Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

La force qui nous guide dans l’incertitude


Année C — 19e dimanche du Temps Ordinaire — 10 août 2025

Évangile selon saint Luc 12, 32-48

Aujourd’hui, on a l’impression de connaître tous les chemins (on a Waze ou Google Maps), l’angoisse de se perdre à fort disparu avec le GPS, remplacée par celle de n’avoir plus de réseau ou de batterie.

En sciences aussi, nous avons désormais l’impression de disposer d’un savoir colossal, de techniques ultrafines. Oh, il reste bien des maladies sans remède et des questions d’astrophysique sans réponses, mais nous envisageons d’aller sur Mars et nous opérons par Internet, le chirurgien à Baltimore et le patient à Melbourne. Sans parler de l’intelligence artificielle qui fait déjà des prodiges. Nous avons l’impression de maîtriser le progrès, de dominer l’avenir. Plus qu’aucune génération avant nous, nous savons où nous allons !

Mais est-ce bien vrai ? Est-il vrai que nous maîtrisons mieux notre avenir ? Est-il vrai que le progrès scientifique et technique nous prémunit de l’angoisse du lendemain ?

Les lectures aujourd’hui nous invitent à réfléchir sur la foi comme une force qui nous guide dans l’incertitude. Abraham, Sarah et les anciens ont cru en des promesses sans en voir l’accomplissement immédiat, tout comme les disciples de Jésus sont appelés à rester vigilants pour un Royaume qu’ils ne voient pas encore. La Lettre aux Hébreux (11, 1) dit : « La foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. »

Méditez toutes ces fois où vous vous avez fait le grand plongeon vers l’inconnu : quand vous avez décidé de vous marier, d’avoir des enfants ou toutes ces fois où vous vous êtes abandonnés à l’amour de Dieu. Le mariage n’est pas toujours une lune de miel. Nos enfants ne sont pas toujours adorables. Dieu ne donne pas toujours l’impression d’être présent. Mais nous avions le cœur flambant d’amour et c’est cet élan – la foi portée par l’espérance – qui nous a poussés au grand saut. Méditons tous ces moments de l’existence où, comme Abraham, portés par la confiance en Dieu et sans voir clairement l’avenir, nous nous sommes élancés vers une « patrie meilleure » (Hébreux), en quête d’un trésor céleste (Luc). La foi est une boussole vers l’inconnu – l’Inconnu – qu’on espère de tout son cœur.

Bien sûr, le progrès scientifique et technique peut soutenir notre espérance. Faire confiance en l’avenir, c’est aussi espérer des solutions aux problèmes présents. Mais les moyens matériels ont leur limite et n’ont que peu d’utilité pour les décisions fondamentales de la vie. Pour ce qui est des grands enjeux de l’existence, c’est toujours la foi qui prime : la foi en l’amour d’un conjoint, en celui de nos enfants, la foi en la vie, la foi en Dieu.

Le bonheur s’envisage (foi), le bonheur s’espère (espérance), mais le bonheur aussi se construit (charité). Et finalement, il survient toujours à l’improviste. « Tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra » (Luc 12, 40). Cette vigilance n’est pas portée par l’incertitude ou l’angoisse de l’avenir, mais par l’espérance que suscite l’amour. Contrairement au progrès scientifique, ce n’est pas l’inquiétude qui nous pousse à avancer, mais le profond désir de jours de joie. Notre tenue de service n’est pas tant un vêtement de travail qu’un habit de fête. Notre vigilance n’est pas tant celle d’une vigie anxieuse que celle d’époux qui se préparent pour leurs noces ou de parents pour un accouchement.

Réfléchissons à la manière dont nous pratiquons la charité. Est-ce toujours avec l’espérance de la vie divine au cœur ou est-ce par devoir moral ? Dans le premier cas, nous travaillons à l’avènement du règne de Dieu, dans le second, nous œuvrons à une solution. C’est déjà bien, me direz-vous. Oui, c’est déjà bien. Mais ce n’est pas le même élan, la même espérance : d’une part le triomphe de l’amour, d’autre part une consolation.

La foi nous pousse à l’action, mais notre élan dépend de l’ampleur de notre espérance. « Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Luc 12, 34). Ce n’est pas la même chose d’espérer un mieux ou le bonheur. Ce n’est pas la même chose de désirer la fin d’une souffrance ou la joie de l’âme. Ce n’est pas la même chose de vouloir survivre ou vivre.

Vous n’êtes pas faits pour de petits mieux de temps en temps. Vous êtes faits pour la plénitude de l’amour. N’est-ce pas ce que tous nous désirons ?

Voilà notre foi. Voilà notre ressort pour la vie. Voilà ce qui motive chaque pas que nous faisons : la plénitude de l’amour, qui est Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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