Année B — Dimanche de Pentecôte — 19 mai 2024
Évangile selon saint Jean 15, 26-27 ; 16, 12-15
Il y a des mots qui tuent et il y a des mots qui vivifient. Il y a des mots qui crucifient et il y a des mots qui ressuscitent. Il y a des mots qui blessent et il y a des mots qui guérissent. Il y a des mots poisons et il y a des mots médicaments.
J’ai rencontré des personnes détruites par des mots méprisants, par le manque de considération d’un proche, d’un parent – détruites d’avoir été rabaissées, voire humiliées par des paroles. A l’inverse, nous mesurons tous combien les encouragements, les mots bienveillants, les gestes tendres et les regards aimants nous portent. Il y des gens qu’un regard dévalorisant d’une mère ou d’un père a brisés. Il y a des gens auxquels un « je t’aime » a rendu vie.
Dieu ne fait que ça : dire « Je t’aime ». « Tu as du prix à mes yeux, tu comptes beaucoup pour moi et je t’aime » nous dit-il dans le Livre du prophète Isaïe (43, 4). Vivre de la plénitude de l’Esprit Saint, c’est vivre embrasé de cet amour divin. Vous le savez, la culture juive aime évoquer des images concrètes pour décrire les réalités spirituelles. Les langues de feu dont nous parle le Livre des actes (2, 3) sont cette image concrète de ce qui se passe effectivement en eux : ils ont le cœur, le corps et l’esprit embrasés d’amour pour Dieu comme le sont les amoureux.
Au-delà du coté passionnel de l’amour divin – et j’encourage tout le monde à ne jamais fermer la porte à la possibilité personnelle d’élans mystiques – au-delà du coté ‟cœur embrasé pour Dieu”, notre amour est aussi un amour raisonné et Paul nous le rappelle.
Sans doute s’en trouvera-t-il pour lever les yeux au ciel, lassés de l’entendre nous redire que « les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair » : « inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. » … Et il faut reconnaître que, sur ces mots de Paul, l’Église a trop longtemps opposé le corps et l’esprit, dans un dualisme qui n’est finalement pas chrétien. C’est en effet corps et âme que nous serons sauvés !
Il reste que nous sommes appelés à la liberté et non à être esclaves de nos passions, ni de nos sentiments. Le chrétien, précisément du fait que sa religion est celle de l’amour, est celui qui gouverne ses passions, qui maîtrise spirituellement ses sentiments. La liberté est à ce prix. Si mon corps est là pour m’informer des désirs qui me traversent, c’est mon esprit qui décide. Ce ne sont pas mes sentiments qui me gouvernent. C’est moi qui, avec l’aide de l’Esprit Saint, veille à gouverner mes sentiments jusqu’au plus intime de mes passions. Avant d’être le moraliste que certains déplorent, Paul est ici avant tout l’ardent défenseur de notre liberté la plus intime.
Quand enfin, dans l’Évangile, le Christ nous dit que « l’Esprit (…) rendra témoignage en (sa) faveur », c’est exactement ce qu’il signifie : depuis la Pentecôte, nous sommes munis de son Esprit, le seul capable de gouverner jusqu’au bout les passions. Il faut en effet une force d’esprit considérable pour ne pas se laisser emporter par la peur et la haine de ceux qui vous crucifient. C’est à mesure que nous nous laissons gagner par cet Esprit Saint qui maintient divinement l’amour en toutes circonstances, que nous réaliserons en nous l’incarnation divine, que nous comprendrons intimement, personnellement – dans la chair – qui est le Christ. Voilà comment l’Esprit rend concrètement témoignage. « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. » « L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
La Pentecôte c’est la célébration de la totale liberté d’esprit sur les sentiments, les désirs et les passions qui nous traversent. Non pas la négation ou le refoulement de ces désirs, mais leur maîtrise spirituelle. Cette totale liberté d’esprit s’obtient à mesure que nous laissons l’Esprit Saint, Esprit d’amour entre le Fils et le Père, s’incarner en nous.
La très belle séquence que nous venons de chanter – le Veni Sancte Spiritus – est la prière par excellence pour cet accomplissement : Viens Esprit Saint rejoindre mes peurs, mes colères, mes désirs désordonnés, mes troublantes envies, les divisions de mon cœur. Viens Esprit Saint quand je désespère, quand je sombre, quand je me laisse aller à ce qui m’enferme et m’emprisonne. Viens Esprit Saint rejoindre tous mes sentiments blessés, tout mon amour meurtri.
Viens Esprit Saint me rendre comme le Christ, toujours libre d’aimer.
— Fr. Laurent Mathelot OP