Le pape François a signé, mercredi 4 octobre, une nouvelle exhortation apostolique sur le climat, huit ans après son encyclique verte et sociale, « Laudato si’» . Dans « Laudate Deum », François s’élève fermement contre les climatosceptiques et exhorte les dirigeants du monde à l’action, avant qu’il ne soit trop tard.
En novembre 2021, François avait envisagé de se rendre à la COP26 de Glasgow (Écosse). Mais devant l’échec annoncé de ces négociations internationales sur le climat, il avait finalement renoncé. Hors de question, disait-il, de servir de caution à des négociations ratées. Deux ans après, la préoccupation du pape pour le climat n’a pas faibli. Son inquiétude s’est même renforcée, à en croire la publication, mercredi 4 octobre, de Laudate Deum (« Louez Dieu »).
Cette nouvelle exhortation apostolique, entièrement dédiée à la « crise climatique », se situe dans le droit fil de la grande encyclique verte et sociale du pape,Laudato si’, publiée en 2015. Mais cette fois, comme saisi par un sentiment d’urgence sans cesse renforcée, et dans un propos beaucoup plus politique, il tire encore un peu plus fort sur la sonnette d’alarme. « Je me rends compte au fil du temps que nos réactions sont insuffisantes », écrit-il, estimant que le monde « s’approche peut-être d’un point de rupture ».
Dans ce texte très pédagogique, celui que certains ont surnommé, après la sortie de son encyclique, le « pape vert » s’élève fermement contre les climatosceptiques. À ceux qui contestent et « ont tenté de se moquer » de la réalité du réchauffement climatique et de ses conséquences, François développe un véritable exposé, s’appuyant largement sur les rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), abondamment cités dans les notes de bas de page du document.Des oppositions « même au sein de l’Église catholique »
« On ne peut plus douter de l’origine humaine – anthropique – du changement climatique », insiste le pape, mentionnant notamment la concentration des gaz à effet de serre, la fonte des pôles et l’acidité des mers. De même, il consacre un long développement aux Conférences internationales sur le climat (COP), passant en revue leurs réussites et leurs échecs : « Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique. »
En choisissant le 4 octobre, fête de saint François d’Assise, associé à la nature, François place à nouveau l’écologie au centre de son pontificat. Et la publication de ce texte le jour même de l’ouverture du Synode sur l’avenir de l’Église catholique, qui s’annonce décisif, en renforce le poids.
Un appel au politique
Appelant à un « changement culturel », selon lui indispensable, il attire aussi l’attention sur les actions individuelles, passant notamment par la modification des « habitudes personnelles, familiales et communautaires ». « Toutefois, il faut être sincère et reconnaître que les solutions les plus efficaces ne viendront pas seulement d’efforts individuels, mais avant tout des grandes décisions de politique nationale et internationale. »
Car dans ce texte d’une centaine de pages – deux fois moins que Laudato si’–, François égratigne les responsables politiques et économiques occidentaux, considérés en partie comme responsables de la crise actuelle. Aussi fustige-t-il « les privilèges de quelques-uns ayant davantage de pouvoir », et constate l’inquiétude face aux « responsabilités non prises des secteurs politiques et l’indignation face au désintérêt des puissants » .
Une sympathie pour les groupes dits « radicalisés »
« Si nous considérons que les émissions par habitant aux États-Unis sont environ le double de celles d’un habitant de la Chine, et environ sept fois supérieures à la moyenne des pays les plus pauvres, expose-t-il, nous pouvons affirmer qu’un changement généralisé du mode de vie irresponsable du modèle occidental aurait un impact significatif à long terme. De la sorte, avec les décisions politiques indispensables, nous serions sur la voie de l’attention mutuelle. »
Face à l’inaction politique, qui l’exaspère, le pape laisse apparaître une forme de sympathie pour les groupes d’activistes souvent décrits comme « radicalisés », et qui mènent des actions en marge des COP. « Ils comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine “pression” », juge François, qui avait brièvement rencontré la militante Greta Thunberg, en avril 2019 au Vatican.
Éloge des limites technologiques
Au fil des pages, l’auteur de Laudate Deum prend des accents décroissants, critiquant, comme il l’avait déjà fait dans Laudato si’, « l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues ». Dans cette veine, il s’oppose aussi à l’idée selon laquelle la crise climatique pourrait être résolue, ou plutôt contournée, par la technique. « Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide, comme un effet boule de neige », insiste-t-il.
S’il encourage à nouveau la transition énergétique « vers des formes d’énergies renouvelables bien gérées », il n’appelle plus à « abandonner les sources d’énergies fossiles »comme il l’avait fait en septembre 2022 devant des jeunes réunis à Assise. Ces changements, affirme-t-il, « sont capables de créer d’innombrables emplois dans différents secteurs ». Une manière de rappeler que, à ses yeux, écologie et social restent indéfectiblement liés.
Certes, reconnaît le pape, « certaines interventions et avancées technologiques, qui permettent d’absorber ou de capturer les gaz émis, sont positives ». Mais elles ne doivent pas faire courir le risque de « rester enfermés dans la logique du colmatage, du bricolage, du raboutage au fil de fer, alors qu’un processus de détérioration que nous continuons à alimenter se déroule par-dessous ».
« Paradigme technocratique »
Cette réflexion éthique sur la technique et le progrès se situe dans le droit fil de la réflexion papale sur les limites de l’être humain et de son pouvoir sur le monde. Ce que François désigne comme le « paradigme technocratique », et qui consiste à croire que « le bien et la vérité » découlent spontanément « du pouvoir technologique et économique lui-même », demeure une illusion. Ce paradigme conduit l’homme à penser les ressources naturelles comme « de simples ressources à son service ». « Contrairement à ce paradigme technocratique, nous affirmons que le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimitées », insiste-t-il.
Qu’espérer dans ce contexte, et alors que doit s’ouvrir en décembre une nouvelle COP aux Émirats arabes unis, l’un des premiers pays producteurs de pétrole au monde ? « Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique », répond François. Avant de poursuivre : « Nous devons cesser de sembler être conscients du problème, mais n’ayant pas, dans le même temps, le courage de faire des changements substantiels. » Pour le pape, le doute n’est pas permis : il faut agir. Sans délai.
—
Les grands sujets du texte du pape
L’exhortation apostolique Laudate Deum aborde plusieurs thèmes saillants, dont la responsabilité des plus riches dans les émissions de gaz à effet de serre, le « désintérêt » des grandes puissances face à la crise climatique, mais aussi le climatoscepticisme dans l’Église.
Évoquant l’intelligence artificielle, il critique aussi fortement le « paradigme technologique », alerte sur les dangers du pouvoir humain, les conséquences des grands projets à impact environnemental et l’illusion du solutionnisme technologique.
Il met en avant l’espérance nécessaire face au changement climatique, l’utilité de la radicalité écologique et l’importance des « petits gestes ».
Loup Besmond de Senneville,
correspondant à Rome du journal La Croix,
le 4 octobre 2023.