. Symboliquement, le bouleversement climatique, c’est un déluge. L’être humain a voulu créer un monde profondément lié à ses fantasmes. C’est la volonté de maîtrise de l’être humain qui n’accepte pas que la vie est faite de hauts et de bas et qui se dit : « Le monde n’est pas comme je voudrais qu’il soit et je veux le changer ». On est constamment en train d’essayer de construire un monde non pas tel qu’il est, mais tel qu’on voudrait qu’il soit. Accepter le monde tel qu’il est, cela demande une force spirituelle.

Quelle est votre espérance ?

Que nous décidions de mieux travailler ensemble et que le nombre d’initiatives se démultiplie. Il s’agit d’un changement de paradigme. On change plus les gens par l’expérience que juste par le savoir car il y a quelque chose qui se passe en eux. Mon espoir, c’est de faire goûter au gens l’intérêt de ces autres modes de vie.

(paru dans ALETEIA du 2.12. 2018)