Année C — 26e dimanche du Temps Ordinaire — 28 septembre 2025
Évangile selon saint Luc 16, 19-31
Vous savez que les noms propres dans la Bible ont une signification étymologique. Jésus, par exemple – Yeshua, en araméen – signifie « Dieu sauve ». Abraham signifie « père d’une multitude » ; Jean (le Baptiste) : « Dieu fait grâce » ; Marie, dont l’étymologie est discutée, signifierait « l’aimée de Dieu ». Dans la Bible, les noms racontent une histoire. Aujourd’hui Lazare, dont le nom signifie « Dieu a aidé ». Lazare, c’est finalement l’homme qui n’a plus que Dieu pour le sauver. C’est le propos des lectures du jour : l’indifférence face à la souffrance.
Dans la première lecture, Amos, jeune berger du VIIIe siècle avant J.-C., fustige avec virulence ceux qui se vautrent dans l’opulence. Tandis que le pays s’enfonce dans l’injustice sociale et que l’ombre d’une invasion assyrienne se profile à l’horizon, couchés sur des divans moelleux, les puissants savourent les mets les plus fins et les vins capiteux, sans un regard pour la ruine imminente de leur peuple. Amos ne dénonce pas ici la richesse en soi, mais l’indifférence aveugle de ceux qui sont dans l’abondance. « Ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus. »
Dans l’Évangile, Jésus présente une parabole où Dieu juge sans complaisance un homme riche, qui faisait chaque jour des festins somptueux alors que mourrait sur son seuil – comme un chien, nous dit le texte – un pauvre Lazare affamé. Le jugement est sévère : les deux meurent et un abîme infranchissable les sépare désormais, l’un en enfer, l’autre au paradis.
On aurait tort de voir là une fausse théologique de la rétribution : le paradis en récompense des souffrances ; l’enfer comme punition du confort. Dieu n’accueille pas uniquement ceux qui souffrent, mais tout le monde. Et le riche ne sombre pas en enfer parce qu’il est riche mais parce qu’il est indifférent au malheur sur son seuil. Ce n’est pas le bien-être que Jésus dénonce ici, c’est l’aveuglement du cœur qu’il peut susciter.
Qui, parmi nous, n’a jamais détourné le regard d’un pauvre, inventé une excuse pour ne pas donner : « il va s’acheter de la drogue » ; « elle va le consommer en alcool », « d’autres ont bien les moyens de l’aider » ? Les drogués et les alcooliques ont pourtant cruellement faim parfois. C’est cette attitude, ce détournement du regard pour bien vite retourner à l’opulence de nos vies que Jésus dénonce – l’indifférence du cœur face au malheur flagrant.
De nos jours, s’il y a bien sûr une pauvreté matérielle objective, la grande pauvreté est affective. Certes, il y a des pauvres qui ont faim, mais il y a surtout des pauvres qui ont faim de considération et d’amour. L’individualisme est le mal de notre siècle que renforcent paradoxalement les réseaux sociaux. Nous sommes à la fois plus largement connectés et plus isolés socialement, seuls à faire défiler les messages d’un monde au seuil de nos écrans. Cette attitude crée l’indifférence, une tendance à balayer les histoires humaines comme notre doigt balaye notre téléphone.
L’étymologie dans la Bible nous rappelle que les pauvres ont un nom et une histoire et que cette histoire, c’est leur vie. Que notre regard sur le monde ne soit jamais impersonnel, ni notre charité virtuelle, que même notre main ne donne jamais sans une parole de considération. Au lieu de détourner le regard ou de vite passer à autre chose, allons demander aux pauvres sur notre seuil leur nom, leur histoire, leurs blessures. Nous réduirons ainsi l’abîme qui nous sépare.
Il s’appelait Lazare, ce qui signifie « Dieu m’a aidé parce que personne d’autre ne l’a fait ».
— Fr. Laurent Mathelot OP