Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Son règne finira-t-il par venir ?

Alors que l’actualité du monde comme nos vies personnelles peuvent sembler désespérantes de mauvaises nouvelles, comme une série de malheurs sans fin, Jean de Sain-Cheron se demande quand viendra le « règne de Dieu » annoncé.


« La venue du règne de Dieu n’est pas observable », prévient Jésus dans l’Évangile (Lc 17, 20). En toute sincérité, on s’en était aperçus. Car où est-il, le règne de paix, de droit, de justice promis par le Seigneur ? (cf. Is 9, 6) Où est-il donc, le royaume annoncé ? Jésus ajoute : « Le règne de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17, 21). Nous voilà bien avancés. Car au milieu de nous sont les malheurs. Nous l’expérimentons tous, de façon plus ou moins douloureuse, plus ou moins révoltante, que ce soit à l’échelle individuelle (un lot de malheurs démesuré, insupportable, inhumain semble avoir été réservé à certaines personnes, certaines familles), ou à l’échelle collective.

Pourquoi le malheur, ce gros monstre aveugle, continue-t-il de taper sur les éprouvés, les innocents, les enfants ? « Au milieu de nous », sans que nous ne puissions rien y faire ni comprendre, surtout si nous ne le vivons pas directement, règne le malheur : « Ceux qui, même ayant beaucoup souffert, n’ont jamais été en contact avec le malheur proprement dit n’ont aucune idée de ce que c’est. C’est quelque chose de spécifique, d’irréductible à toute autre chose, comme les sons, dont rien ne peut donner aucune idée à un sourd-muet » (Simone Weil).

Le règne de Dieu au milieu de nous

Et qu’on ne nous prenne pas pour des rabat-joie : nous sommes tout ce qu’il y a de plus disposés à voir le règne de Dieu au milieu de nous. Et même nous n’attendons que ça. On nous dira qu’il est dans le geste gratuit de telle âme charitable, dans le pardon de telle victime, dans la tendresse de tel père, dans le miracle de la naissance de tel enfant. Mais ça n’arrête pas le malheur. Qu’est-ce donc que ce règne qui ne vient pas vraiment, qui ne règne pas vraiment ? Combien de temps faudra-t-il attendre et réciter « Que ton règne vienne » ? Pourquoi la terre que le Sauveur du monde a foulée de ses pieds il y a vingt et un siècles – tout de même ! – est-elle le théâtre de tant d’horreurs ? Notre désarroi avait été prédit : « Des jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas. » (Lc 17, 22)

Où prendrons-nous courage et espérance ? Dans l’Évangile de Luc, dont sont tirées les formules qui précèdent, l’annonce du « règne de Dieu » est très nettement liée à deux actions : l’expulsion des démons et la guérison des malades (Cf. les chapitres 4, 8, 9, 10 et 11). Ce binôme guérison-exorcisme est récurrent, naturel, comme si c’était une évidence. Mais que faut-il y comprendre ? La guérison des malades, nous y sommes tous favorables, et nous n’avons pas de mal à admettre qu’elle correspond à l’avènement d’un royaume de paix et de justice.

L’expulsion des démons

Mais l’expulsion des démons, c’est une autre affaire. Nous la passons volontiers sous silence. Serait-ce parce que nous peinons à y croire ? Ou parce que ça nous fait peur ? Ou encore parce que ça ne nous semble pas aussi concret que le soin porté à ceux qui souffrent physiquement ? Et nous osons même y aller de notre interprétation : expulser les démons, au fond, ça veut dire faire sortir la violence, ou la colère, ou la peur, ou la mélancolie, de nos cœurs. C’est une image. Mais, qu’on le veuille ou non, ça n’est pas ce que Jésus a dit, ni fait.

Par réaction contre le rationalisme ambiant, certains sont désormais tentés par un spiritisme exalté, superstitieux sans doute, confinant à l’obsession pour les cas de possession et les « grands exorcismes » au sujet desquels le Catéchisme de l’Église catholique demande prudence et discernement (§ 1673). Toutefois, affirme le pape François : « Demandons au Seigneur la grâce de prendre ces choses au sérieux. »« Nous devons toujours veiller, veiller contre la tromperie, contre la séduction du malin. » Veillons donc, sans oublier de soigner les malades. Mais quand même, Seigneur, il nous faut de la patience et du courage.

Jean de Saint-Cheron,
publié dans La Croix, le 21/11/2023.


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