ICI AUSSI AUJOURD’HUI DES DERACINES CHERCHENT UN BETHLEEM

Ce week-end commencera au parc Maximilien où je me rends avec R. – où plus exactement R. me conduit – et je retrouve les alignements majestueux près de la gare du Nord. Le vieux Bruxellois que je suis n’avait jamais visité le parc Maximilien.

A notre arrivée (20 heures) au coin d’une rue, près d’un arrêt de bus, dans la nuit, dans le froid, une petite soixantaine de migrants transis, attend l’arrivée de « drivers » (pourquoi pas de chauffeurs?) venus de quelques coins de Bruxelles et de la Wallonie.

On perçoit des regards angoissés: « Moi? ». On se confie par quelques gestes: « La nuit passée, un dos à dos pour lutter contre le froid ».

Quelle différence entre eux et nous? Pourquoi eux et pourquoi nous?

Il y a aussi des femmes au beau visage ouvert, presque rieur. On perçoit que le rire des femmes qui émergent d’un tas de vêtements est une invitation au courage.

Il y a des « blouses blanches » qui se chargent de la répartition. C’est presque un marché: « Je veux un groupe de quatre, un groupe de deux ! … Je les prends et je pars! ». Le mot d’ordre est: il ne doit pas rester un « migrant » sur place car demain et après-demain, diverses manifestations sont prévues.

Et cela se passe ainsi: petit à petit, mais sûrement, le grand groupe se rétrécit et il ne restera personne dans le froid de cette grande nuit.

En revenant au village, on constate que d’autres « drivers » nous y ont précédés car ce village s’est « ouvert » nonobstant sa réputation droitiste.

Mais, ce midi, 3 fumeurs sans cigarettes …et je n’ai pas de voiture ! Nous avons mangé du riz au poulet, aux tomates et… aux sardines ce qui donnait au poulet un goût et une odeur maritimes marquées des embruns de l’océan

Pendant que je lace mes chaussures, X … est en train de téléphoner à son épouse et à sa fille de 7 ans. Des voix féminines qui ne se distinguent pas de celles d’ici. Sans doute on se rassure, on rassure, on raconte, on invente un peu…

Ils me demandent de la viande de bœuf, en ont assez de la viande de poulet, ne veulent pas de porc. La réalité « salade » ne les inspire pas. Il est sans doute un peu rapide de penser qu’ils n’ont pas de goût et que la triade : poulet, tomates, oignons peut suffire.

La neige ? De grands yeux qui interrogent. Comme sans doute les enfants de nos régions.

De la viande de bœuf ? Oui, elle vient mais on la mélange, une fois encore, avec une boîte de poisson.

On pourrait penser que les 3 hommes sont comme un kyste imperméable à nous, à notre « way of life » qui se loge pour quelques jours dans notre famille. Ici, je suis seul avec eux et « ils prennent le pouvoir » (culinaire), mangent dans une même assiette, toujours ces spaghetti froids ! Le lait que l’on fait bouillir dans ma bouilloire d’eau !

Ils me « dérangent » au figuré et au pratique – constatation qui n’est pas un jugement négatif. Parfois mon mauvais anglais leur permet de faire passer un bout d’histoire : « My wife and my girl are in Norway ». « J’ai été arrêté au Danemark, mis 3 jours en prison, expulsé vers l’Allemagne… » …

Un autre me montre une photo de sa femme. Comment peut-on laisser, abandonner une épouse si belle, si parée de toutes les vertus ?

« Ils ont fui un pays rendu inhabitable par une double prédation, endogène et exogène » (A. Mbembe).

Journal 15-12-18

L’ESSENTIEL : LA DIGNITE DU TRAVAILLEUR

LES GILETS JAUNES

A trois semaines de la Nativité, c’est-à-dire de Noël, de la venue de Dieu parmi les hommes, ce Dieu que je prie, que je sers, et qui m’aime me dit qu’il s’est fait proche de chaque personne humaine, qu’il aime chacun et veut le bien de tous.

Aussi je veux porter ce message à vous qui vous sentez écrasés, méprisés, humiliés par un système économique et politique où l’être humain est rejeté au nom du profit et de l’argent.

La première violence vient des situations qui, dans la vie économique et politique, attentent à la dignité de la personne, à la justice et à la solidarité. L’Eglise Catholique a développé depuis le XIXème siècle une pensée sociale que réactualisent sans cesse les prises de position des papes contemporains. Le pape François, reprenant Jean-Paul II, écrit : « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne » (Laudato Si, n°93).

Pour cela, le travail exercé permet à la personne d’avoir un espace de valorisation, de participation au bien commun, un moment où elle se trouve elle-même. Le chômage durable abîme la personne et nécessairement cause un sentiment d’injustice. De la même manière quand des activités contraignantes comme le travail de la terre ou à l’usine ne permettent plus d’en vivre il y a une atteinte à la dignité du travailleur.

Trop de personnes aujourd’hui en France, ne peuvent vivre dignement du fruit de leur travail : c’est injuste ! Le travail humain, écrivait Jean-Paul II, « ne concerne pas seulement l’économie mais implique aussi et avant tout des valeurs personnelles » (Laborem Exercens).

Quand des retraités voient leurs enfants et leurs petits-enfants subir le chômage ou devoir accepter un travail mal rémunéré ou n’être pas traités selon leurs droits légitimes, comment ne pas s’émouvoir ? Comment ne pas demander justice ? Dans un passé récent, l’entraide familiale pouvait encore jouer mais les plus petits revenus sont les premiers touchés par les mesures économiques présentes.

La situation de beaucoup de personnes âgées se dégrade régulièrement. Beaucoup ne peuvent envisager de payer 2 000 euros par mois (en Tarn-et-Garonne) une pension en maison de retraite. Or ces personnes ont travaillé toute leur vie.

Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui nos anonymes Gilets Jaunes à crier leur souffrance ?

C’est de voir une société de plus en plus livrée au profit, à la rentabilité, à la performance. Le « petit » n’a plus sa place, le peuple est victime de ce que le pape François nomme la « culture du rebut ». La pensée sociale chrétienne nous rappelle que la recherche du bien commun est aussi la recherche du bien des personnes. Par le travail, l’être humain assure la nourriture pour lui et sa famille, prend sa place dans la société et donc dans la relation aux autres, réalise ses capacités et contribue à transformer le monde.

L’être humain n’est pas une machine au service d’un système économique.

La crise que nous vivons vient essentiellement du manque d’humanité de nos sociétés technocratiques. Il est nécessaire de refonder la relation entre le travail et le capital, de rendre à nos concitoyens un moyen de participation aux décisions économiques et financières que le jeu politique ne permet pas.

Il est urgent que l’autorité politique, aujourd’hui beaucoup trop soumise au pouvoir de la finance, engage sa responsabilité pour la promotion du droit au travail, en soutenant des entreprises, en stimulant les créations d’emploi, en répondant par des actes au cri de souffrance que nous entendons. La main tendue et le cœur à l’écoute sont nécessaires.

Vous tous qui souffrez et demandez justice, je vous exprime ma proximité même si je ne peux qu’inciter à la dignité, au respect de chacun et à la nécessité de ne pas aggraver la situation de beaucoup. Méfiez-vous de toute violence !

Nous allons fêter la Nativité de Jésus, que ce bébé innocent qui est Dieu parmi nous vous offre son sourire. Il n’a que ça, ce petit enfant né dans une étable, mais il est notre Sauveur !

Pensez à lui, il pense à vous.


Monseigneur Bernard Ginoux,

Evêque de Montauban.