ÉVANGILE DE LUC 3, 22-40
La Rencontre
40 jours après la fête de la Naissance du Sauveur, nous fêtons sa Présentation dans le temple de Jérusalem, événement que l’antique tradition juge important puisque cette festivité du 2 février supplante la liturgie normale du 4ème Dimanche qui pourtant proclame la page sublime des Béatitudes.
Les parents de Jésus sont de fidèles observants de la Loi laquelle prescrivait à toute mère de venir au temple, avec son nouveau-né de 40 jours, pour le rite de sa purification à elle. Non évidemment qu’elle ait péché, mais l’écoulement de sang exigeait un rite (Lévit. 12, 1). En outre tout garçon premier-né étant consacré à Dieu, Maître de la vie, il fallait symboliquement “le racheter” par un don d’argent (Ex 3, 13; Nb 18, 15)
LA RENCONTRE
Or comme les parents traversaient l’immense esplanade du Temple, tout à coup un vieil homme inconnu leur barre la route, l’air tout ravi. Luc le présente: c’était un homme juste et pieux, il était prophète et l’Esprit de Dieu lui avait révélé qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu la venue du Messie promis par les Ecritures. C’est poussé par une mystérieuse inspiration de l’Esprit qu’il était venu au temple à ce moment-là et qui lui avait permis de reconnaître cet enfant.
Emerveillé, il demande à Marie de lui confier son petit et il éclate en prière:
“Maintenant, Maître, tu peux renvoyer en paix ton serviteur
car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé en faveur de tous les peuples.
Il est la Lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple”.
Non l’espérance qui animait le vieil homme ne lui a pas menti. Désormais il peut mourir tranquille: cet enfant du peuple, aux parents pauvres et que rien ne distingue des autres, c’est Lui ! Et il révèle à Marie l’oeuvre universelle de son enfant. Ce messie apportera le salut non seulement à son peuple mais à toutes les nations, il sera le Messie unique et universel, lumière du monde tout en étant la gloire d’Israël.
“Le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce que cet inconnu disait de lui.”
Il est intéressant de remarquer comment la révélation de Dieu s’effectue progressivement. L’Ange avait subitement bouleversé Marie en lui annonçant la mystérieuse naissance de son enfant; peu après Elisabeth l’avait accueillie en proclamant sa grandeur; à Bethléem, les petits bergers étaient survenus en apportant la bonne nouvelle de la paix. Et maintenant un vieux inconnu lui apporte une révélation extraordinaire. Peu à peu, par la prière et l’écoute, par les rencontres imprévues, par des jeunes et des vieux, Marie reçoit la révélation de l’identité et de la mission de son enfant. Soyons attentifs aux rencontres impromptues: Dieu parle.
Car la foi n’est pas une fulgurance intégrale, une expérience mystique totalisante mais un cheminement. Chaque progrès est dû à la fidélité au progrès précédent. La lumière ne progresse que si on lui est fidèle, si on ne se laisse pas arrêter par le doute, l’incrédulité, le scepticisme. Une parente, un enfant, un vieillard peuvent nous dire des messages de Dieu. Parfois mieux que des livres.
NOUVELLE REVELATION A MARIE
Autant la première prophétie de Syméon éclatait comme une bonne nouvelle lumineuse, autant la suivante, adressée directement à Marie, va se chuchoter dans une ambiance de mystère et de drame.
“Syméon les bénit et dit à Marie sa mère: “ Il est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté. Toi-même, un glaive te transpercera l’âme. Ainsi seront dévoilés les débats des coeurs”.
Ce Jésus est bien le Messie qui restera la gloire d’Israël mais il ne se manifestera pas comme un chef qui s’impose de manière violente et bouleverse tout, d’un coup de baguette magique. Il sera “un signe” c.à.d. une personne qui intrigue et pose question. Il n’écrasera pas le peuple par sa puissance, son faste, ses affirmations péremptoires tels les tyrans, les dictateurs, les grands esprits. Il n’éblouira pas, ne fascinera pas, ne prouvera rien. Sa personne, son comportement, son enseignement seront comme des appels devant lesquels tout homme doit se décider en toute liberté.
Certains seront interpellés, remués au fond du coeur par quelque chose d’inouï; d’autres au contraire seront excédés par ce Jésus qui échappe à toute définition, qui n’entre dans aucune catégorie. Les uns, émerveillés, seront envahis par une nouvelle lumière et seront prêts à suivre cet homme partout où il va; les autres, au contraire, se sentiront dévoilés et ils se mettront à détester puis à haïr ce personnage qui met au jour leur part sombre et ils le traiteront d’hérétique, d’imposteur, de suppôt de Satan.
Devant Jésus, l’homme se dévoile, son masque tombe, ses belles apparences se fendillent. Sous des dehors honnêtes se cachait la perversité; derrière des pratiques pieuses rôdait une cupidité viscérale; des propos brillants masquaient un orgueil démesuré. Devant un miroir, nous pouvons à coup de fards dissimuler nos ruines: devant l’Evangile, nous nous voyons tels que nous sommes.
Au coeur de son peuple d’Israël qui, pour une grande part, ne reconnaîtra pas en Jésus son Sauveur, Marie va énormément souffrir. Le déchirement d’Israël va déchirer son coeur. Saint Jean laissera entendre que le coup de lance qui percera le coeur de Jésus crucifié pénétrera le coeur de sa Mère qui se tenait debout au pied de la croix (Jean 19, 25).
LA FEMME PROPHETE
Aux récits de ses prédécesseurs, Luc a souvent ajouté la présence des femmes. A côté de l’homme Syméon, il note la présence d’Anne. Et là aussi il y a un message.
“Il y avait aussi une prophétesse, fort avancée en âge. Restée veuve, elle avait 84 ans. Elle vivait tout près du temple, participait au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières. Survenant à ce moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem”.
Donc des femmes peuvent, elles aussi, recevoir l’Esprit et parler au nom de Dieu comme des prophétesses.
Anne est comme le modèle du parfait israélite qui aime la Maison de Dieu, se voue à une prière permanente et à une existence frugale. Donc la longue fidélité à la Loi peut et doit conduire à reconnaître ce mystérieux Messie.
Et en outre elle devient missionnaire et affirme que ce Jésus est le Messie qui doit effectuer la libération, le rachat d’Israël. “Rachat”: c’est précisément pour le rite du “rachat du premier-né” que Marie était au temple.Or Luc n’en a rien dit. Jésus “le Fils de Dieu” n’a pas à être “racheté” à son Père à qui il appartient définitivement: au contraire c’est lui qui, par le don de sa vie sur la croix, opérera le “rachat”, la libération. Non seulement des péchés de Jérusalem et d’Israël mais le péché du monde.
“Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la Loi de Dieu, ils retournèrent en Galilée dans leur ville de Nazareth”.
Ainsi le mot “Loi” encadre le texte: Luc veut notifier que, dès le départ, le messie, déjà par ses parents, observe fidèlement les observances et les rites prévus par la Loi.
Or que va-t-il se produire ? C’est que Jésus, dès le début de son ministère, va se heurter aux représentants officiels de cette Loi. Ce sont les prêtres, les scribes, les pharisiens, les légistes qui refuseront ce prétendu messie en l’accusant d’être infidèle à la Loi. Leur scepticisme de départ tournera à l’hostilité, aux critiques, aux accusations et finalement ce sont les membres du grand tribunal du Sanhédrin qui pousseront à sa condamnation et à son exécution.
Dans la scène de la Présentation, en ne parlant pas du prêtre qui a officié ni des détails des rites effectués et en soulignant d’autre part le discernement et l’accueil chaleureux des deux vieillards, Luc ne raconte pas une simple anecdote. Il montre à son lecteur qu’en effet Jésus est un Messie qui fait signe, qui interroge.
Les pauvres, ceux qui n’ont pas été découragés par la longueur de l’attente, et qui sont fidèles aux inspirations de l’Esprit, le reconnaissent sous ses apparences sans éclat et sans puissance.
Au contraire, ceux qui attendent une démonstration de force, un messie impérial qui veut un déploiement de faste et qui anéantit les mauvais, ceux-là ne peuvent que s’irriter et ils demeurent aveugles devant celui qui, pour les autres, est “la Lumière du monde”.
Et ces aveugles peuvent être des prêtres, des spécialistes des Ecritures, des théologiens, des moralistes !
CONCLUSION
Terminons par une allusion à la fête de la Chandeleur comme on appelle aussi la fête de ce jour.
Nous croyions que les édifices sacrés, les liturgies fastueuses, les existences impeccables, le moralisme parfait nous conduisaient à une foi véritable.
Et nous voilà retournés comme des crêpes !
Frère Raphaël Devillers, dominicain