Le Centre chrétien d’études Juives (CCDEJ), qui a pour vocation de proposer une introduction au judaïsme et au patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux juifs, organise sa semaine annuelle de réflexion au Collège des Bernardins du 22 au 31 janvier. Pour le grand rabbin de France Haïm Korsia, très investi dans les relations judéo-chrétiennes, le dialogue entre juifs et chrétiens est à l’image d’une relation conjugale, « toujours à entretenir » .
Aujourd’hui, quelles sont les attentes des juifs vis-à-vis des chrétiens ?
Haïm Korsia : Nous attendons la pérennisation et l’approfondissement de l’élan prophétique du concile Vatican II. Cet héritage doit être entretenu en permanence. Deux exemples récents montrent ce chemin : en février 2021, il y a eu un appel extraordinaire de la Conférence des évêques de France contre l’antisémitisme, dont le mot d’ordre était : « Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme sera la pierre de touche de toute fraternité réelle. »
En mai 2023, les évêques de France ont publié un manuel pour « déconstruire l’antijudaïsme chrétien », rassemblant vingt mythes à l’origine de l’hostilité chrétienne envers les juifs. Cela n’avait jamais été fait de la part de l’institution. Cela prouve combien il est toujours nécessaire de déconstruire et de reconstruire, car chaque époque a ses nouveaux défis. La fraternité est un combat permanent, c’est valable à l’intérieur du christianisme comme du judaïsme, où prospèrent aussi les préjugés.
Quel genre de préjugés persistants observez-vous chez les chrétiens ?
H. K. : Je vais vous raconter une anecdote récente que je tiens de l’archevêque de Marseille. Le cardinal Jean-Marc Aveline donnait, il y a peu, une conférence en Corse pour parler des relations judéo-chrétiennes. À la fin, une petite dame corse vient le voir et lui dit : « Jésus était juif, d’accord, Joseph aussi, les Apôtres sans aucun doute, mais la Madone quand même ! »
Après le 7 octobre, il y a eu – de la part des communautés chrétiennes – des témoignages de compassion merveilleux et d’autres franchement insupportables. Il y a eu des relativisations, et des positions propalestiniennes au lieu d’être simplement pro-paix. Il y a aussi eu des réactions qui montrent que le lien entre les juifs et l’État d’Israël reste difficile à comprendre pour certains. À Strasbourg, le silence de certaines institutions protestantes, après le 7 octobre, a par exemple été vécu difficilement chez les juifs.
Quels sont les enseignements de Vatican II à cultiver ?
H. K. : Théologiquement, Vatican II établit définitivement que l’alliance que Dieu a conclue avec Israël est irrévocable et ne sera jamais démentie. Autrement dit, d’après le dogme de l’Église catholique, Dieu n’a pas supplanté son ancienne alliance au profit d’une nouvelle alliance. Il a conservé la première tout en en ouvrant une seconde. L’Église, en professant cela, a tourné le dos à la théorie de la substitution où Israël serait remplacé par le monde chrétien.
C’est fondamental de continuer à enseigner cela car nous, le judaïsme, avons besoin du christianisme pour le message qu’il porte plus largement que nous, tout en rappelant qu’il puise ses racines dans le judaïsme, car, oui, le christianisme est l’enfant du judaïsme. Et nous, juifs, avons donc toujours notre propre mission dans le monde. L’Église catholique a trouvé comment fermer la page de l’enseignement du mépris pour passer à l’enseignement de l’estime, pour reprendre la formule lumineuse de Jules Isaac. Il faut entretenir cette relation, comme le ferait un couple marié. Au fond, désormais nous sommes invités à dialoguer sans cesse, sans jamais pour autant tomber dans une forme de syncrétisme.
Propos recueillis par Héloïse de Neuville, le 23 janvier 2024.