Outre la rencontre fondatrice, parfois soudaine, voire brutale, avec le Christ, la conversion est toujours un parcours par étapes, un chemin à la suite de celui qui a été reconnu comme Seigneur.
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C’est à Lourdes, « en plein cœur d’un pèlerinage », que Steven Durand a reçu « une grâce de la foi ». Il avait atterri là par hasard, après qu’une amie lui avait proposé « une colonie de vacances dans les Pyrénées ». Mais, lycéen à l’époque, il est alors davantage versé dans le trafic de cannabis et le vol à la tire.
« Je ne me suis rendu compte du quiproquo qu’une fois sur place, s’amuse-t-il aujourd’hui. Je n’avais aucune éducation religieuse, aucune culture spirituelle. Je suis allé à la messe, et pendant l’homélie, la conscience d’un amour infini m’est tombée dessus : en un instant, je suis passé du ras du sol au ras du ciel. »
Petit à petit vient l’enracinement dans la foi : le jeune homme commence à fréquenter la messe, à se nourrir de lectures bibliques, de parole, de prière Puis un désir « d’engagement », « d’aller à la rencontre des gens, de transmettre cette foi à mon tour ». Quatre ans plus tard, Steven a toujours la même « soif » de découvrir Dieu, de « transformer l’amour de Dieu en ouverture aux autres ».
Il existe bien sûr autant de conversions qu’il y a de convertis. Mais le parcours comporte toujours deux parties, indique le jésuite Michel Rondet, longtemps chargé de la formation spirituelle des candidats à la Compagnie de Jésus (1) : « une attitude intérieure » marquée par le désir de se tourner vers Dieu, de se détourner des idoles (le mot conversion, issu de shoub en hébreu, puis epistrephe en grec, signifie « se retourner vers »), et « un geste significatif » destiné à marquer extérieurement ce changement de vie.
« L’idée d’une grâce première »
Le retournement intérieur – également qualifié de « conversion du coeur » – peut être soudain, voire brutal : ainsi Saul, futur saint Paul, sur le chemin de Damas. Mais il peut aussi se faire par étapes, prendre la forme d’une prise de conscience progressive du péché en soi, puis d’une décision d’accueillir la grâce. Quant au « geste significatif » évoqué par le P. Rondet, l’Évangile en donne des exemples : Zachée qui distribue la moitié de ses biens aux pauvres, saint Paul lui-même qui ne s’est pas contenté de l’illumination intérieure, mais a demandé le baptême à un ami.
Car le baptême marque à la fois l’adhésion au Christ, l’entrée dans la communauté des croyants, et rappelle aussi que la démarche de conversion se fait sous le signe de l’Esprit, qu’elle est une réponse à un appel de Dieu. « La conversion est d’abord une oeuvre de la grâce de Dieu qui fait revenir nos coeurs à Lui : »Convertis-nous, Seigneur, et nous serons convertis » (Lm 5, 21) », rappelle le Catéchisme de l’Église catholique.
Cet aspect de la conversion est particulièrement mis en valeur dans la théologie protestante. « Il y a, chez nous, l’idée d’une grâce première : la conversion est une ouverture à un changement qui vient du Saint-Esprit », confirme le pasteur baptiste Louis Schweitzer, professeur à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Le converti répond à l’appel de l’Évangile – « Repentez-vous » ou « Convertissez-vous », selon les traductions – avant de confesser publiquement sa foi et de recevoir le don de l’Esprit lors du baptême. « L’ensemble marque le point de départ conscient dans la vie chrétienne », poursuit le pasteur Schweitzer.
« L’oeuvre d’une vie »
Un point de départ ? De fait, et selon la formule du P. Frédéric d’Humières, curé à Plaisir (Yvelines), « la conversion est l’oeuvre d’une vie ». Quel qu’ait été le point de départ, le reste du parcours se fait toujours sur la durée. « On fait avec Jésus l’apprentissage de l’amour vrai : toutes nos manières d’aimer ou ne pas aimer vont se trouver confrontées à ce vrai horizon, détaille le prêtre. Dans la conversion, on découvre que le but n’est pas d’avoir réalisé quelque chose, mais de se laisser transformer soi-même au contact de l’amour. Cela se fait par des étapes plus ou moins décisives. »
Le Catéchisme de l’Église catholique parle même du « combat » que constitue la conversion, « en vue de la sainteté et de la vie éternelle » : un combat qui se réalise dans la vie quotidienne « par des gestes de réconciliation, par le souci des pauvres, l’exercice et la défense de la justice et du droit, par l’aveu des fautes aux frères, la correction fraternelle, la révision de vie, l’examen de conscience ».
La théologie catholique lie donc la conversion à une certaine « ascèse », explique le P. Rondet , à la pénitence « non pas au sens de punition mais de renaissance : il faut un effort pour libérer en nous l’homme nouveau, l’homme spirituel ». Le mot est en revanche banni du vocabulaire protestant, qui l’associe aux anciennes mortifications. « Nous parlons plutôt de repentance pour évoquer la reconnaissance de ses fautes et le retour à Dieu », explique le pasteur Schweitzer, qui cite également la méditation des Écritures et la prière comme « instruments pour progresser dans l’imitation de Jésus-Christ, se rendre plus disponible au travail de l’esprit ». L’accent est moins mis sur les sacrements que chez les catholiques.
La communauté chrétienne appelée elle aussi à se convertir
Comment se mettre sur ce chemin de conversion ? « On ne comprend que petit à petit ce qui doit changer dans notre vie, répond le P. d’Humières. À un moment, on s’apercevra que l’on doit travailler tel ou tel point : le temps consacré à mon intimité avec Dieu, ou bien, prenant conscience de ma filiation avec lui, qu’il est de mon devoir de prendre soin de ses enfants, qui sont aussi mes frères et soeurs. »
Autre découverte possible : « J’ai reçu la vie comme un cadeau, il est donc de ma responsabilité que ma vie soit un don pour les autres, ce qui peut me pousser à m’engager dans des oeuvres humanitaires, dans le service des autres Et quand je réalise combien Dieu est fidèle, cela peut me rendre attentif à la fidélité de mes relations. » En somme, pour ce curé de paroisse, « cette démarche n’est jamais finie : la conversion va se traduire par des actes, mais ce qui se joue, au fond, c’est ce que je suis et ce que je deviens. »
L’exercice vaut pour l’ensemble de la communauté chrétienne, appelée elle aussi à se convertir (Ap 2, 5-16). « Nos organisations collectives – gouvernements, ONG, Églises – ne sont pas toujours ordonnées à l’amour : elles ont donc un travail à mener dans ce sens », note le P. d’Humières. Dans les faits, la réalité n’est pas toujours celle-là, ce qui n’est pas sans créer des tensions. Par exemple lorsque ceux que l’on appelle les « recommençants » – des hommes et des femmes qui reprennent un chemin de conversion après l’avoir quitté – retrouvent une communauté chrétienne : « Ils ont parfois l’impression de retrouver des gens installés dans leur foi plutôt qu’en chemin », constate le P. Rondet .
Aux yeux du jésuite, la conversion communautaire et la conversion individuelle devraient en fait être deux démarches qui « se complètent et s’appuient » : « L’Église est un peuple en marche, sans cesse appelé à se tourner vers Dieu. Mais en son sein, le croyant doit trouver, par la prédication et les sacrements notamment, un appel et une aide sur le chemin de sa propre conversion. »
Marilyne CHAUMONT, François-Xavier MAIGRE et Martine DE SAUTO
(1) Auteur de nombreux ouvrages, dont Écouter les mots de Dieu. Les Chemins de l’aventure spirituelle (Bayard, 2001).