ÉVANGILE DE MATTHIEU 1, 18-24
NOËL : FÉERIE OU RÉALITÉ ?
Le dictionnaire définit le mot NOËL: “du latin nativitas = naissance. Fête que les chrétiens célèbrent le 25 décembre, en commémoration de la naissance du Christ”.
Or ce n’est absolument plus cela que voyons aujourd’hui. Intituler un “village de Noël”, placarder sur les vitrines d’énormes affiches clamant “Joyeux Noël”, c’est un mensonge. On ne célèbre plus la naissance d’un enfant pauvre mais l’arrivée triomphale d’un vieux bon papa jovial disposé à nous combler de cadeaux (si nous avons de l’argent). On n’accueille plus celui qui est la Lumière du monde: on tisse des guirlandes sur des sapins. Nul besoin d’un Sauveur puisque l’on possède tous les moyens de faire la fête, de s’offrir un banquet avant de ruisseler de bonheur dans une croisière ou sur les pentes enneigées.
Donc cette chaîne internationale d’ameublement est logique lorsqu’elle supprime le mot Noël et proclame “Fête de l’Hiver” (comme Pâques sera remplacé par “Fête du Printemps”). Et tout autant ceux qui vous écrivent: “Joyeuses fêtes de fin d’année”.
Mais au fait n’est-ce pas dans l’ignorance de tous que l’événement de Noël s’est passé?
Ne nous plaignons pas et ne regrettons pas un temps où peu à peu la foi chrétienne se dissolvait dans le folklore. La crise actuelle offre une magnifique occasion d’une purification pour que l’on voie bien la différence entre la fête païenne du soleil et la célébration chrétienne du Sauveur du monde.
Comme toujours, c’est l’Évangile qui nous conduira dans la vérité.
COUPS DE PROJECTEUR SUR LES ACTEURS DE L’EVÉNEMENT
“César Auguste lança un décret pour recenser le monde”.
Les Puissants jouissent de comptabiliser leurs sujets lesquels au fond ne sont pour eux que des objets à manipuler, à mobiliser pour la guerre et à pressurer d‘impôts. Joseph et Marie n’ont aucun droit de refuser: qu’ils partent comme tant d’autres. Ainsi Jésus sera un enfant du voyage. Mais ainsi il naîtra dans le village de son prestigieux ancêtre, le roi David. L’empereur impose mais Dieu dispose. Il y a une logique de Dieu dans le fatras des circonstances.
“Marie accoucha, elle emmaillota et déposa le nouveau-né dans une mangeoire”.
La crèche n’est pas une maison ni une grotte mais une mangeoire fixée au mur pour les bêtes. Le fait devait être assez courant pour les pauvres et le restera encore des siècles pour les misérables qui profitaient de la chaleur des animaux. Que nous voilà loin du barnum de nos sociétés. Et quelle stupeur ! Le fils de Dieu naît comme l’un de nous, celui qui va changer le monde est endormi sur la paille. Les médias qui se croient au courant de tout ratent souvent l’essentiel.
“ L’Ange dit aux bergers: “Je vous annonce une Bonne Nouvelle, qui sera grande joie pour le peuple. Aujourd’hui vous est né le Sauveur, le Christ Seigneur.
Voici le signe: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche”
Il est amusant d’imaginer les hérauts de César, montés sur des chevaux fringants, fonçant à travers Rome et les campagnes pour claironner “la bonne nouvelle”: un petit prince est né au palais, on va procéder à une immense distribution gratuite de pains et de vins.
Occasion pour nous de nous interroger: que recevons-nous comme “bonne nouvelle” ? Une augmentation de salaire ? Un voyage ? Un n°gagnant au loto ? le mariage du prince ? un grand concert ?
Noël nous remplit-il d’une grande joie ? Avons-nous le désir d’annoncer la libération par le seul et authentique Sauveur ?
Les Anges chantaient les louanges de Dieu:
“Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre pour les hommes qu’il aime”.
Je veux la paix, clame le dictateur. Nous allons signer un traité de paix, disent les diplomates. Ah si on pouvait avoir la paix, soupirons-nous. Et ça ne marche jamais ou la paix ne tient qu’un temps. Pourquoi ? Parce qu’on rêve de paix entre hommes sans d’abord chanter la Gloire de Dieu. On veut l’effet sans la cause. La concorde sans la foi.
Des bergers veillaient la nuit pour garder leurs troupeaux. “Allons voir” disent-ils.
Et à Bethléem ils découvrent Marie, Joseph et le nouveau-né sur la paille.
Ils ne ressemblent certainement à de mignons angelots, ces pouilleux de basse classe. Mais ils nous apprennent les conditions pour découvrir Jésus.
D’abord demeurer vigilants, ne pas s’assoupir au milieu des ténèbres du monde. Rester attentifs aux menaces de la mort qui rôde. Prêter une oreille bienveillante quand certains annoncent la Bonne Nouvelle de Jésus sans d’emblée ricaner et tourner en dérision ces vieilleries religieuses. Enfin se déplacer, se mettre en recherche, être curieux de cette Eglise qui semble proclamer une chose impossible.
Hélas, prisonniers de l’opinion courante, chloroformés par la publicité, fascinés par le torrent des images, des multitudes resteront prisonnières de leurs chaînes. Partisans enthousiastes du siècle des Lumières où Dieu est mort, ils fêteront la fin de la religion avant de s’effondrer devant Auschwitz où l’homme est mort. Chantres des droits de l’homme, ils s’écorcheront les ongles sur les murailles des injustices invaincues.
“Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur”.
Phrase essentielle qui pointe une attitude essentielle de notre foi (d’ailleurs Luc la répétera une seconde fois lors de l’épisode de la fugue du garçon à 12 ans).
Ce que nous vivons avec Dieu n’est pas toujours compréhensible sur le champ. Il nous arrive tel incident et il nous tombe des tuiles, nous faisons des efforts de prière et nous tombons malades ou un deuil nous frappe. Nous butons sur des paroles de Jésus ou, surtout, de Paul, et nous ne comprenons pas. Que nous souffle donc le Seigneur ? Où veut-il nous guider ?
Beaucoup, énervés par ces problèmes insolubles, bousculés dans leurs certitudes, renoncent à comprendre: “C’est un mystère”. Or un mystère n’est pas une énigme à résoudre avec la raison mais un gouffre de lumière où il faut accepter d’entrer avec la volonté de comprendre quand Dieu le voudra.
Marie est emportée par un flux d’événements extraordinaires et Dieu ne les lui explique pas au fur et à mesure. Mais elle garde le souvenir, elle médite le rapport entre ce qu’elle vit et ce que lui ont appris les Écritures et ce que son Fils lui dira plus tard. Le petit emmailloté sera le cadavre de son fils enserré dans le suaire. Jésus, endormi dans une mangeoire, sera en effet la nourriture des croyants. D’ailleurs Bethlehem en hébreu ne signifie-t-il pas “maison du pain” ? Les bergers dépenaillés n’annoncent-ils pas les foules des pauvres rejetés par la société de consommation et qui se presseront pour écouter Jésus ?
Et Joseph ?
A nouveau il s’était endormi dans son coin et il faisait un rêve. Qu’il chuchota à son épouse: “ J’ai vu l’avenir et des enfants chrétiens qui chantaient: “Petit papa Noël, quand tu descendras du ciel, avec des jouets par milliers, n’oublie pas mes petits souliers…”. Et il écrasa une larme au coin de l’oeil: “Ils sont incurables ! Il nous faut un Sauveur du ciel !”.
Et les jeunes bergers repartirent en chantant la gloire de Dieu.
Non Noël n’est pas une féerie, un moment magique de gastronomie, une guirlande que l’on range jusqu’à l’année suivante, la “fête de fin d’année” qui nous prépare à entrer dans la période des soldes – car le paradis moderne n’est-il pas d’acheter et consommer?
Noël ne nous a pas donné des choses mais quelqu’un. Le seul et incomparable cadeau de Dieu: son Fils. Tandis que les spots et les guirlandes s’éteignent, et que nous rapportons au magasin les cadeaux dont nous n’avons que faire, un nom brille dans nos cœurs: JESUS. EMMANUEL. Dieu pour toujours avec nous.
Nul besoin de voler vers Bethléem pour voir si c’est bien l’endroit où …
Jésus naît dans le fond de ton cœur quand les plaies de tes souffrances s’ouvrent à sa présence.
Quand pécheur invétéré, tu reviens vers lui qui t’ouvre les bras pour te pardonner.
Quand, avec Marie, Joseph et la multitude, tu te rends le dimanche à l’église: alors tu tends la main telle une crèche et enfin tu comprends ce qu’est l’authentique communauté de consommation, pour la Vie éternelle.
Frère Raphaël Devillers, dominicain