Par Frédéric Boyer
Oh mes amis, la haine monte. Elle rampe parmi nous. Nous faisons semblant de n’y être pour rien. Au mieux nous avons laissé faire, au pire nous y participons. (…)
Cet état de haine permanente témoigne d’un désarroi général, social, intime, collectif et spirituel. La violence irrépressible avec laquelle nous exprimons nos désaccords, nos appels au secours, n’est que l’expression de notre impuissance à communiquer.
Nous avons développé des sociétés hyper connectées mais de plus en plus sectaires, divisées. Nous consommons des contenus culturels qui témoignent en réalité de notre solitude culturelle, dans un « abîme d’incommunication » (C. Péguy), quand nous devrions nous éduquer davantage à la singularité d’une voix, d’une écriture, d’une pensée, d’une œuvre. C’est-à-dire nous éduquer à la singularité d’autrui, de sa condition, de sa parole.
La République se fragmente à mesure que nous bâtissons des autoroutes de diffusion et de communication.
La haine s’exprime quand s’entretient l’illusion de ne plus compter singulièrement pour les autres, quand je pense que je ne serai jamais écouté ni représenté. Arrêtons de « propagander » (Péguy), cela ne fait qu’entretenir ce climat délétère. Mais discutons « honnêtement avec ce quelqu’un » qui ne pense pas comme moi.
« Je lui énonce, disait Péguy, très sincèrement les faits que je connais, les idées que j’aime. Il m’énonce très sincèrement les faits qu’il connaît et les idées qu’il aime et qui sont souvent fort différentes. Quand il me quitte, j’espère qu’il s’est nourri de moi, de ce que je sais, de ce que je suis. Et moi je me suis nourri de tout le monde, parce que tout le monde a beaucoup plus d’esprit que moi » (Cahiers, nov.1901).
Pour rendre cela possible, encore faudrait-il ne plus s’ignorer « malgré les apparences, et malgré tout le jargon politique et les grands mots de solidarité »(Péguy).
La haine se nourrit avec jouissance de notre désapprobation qu’elle entend provoquer, espérant qu’à notre tour elle nous conduise à la haine. Il faut briser ce cercle vicieux en refusant de haïr l’autre parce que nous nous opposons à lui – tout en rendant à chacun la dignité de sa révolte.
Article paru dans « La Croix-L’Hebdo », n°100, sept.2021 (extraits)
Parmi ses œuvres :
Le Lièvre (éd. Gallimard) – Bible : les récits fondateurs. – Peut-être pas immortelle (poèmes). – Là où le cœur attend. – Des choses idiotes et douces (Prix du Livre Inter). – Sous l’éclat des flèches. – etc…