Sur quoi fonder l’espérance chrétienne au lendemain des atrocités de la Seconde guerre mondiale ? Une question qui a orienté tout le travail de Jürgen Moltmann, l’un des plus grands théologiens protestants de son époque, qui s’est éteint lundi 3 juin à l’âge de 98 ans.
Le théologien réformé allemand Jürgen Moltmann est mort, lundi 3 juin, à Tübingen, à l’âge de 98 ans. « C’était l’un des plus grands théologiens européens du XXe siècle », salue le père Jean-Louis Souletie, doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Institut catholique de Paris et coauteur d’une biographie (1) du célèbre enseignant de l’université de Tübingen.
Né en 1926 dans une famille de culture humaniste peu pratiquante (son grand-père était grand maître dans la franc-maçonnerie), il est enrôlé de force à 14 ans dans les jeunesses hitlériennes et fait prisonnier en 1945. C’est au cours de sa détention en Grande-Bretagne, qu’il découvre la foi chrétienne grâce à des pasteurs.
À son retour dans sa ville natale de Hambourg, il se plonge dans les études de théologie et devient pasteur en 1953 puis enseignant. Il est nommé à l’université de Tübingen en 1967. Hanté par les atrocités de la guerre et la Shoah, il confronte sa théologie au sens de l’espérance chrétienne. « Au sortir de la guerre, tout est détruit, tout est à reconstruire, poursuit Jean-Louis Souletie. Il s’interroge : où allons-nous ? Comment y allons-nous ? Il trouve dans l’Écriture, notamment chez saint Paul, l’idée que la Création est en gémissement et qu’il faut l’aider à accoucher du Royaume. Dieu nous promet une terre et la liberté en Christ, mettons-nous au travail ! ».
Sa pensée, qui se déploie dans une trilogie Théologie de l’espérance (1964), Le Dieu crucifié (1972), L’Église dans la force de l’Esprit (1975), trouve un écho immédiat chez les théologiens asiatiques et latino-américains, aux prises avec des régimes dictatoriaux. Moltmann leur offre les outils pour penser la foi chrétienne « comme un levier, un aiguillon pour transformer un monde », qui « ne cesse de crucifier Dieu en oppressant les hommes », explique Jean-Louis Souletie. L’action juste s’enracine dans les « manières de vivre et de parler » du Jésus des Évangiles. Le théologien allemand accorde « une grande place à la table eucharistique », « mémoire des promesses du Christ » et « source pour mener les combats » du temps présent. L’Église est « servante du Royaume » quand elle travaille à la « libération » de tout ce qui oppresse l’humanité.
Homme de la rencontre, Jürgen Moltmann sillonne les cinq continents pour débattre et donner des conférences. Il entretient un dialogue étroit et constant avec le judaïsme en méditant sur la « messianité » de Jésus. Précurseur d’une théologie de la Création, « il voit dans les plantes, les montagnes et les fleuves des personnalités à respecter », rappelle encore le père Souletie.
«C’était un homme cordial, plein d’humour, qui vous recevait chaleureusement dans sa maison familiale de Tübingen, se souvient le théologien français. Sa théologie est une grande source d’inspiration pour des jeunes théologiens qui continuent d’entrer en dialogue avec sa pensée».
(1) Jürgen Moltmann, coécrit avec Hubert Goudineau. Édition du Cerf, 2002.
Gilles Donada, La Croix, 04/06/2024.