Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

La résurrection de Jésus donne sens à l’histoire

P. Michel Rondet, jésuite

La résurrection de Jésus est un événement qui échappe à l’histoire, mais qui a laissé dans l’histoire des traces exceptionnelles. Plus encore, c’est la Résurrection qui donne sens à l’histoire.


Personne n’a été témoin de la résurrection du Christ, mais le tombeau vide, le témoignage des disciples et surtout l’existence d’une communauté bâtie sur la foi en cette résurrection ont depuis deux mille ans marqué d’une façon profonde notre histoire. Que nous en disent les Évangiles ? L’annonce la plus explicite est celle que saint Matthieu met dans la bouche de l’Ange du Seigneur.

Que veut dire « ressusciter » ?

S’adressant aux femmes venues au tombeau au matin de Pâques, il leur dit : « Ne craignez point, vous ; je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n’est pas ici car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où il gisait, et vite allez dire à ses disciples : « Il est ressuscité d’entre les morts, et voilà qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. » Voilà, je vous l’ai dit » (Matthieu 28,5-8). Le ton est bien celui d’un oracle divin, il rejoint les femmes dans leur recherche, leur annonce la Résurrection et leur donne une mission. Saint Pierre dans sa première prise de parole au jour de la Pentecôte reprendra et complétera ce message : « Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes témoins. Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit saint, objet de la promesse, et l’a répandu. C’est là ce que vous voyez et entendez » (Actes 2,32).

Dieu l’a ressuscité… L’expression ne peut pas être comprise à la lumière des miracles de Jésus, les trois résurrections : du fils de la veuve de Naïm, de la fille de Jaïre et de Lazare. Dans tous ces cas, il s’agit d’un rappel à la vie, on pourrait dire de la guérison d’une maladie ayant entraîné la mort, d’une réanimation. Jésus ressuscité n’est pas rendu à une vie mortelle. Il n’a pas connu la corruption (le tombeau vide) et il est définitivement vainqueur de la mort.

Renaître d’en haut

Le mot résurrection peut avoir deux consonances : se réveiller, se lever. « Éveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi luira le Christ ! » (Éphésiens 5,14). Images évocatrices qui cependant restent en deçà de la signification profonde de la résurrection, et lorsque Jésus annonce à ses disciples sa mort et sa Résurrection ils ne comprennent pas son langage. Pour nous la meilleure introduction serait peut-être de revenir à l’entretien de Jésus avec Nicodème (Jean 3,3) sur la nouvelle naissance dans l’Esprit. C’est bien de cela en effet qu’il s’agit : renaître d’en haut dans la force de l’Esprit.

« Dieu l’a exalté »

Les Évangiles complètent le mot ressuscité par une autre expression essentielle : exalté. Il a été exalté à la droite du Père. C’est indiquer le mouvement de la résurrection qui n’est pas une fin en soi mais un retour vers le Père. « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jésus à Madeleine, Jean 20,16). C’est l’humanité de Jésus qui est accueillie dans la vie trinitaire. De ce point de vue Résurrection et Ascension sont un même mystère, la Résurrection s’achève dans l’Ascension comme le souligne la parole mystérieuse de Jésus à Madeleine : « Je ne suis pas encore monté vers le Père » (Jean 20,17). Et quand nous parlons de notre résurrection, c’est donc bien à une exaltation dans la gloire du Père qu’il faut penser.

Le Christ s’est manifesté

Enfin, les Évangiles et saint Paul témoignent que Jésus est apparu, s’est manifesté, à un certain nombre de disciples. « Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois la plupart d’entre eux demeurent jusqu’à présent et quelques-uns se sont endormis ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton » (I Corinthiens 15,3-8).

Il s’est fait reconnaître

Les mots employés renvoient bien à une action du Christ, c’est lui qui s’est manifesté, qui s’est fait reconnaître vivant à ses disciples, pas à la foule. La plupart des apparitions à part quelques-unes, Pierre, Jacques, Madeleine, Paul, concernent des groupes de disciples rassemblés : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18,20).

C’est dire que Jésus se fait reconnaître à ceux qui sont ouverts à une démarche de foi. Chacune des apparitions dont les Évangiles nous ont gardé le témoignage comporte ce cheminement qui va de l’étonnement à la joie, en ménageant le temps nécessaire à la naissance de la foi. Ainsi la rencontre d’Emmaüs (Luc 24,13) : les disciples ne reconnaissent pas celui qui les rejoint sur la route, Jésus leur laisse le temps d’exprimer leur désarroi. Il explique pour eux les Écritures avant de se révéler dans la fraction du pain. Reconnu, il disparaît, laissant à leur liberté la décision de retourner à Jérusalem partager avec leurs frères la bonne nouvelle de sa Résurrection.

On peut noter aussi que Jésus se fait reconnaître de ses disciples en les renvoyant chaque fois à un souvenir de leur vie commune antérieure : Madeleine en l’appelant par son nom (Jean 20,10), les disciples partis à la pêche avec Pierre en renouvelant pour eux le geste de la pêche miraculeuse qui avait précédé leur premier appel (Jean 21,8). La manière dont Jésus se manifeste renouvelle la relation qu’ils avaient avec lui. C’est bien lui, proche et familier, et pourtant rien n’est plus comme avant. Il apparaît de manière inattendue et il disparaît tout aussi mystérieusement, sans qu’ils se sentent pour autant abandonnés. Il ne les quitte pas sans leur donner rendez-vous dans la mission qu’il leur laisse : annoncer l’Évangile à toutes les nations. C’est là qu’ils le retrouveront, qu’il sera avec eux jusqu’à la fin des temps (Matthieu 28,19-20). La finale de l’Évangile de Marc étend cette mission à toute la création : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création » (Marc 16,15).

Sa Résurrection transfigure le monde entier

Ainsi la bonne nouvelle de la Résurrection manifestée à quelques-uns concerne-t-elle la création tout entière. Saint Paul l’a souligné dans l’Épître aux Romains : « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ; si elle fut assujettie à la vanité non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Romains 8,19-21).

Ceci nous renvoie au lien entre création et rédemption dans l’histoire de notre salut. Ayant pris notre condition d’homme, le Verbe l’a assumée tout entière jusque dans sa dimension charnelle : il est entré dans ce monde dans lequel nous sommes nés et dont nous faisons partie. Il en reste membre dans son Ascension, même s’il n’en porte plus les limites spatio-temporelles. Son humanité glorifiée introduit dans la gloire du Père une figure transfigurée de notre monde. C’est dans la certitude de cette universalité de la Rédemption répondant à celle de l’Incarnation, que Paul peut affirmer sa foi en la résurrection de la chair. Répondant aux objections des Corinthiens qui voulaient bien croire à la Résurrection du Christ, mais refusaient d’ajouter foi à notre résurrection, il ose affirmer : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité » (I Corinthiens 15,16). Comment lier plus étroitement notre résurrection à la Résurrection du Christ ! Au Fils qui a livré sa vie pour nous, le Père répond en accédant à son vœu le plus profond et en nous glorifiant avec lui. Sinon l’offrande du Fils et son œuvre tout entière ne seraient pas reconnues. La foi en notre résurrection n’est donc pas un aspect secondaire de notre foi au Christ, elle en est un élément essentiel. Elle fait partie de notre foi en l’amour qui lie le Père et le Fils dans la vie trinitaire. L’Esprit qui est le fruit de cette communion va transfigurer nos corps mortels en corps spirituels pour la gloire du Père et du Fils.

Dans la Résurrection, corps et esprit indissociables

Habitués par la pensée grecque à concevoir l’immortalité de l’esprit, nous avons plus de difficultés à penser la résurrection de la chair, impressionnés que nous sommes par la décomposition du cadavre. Que ce soit pour nous l’occasion de réfléchir sur ce qu’est le corps dans la pensée biblique. Quand l’Évangile de Jean écrit : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean 1,14), il affirme certes qu’il a pris un corps biologique semblable au notre, mais il dit beaucoup plus, c’est notre condition humaine dans son unité indissoluble qui est visée par ce mot chair. L’Évangile ne dit pas qu’il prit un corps et une âme, mais notre humanité dans sa condition charnelle. C’est cette humanité qui est appelée à la Résurrection avec le Christ.

Une brèche dans l’histoire du monde

La Résurrection de Jésus n’est donc pas un événement ponctuel qui n’intéresserait que la personne de Jésus et sa survie. C’est l’Événement qui donne sens à notre histoire et à notre monde. Il introduit dans l’évolution une brèche qui révèle qu’elle est tout entière sous le signe de l’amour de Dieu. On peut discerner dans le cosmos des signes qui annoncent la désagrégation de l’univers, on ne peut pas douter de l’avenir du monde dont fait partie le corps du Christ ressuscité. Les liens qui nous unissent à lui ne permettent pas que nous ayons un avenir différent. Saint Paul l’a exprimé avec force : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,38-39). Rien, sauf le mystère de notre liberté, car l’amour ne se commande pas et exige une libre réponse, mais alors en nous séparant de Dieu qui est la Vie, nous créons notre propre néant.

Ce n’est pas seulement l’avenir de notre monde qui est concerné par la Résurrection du Christ, mais aussi notre présent. Victoire sur la mort, elle est dès aujourd’hui, comme l’ont souligné des théologiens contemporains (par exemple Jürgen Moltmann), dénonciation par Dieu de toutes les forces de destruction (cf. texte ci-dessous). Au cœur même de notre histoire, Dieu s’est manifesté comme celui qui assure le triomphe de la vie, de l’amour et du pardon sur les forces du mal. Mis à mort en haine de tout ce qu’il représentait, Jésus dans sa Résurrection consacre la victoire d’une humanité qui a fait confiance au Père et à la réussite de son projet de divinisation de l’homme. Du même coup apparaît en pleine lumière ce qui peut être notre péché essentiel : le refus de l’avenir que Dieu nous offre.


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