Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

L’infiniment proche et le tout-autre

Année B — 14ème dimanche du Temps Ordinaire — 7 juillet 2024

Évangile selon saint Marc 6, 1-6

« Nul n’est prophète en son pays », cette expression qui vient de l’Évangile est passée dans le langage courant. Elle signifie que c’est les siens qu’on a le moins de chances d’étonner. Pour nos proches, nous n’avons pas grand-chose d’extraordinaire. Ils nous connaissent trop bien. Plus grand-chose de notre part ne les étonne.

Et si à travers nous se produisait un miracle, ou advenait une révélation divine, si nous étions subitement touchés par la grâce et décidions de consacrer désormais toute notre vie à Dieu, je gage qu’il s’en trouverait parmi nos parents et nos proches pour douter de nous, ne pas nous croire et peut-être même se moquer. Quelle mouche l’a donc piqué ? C’est sans doute une crise mystique ! C’est d’ailleurs un peu ce qui m’est arrivé, quand j’ai quitté le monde de la nuit pour entrer en religion : ça lui passera …

« Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Qu’as-tu donc d’extraordinaire Jésus ? Imagines-tu qu’on ne te connaît pas ici ? Voilà ce que pensent ses frères et son entourage. « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle » poursuit le texte.

Si Jésus est pour nous un frère, un ami – et c’est bien la visée de toute notre foi : être proche de Jésus – s’il est effectivement pour nous un frère et un compagnon de tous les jours, il ne pourra cependant nous sauver que dans la mesure où nous lui reconnaissons toujours une puissance extraordinaire qui nous dépasse et que nous ne pouvons concevoir. En effet, si Jésus est comme moi, comment pourra-il me sauver ? S’il n’est qu’un homme parmi les hommes, comment mènera-t-il l’Humanité à Dieu ? Et si je crois tout connaître de lui, que pourra-t-il encore m’apprendre ?

Le Christ est à la fois l’infiniment proche de notre cœur et le Tout-Autre, Dieu qui nous aime fraternellement et l’Au-delà de tout amour humain. Et nous-mêmes, si c’est dans l’amour fraternel que nous ressemblons le plus au Christ, c’est dans les sacrements que nous touchons le plus à son mystère.

Spirituellement, nous devons tenir les deux : considérer un Christ que nous connaissons intimement et un Christ dont la connaissance nous dépasse prodigieusement. Car si, en effet, nous nous pensons trop l’égal de Dieu, il ne nous apparaîtra plus transcendant et miraculeux, capable de tout mystérieusement sauver. Et si le Christ nous est trop étranger, trop distant, il ne pourra plus nous parler. Le propre du chrétien c’est de se sentir aimé d’un amour proprement incroyable, de se sentir particulièrement touché par quelqu’un qu’on ne rejoint jamais parfaitement. Être chrétien, c’est accepter finalement de ne jamais pleinement réaliser l’extraordinaire amour de ce Jésus qui pourtant nous aime au quotidien.

Ce proverbe « Nul n’est prophète en sa demeure » nous offre un autre enseignement fondamental de la vie spirituelle : je ne suis pas mon propre prophète, mon propre guérisseur spirituel, mon propre maître à penser. Il n’y a pas, dans le christianisme, de self-made-man spirituel.

On ne s’élève tout seul vers Dieu qu’à sa propre mesure, pas à celle de Dieu. Et on a alors fait de Dieu l’égal de soi, un dieu aussi faible et périssable que soi. C’est avant tout Dieu qui, en s’abaissant, nous élève à sa hauteur. Ce n’est fondamentalement jamais nous qui nous élevons spirituellement vers lui, c’est lui qui d’abord nous rejoint.

En tant que chrétien, je pense important de redire que l’accompagnement spirituel – qui peut-être celui d’un prêtre, d’une religieuse, d’un époux, d’une amie, d’un frère, d’une famille mais qui est avant tout celui de l’Église – l’accompagnent spirituel est indispensable à la progression vers Dieu. Un chrétien qui marche seul est un chrétien qui finira par s’isoler de Dieu. Un chrétien qui ne fréquente aucune Église, qu’elle soit domestique ou instituée, un chrétien qui n’accepte pas de regard communautaire sur sa vie de foi est un chrétien en déperdition spirituelle, condamné à s’affronter à ses propres limites, à ses propres aveuglements.

Le regard d’autrui sur notre manière d’aimer, a fortiori sur notre manière d’aimer Dieu, est important parce qu’il nous éclaire sur les manquements de notre esprit, les illusions que nous pouvons nous faire sur Dieu, sur les autres ou sur nous-mêmes. Il nous rend plus humbles quand nous nous surestimons ou, au contraire, nous relève quand nous pensons véritablement sombrer.

Sans ce regard communautaire sur ma vie spirituelle, je finirai par ne plus voir que le Dieu que j’ai envie de voir, un Dieu à mon image, qui spirituellement ne m’interrogera plus.

Dieu, en Jésus-Christ, est pour nous à la fois le plus intime des amis et le plus inimaginable des amours.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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