Quelques mots avant l’Apocalypse

Adrien Candiard, dominicain, 40 ans, prieur du couvent du Caire, spécialiste de théologie islamique. Plusieurs de ses livres ont remporté un grand succès. Le récent, « Quelques mots avant l’apocalypse », est n° 1 des ventes de livres religieux. Extraits de son interview dans « La Croix » du 9 10 2022.

  • Le titre de votre livre fait peur : pourquoi l’avoir choisi ?

Les événements climatiques de l’été, comme la canicule ou les incendies, ont confirmé l’impression, que j’éprouve depuis plusieurs années, que nous allons de catastrophe en catastrophe. Nous sommes entrés dans la pandémie du covid en imaginant qu’elle prendrait fin un jour ou l’autre, nous avons développé toute une réflexion sur le monde d’après, mais nous sommes passés très vite à la guerre en Ukraine. Pour un Européen de mon âge, celle-ci a suscité une inquiétude assez nouvelle.

Les conséquences des problèmes climatiques se sont révélées plus violentes et plus rapides qu’on ne l’imaginait nous donnant à penser qu’il ne s’agissait que d’un début. En Égypte où je vis, la guerre en Ukraine déclenche une précarité alimentaire, avec une envolée des prix rudement ressentie par la population et une grande incertitude quant à l’approvisionnement du pays dans un avenir proche. A deux pas d’ici, le Liban s’est effondré sous nos yeux.

L’humanité a connu bien des catastrophes, mais jamais au point de provoquer notre propre destruction. C’est vertigineux ! La menace nucléaire comme le changement climatique relèvent de notre responsabilité. Si la foi chrétienne n’avait rien à dire dans une situation aussi vitale pour l’humanité, elle serait totalement insignifiante.

  • Le propos de votre livre s’appuie sur le chapitre 13 de Marc dans lequel Jésus s’exprime sur la fin des temps.

Oui Jésus énonce une parole apocalyptique (le mot vient du grec et signifie « révélation ») questionnant la fragilité de l’humanité, sa capacité à se détruire. Il ne dresse pas la liste des signes qui annonceraient la proximité de la fin du monde. Le Christ précise que personne, pas même lui, ne peut en connaître la date. Toutes les prédictions sont donc vouées à l’échec.

Ce qu’il nous donne à comprendre, c’est le sens de l’histoire humaine. Les événements que nous traversons aujourd’hui, ne sont pas une simple erreur de trajectoire, après quoi l’histoire humaine repartirait sur de bons rails. Jésus nous dit au contraire que la violence fait partie de l’histoire et que le tragique est inévitable parce que la révélation même de l’amour de Dieu peut provoquer aussi bien la conversion que le rejet, aussi bien la sainteté que le refus clair et conscient d’être aimé.. Dans la perspective chrétienne, l’histoire humaine s’articule précisément entre cet accueil et ce refus de l’amour de Dieu.

  • Pour l’heure nous voyons surtout la destruction de la création.

Il est possible – mais pas certain heureusement – que l’on parvienne à détruire une bonne partie de notre cadre de vie. Nous vivons avec une angoisse légitime face à l’état de la planète, comme si cette planète était notre seul espoir. Notre espérance, nous dit cependant l’Évangile, ne réside pas dans la seule conservation de ce cadre de vie. Dieu est plus grand que sa création. Ce qui ne veut pas dire que nous ne devrions rien faire, au prétexte que ça ira mieux dans la Vie éternelle. La Création est en réalité le lieu où se construit le Royaume. Elle a une valeur bien plus grande que ce qu’on en voit aujourd’hui. Comme une femme enceinte, dont le ventre proéminent est porteur d’une vie à naître.

  • Une espérance est donc possible ?

Dana récit apocalyptique que nous livre Jésus dans l’évangile de Marc, il y a à la fois l’annonce de catastrophes, et la certitude que cela mène à la venue du « Fils de l’homme ». Autrement dit, une assurance nous est donnée : ces événements ne sont pas le dernier mot de l’histoire humaine. Entre l’acceptation ou le refus de l’amour de Dieu, le Christ nous révèle que l’amour de Dieu est gagnant.

Dans ce discours de Jésus, la Passion apparaît clairement comme le modèle de toute l’histoire humaine : son apparent échec mène à la résurrection, et donc au triomphe inattendu de la volonté de salut de Dieu, alors même que l’on avait toutes les raisons de désespérer. Cela demande de la foi, c’est tout l’enjeu de ce discours de Jésus et de la foi chrétienne en général.

  • Quel rôle pouvons-nous jouer à notre niveau ?

La foi chrétienne nous dit que tout est lié. Le souci du bien ou du mal, au niveau individuel, a des répercussions positives et négatives sur l’ensemble du monde créé. C’est bien le désir de domination qui nous a conduits à cette situation. Les causes du mal sont d’abord dans les cœurs. Il y a de multiples façons d’agir, d’aimer et d’aider son prochain. On ne fait pas son salut dans son coin. L’engagement collectif est un élément essentiel pour la foi chrétienne.

Adrien Candiard : « Quelques mots avant l’apocalypse » – éd. du cerf – 12 €.

« Le fanatisme est la marque d’une absence de Dieu »

par Adrien Candiard, dominicain

Alors que la France a été secouée par le meurtre brutal de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, par un terroriste, frère Adrien Candiard, dominicain et membre de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, a publié au début du mois un essai sur le fanatisme. Un thème hélas on ne peut plus d’actualité.

Aleteia : De quoi le fanatisme est-il le fruit ?

Adrien Candiard : Quand j’ai commencé à travailler le sujet, je croyais, comme tout le monde il me semble, que le fanatisme venait d’une forme d’excès de religiosité. À présent, il m’apparaît que le fanatisme est au contraire la marque d’une absence de Dieu. Cela peut surprendre ! Mais le fanatique religieux est quelqu’un qui, tout en parlant de Dieu à tout bout de champ, l’a en réalité remplacé par un objet plus accessible, qu’il peut posséder, alors que Dieu est toujours plus grand que nos prises de contrôle et nos manipulations. Ce qui peut remplacer Dieu, c’est souvent des objets proches de Dieu : ses commandements, sa révélation, la liturgie, etc. Tous ces objets sont très bons en eux-mêmes, tant qu’ils restent ce qu’ils sont : des chemins vers Dieu. Quand on les prend comme une fin en soi, quand on les traite comme des absolus, alors que Dieu seul est absolu, on bascule dans l’idolâtrie.

Comment le fanatisme contemporain s’exprime-t-il par rapport au fanatisme des siècles précédents ? En quoi diffèrent-ils ?

Si le fanatisme est d’abord une tentation présente dans le cœur de l’homme, il y a une certaine permanence au fil des siècles. L’époque change les moyens de diffusion et les modes d’action, ce qui n’est pas rien, mais sur le fond, rien n’a changé depuis que les Hébreux, dans le désert, inquiets de ne pas voir Moïse redescendre du Sinaï, ont préféré adorer un veau d’or plutôt que l’étrange Dieu invisible qui les avait fait sortir d’Égypte.

Comment différencier les fanatismes ? Un fanatique chrétien est-il très différent d’un fanatique musulman ? 

Les fanatismes ont une base commune : ils affirment tous que Dieu n’est pas connaissable en lui-même, et ils le remplacent par autre chose. Mais ils vont se distinguer par ce qui devient l’objet de leur idolâtrie. Cela amène des formes de fanatisme très différentes : celui qui fera des versets bibliques un absolu définitif, au point de refuser qu’on enseigne à l’école la théorie de l’évolution, est évidemment très différent d’un taliban qui prépare un attentat-suicide !

Comment le fanatisme peut-il malgré tout nous dire quelque chose de Dieu ?     

Paradoxalement, le fanatisme nous dit quelque chose d’essentiel : il y a dans le cœur de l’homme une place très particulière pour Dieu. Quand cette place est occupée par quelque chose d’autre, que ce soit religieux (la Bible, le « vrai catholicisme », l’imitation du Prophète…) ou séculier (la race, la classe, le progrès, l’histoire, la nation…), alors cela tourne à la catastrophe.

Quels sont les risques du fanatisme ?

Au-delà des risques évidents, quand le fanatisme engendre une violence physique (ce qui n’est pas toujours le cas !), j’aimerais souligner combien le fanatisme est, pour celui qui le vit, une prison. Les idoles ne nous libèrent jamais. Elles créent de l’obsession, du scrupule, de la peur. Rien de surprenant à cela : elles sont limitées, et nous voulons les prendre pour un absolu.

N’y a-t-il pas une forme de fanatisme au fond de chacun ? Comment la combattre ? 

La tentation idolâtre, qui fait naître le fanatisme, nous concerne tous. Ce n’est pas pour rien que le premier des Dix commandements nous met en garde à son sujet ! La vie spirituelle n’est rien d’autre qu’une patiente destruction de nos idoles intérieures, sous la conduite de l’Esprit saint : prier, laisser Dieu être Dieu en nous, c’est donc progressivement désarmer en nous les tentations du fanatisme.

Propos recueillis par Domitille Farret d’Astiès, le 03/10/20.

Du fanatisme : quand la religion est malade, par Adrien Candiard, Editions du Cerf, octobre 2020, 10 euros.