Dans trois conférences inédites en français, le psychiatre autrichien Viktor E. Frankl, survivant des camps, affirme la puissance du sens de la vie et son rôle clé dans la résilience.
« Trotzdem ja zum Leben sagen » (« Malgré tout, dire oui à la vie ») : le titre original de ce recueil de conférences de Viktor Frankl (1905-1997) laisse entrevoir, mieux que sa version française, le malheur à l’ombre duquel elles furent écrites. Leur auteur, né à Vienne en 1905, médecin psychiatre juif, fut prisonnier trois ans à Auschwitz, Dachau et dans d’autres camps de concentration nazis. Il y perdit ses parents et sa femme, qui était enceinte. En 1946, neuf mois après sa libération, il prononce ce « Oui à la vie », en toute conscience du malheur, avec l’autorité des survivants.
Relisant l’expérience des camps, Frankl s’intéresse, dans ces trois conférences données à Vienne, à l’importance du sens de la vie. Il y transmet la conviction que c’est la croyance au « sens de la vie » qui rend la vie supportable, jusque dans l’enfer des camps. « Nous avons expérimenté le fait que les êtres humains sont vraiment préparés à être affamés si cette faim a un but ou un sens », écrit-il.
Appel tonique à la responsabilité
Ce sens, l’homme le trouve en répondant à la vie. « Vivre en soi n’est rien de plus que de répondre à la vie et d’assumer sa responsabilité à son égard », déclare Frankl, qui cite le poète allemand Christian Friedrich Hebbel : « La vie n’est pas quelque chose ; elle est seulement l’occasion d’accomplir quelque chose. » Cet accomplissement prend, selon lui, trois formes possibles : l’action, l’amour et la souffrance. Frankl consacre à cette dernière, la moins évidente, toute son attention. À travers le récit de vie de plusieurs patients gravement malades ou en fin de vie, le psychiatre ferraille contre l’idée que la mort et la souffrance humaine feraient perdre son sens à l’existence. Il déploie un vibrant plaidoyer contre le suicide, qui mériterait d’être relu aujourd’hui par les défenseurs du « suicide assisté ».
Après la guerre, Viktor Frankl connut une notoriété mondiale grâce à son best-seller Découvrir un sens à sa vie (1946), mais son influence resta marginale dans le monde francophone. Il élabora une nouvelle méthode de psychothérapie existentielle, la « logothérapie », proposant de traiter les troubles psychologiques en aidant les patients à répondre à la question du sens. « La question ne peut plus être : ”Que puis-je attendre de la vie ?”, mais seulement : “Qu’attend la vie de moi ? Quelle tâche m’attend dans la vie” », lance-t-il ici à son auditoire. Malgré une traduction manquant parfois de fluidité, cet appel tonique à la responsabilité, solide antidote au pessimisme et au fatalisme, résonne toujours avec puissance.
Élodie Maurot, La Croix.