Évangile de Jean 15, 26 – 16, 15
L’Alliance nouvelle dans l’Esprit
Lundi passé, 50 jours après la fête de Pessah (mémoire de la Pâque, la sortie d’Égypte), nos frères juifs ont fêté Shavouôt (Les Semaines) qui commémore le jour où Dieu, au mont Sinaï, a fait Alliance avec Israël et lui a donné sa Torah. Ce mot que l’on traduit par « Loi » a un sens beaucoup plus large que « code légal » : il signifie un enseignement qui indique la véritable manière de vivre selon Dieu. Inaugurée par les Dix Paroles (déca-logos), l’Alliance a été scellée par l’aspersion du sang des sacrifices et, unanime, la foule exultant de joie s’est engagée à obéir à YHWH : « Toutes les paroles que le Seigneur a dites, nous les pratiquerons » (Ex 24, 4).
L’Échec de la Loi
Après la marche dans le désert, Israël est entré dans la terre que YHWH lui a donnée, il est devenu un petit peuple libre avec une capitale, Jérusalem, une dynastie royale issue de David, un beau temple fondé par Salomon où le culte était célébré avec régularité et magnificence par les prêtres et les lévites. Louons YWH, chantons des cantiques à la gloire de notre Dieu qui nous a comblés de si grands bienfaits.
Hélas, si le culte était observé scrupuleusement, par contre les relations sociales connaissaient des déchirures profondes : certains accumulaient des propriétés et laissaient d’autres dans la misère, des handicapés étaient abandonnés à leur sort, des juges se faisaient acheter. Aussi des prophètes se succèdent pour dénoncer ces abus et rappeler les engagements pris au Sinaï. On connaît le cri célèbre d’Amos, le premier dont on a conservé la prédication véhémente : « Je déteste vos pèlerinages, dit le Seigneur, rien ne me plaît dans vos offrandes ! … Mais que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent » (Am 5,21).
Hélas les prophètes ont beau tonitruer, pointer les maux sociaux, appeler à la conversion, annoncer le jugement de Dieu, menacer de catastrophes : rien n’y fait ! On vénère la Loi, on l’étudie, on la commente,…mais on la bafoue jusqu’aux plus hautes sphères politiques et sacerdotales. Comme si quelque chose la rendait impraticable.
587 av. J.C.: le roi ayant refusé de payer son tribut de vassal, Nabuchodonosor survient, ravage Jérusalem, détruit le temple, déporte la cour royale et une grande partie de la population à Babylone. Comme tant d’autres peuples dans la région, Israël risque bien de se dissoudre et de disparaître de la scène. Or un nouvel empereur se dresse, Cyrus le Perse : en -539, il conquiert Babylone et, magnanime, renvoie toutes les populations déportées dans leur pays. Toutefois Israël demeurera englobé dans une province de l’empire perse.
Annonce de l’Alliance Nouvelle dans l’Esprit
C’est vers cette époque que deux prophètes profèrent des oracles inédits, tout à fait extraordinaires. Alors qu’au début ils avaient dénoncé les vices de leur peuple et appelé à la conversion, voici qu’ils annoncent, tout au contraire, comme « la conversion » de Dieu.
JEREMIE : « Des jours viennent où je conclurai avec la communauté d’Israël une Nouvelle Alliance. Elle sera différente de l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères…Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; Ils me connaîtront tous…Je pardonne leur crime » ( 31, 31)
EZECHIEL : « Ce n’est pas à cause de vous que j’agis, maison d’Israël, mais bien à cause de mon saint Nom que vous avez profané…Je vous rassemblerai de tous les pays et vous amènerai sur votre sol. Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un Esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois… » (36, 22)
De retour au pays, les déportés rebâtissent un nouveau temple et surtout, avec Ezra, ils collectent les anciens manuscrits et commencent à constituer le Livre des Écritures. Mais les grands conquérants se succèdent : avec Alexandre le Grand (- 332), Israël est emporté dans la civilisation qu’on appellera hellénistique puis, avec Pompée (- 63) il est intégré dans l’immense Empire romain. Et plus aucun prophète ne surgit ! Pourquoi ce long silence de Dieu ?… Nous a-t-il abandonnés à nos ennemis ? Le paganisme va-t-il triompher ?
Enfin un prophète survient, Jean le baptiseur, mais il s’efface et désigne son successeur : un simple menuisier de village. Jésus annonce la venue du Règne de Dieu, opère exorcismes et guérisons et dénonce lui aussi la cupidité des nantis et l’oubli des pauvres, le culte superficiel et l’hypocrisie des dirigeants. A la veille de la fête de la Pâque, il est arrêté, jugé, condamné et exécuté sur la croix. Ses rares disciples ont disparu.
La Nouvelle Pentecôte
Mais très vite ces disciples réapparaissent. Ils ne se sont pas enfuis dans les villages et ils semblent transformés. Ils ne se lamentent pas sur le destin horrible de leur maître : au contraire ils affirment joyeusement que Jésus est ressuscité, que Dieu l’a fait Seigneur et qu’ils ont reçu l’Esprit qu’il avait promis de leur envoyer. Maintenant ils ont mission d’annoncer cette Bonne Nouvelle à Israël puis à toutes les nations du monde.
Luc a bien compris l’importance capitale de cet événement qui est un tournant dans l’histoire d’Israël et qui doit changer la face du monde : il situe à la Pentecôte (d’un mot grec qui signifie 50ème et qui rappelait le don de la Loi écrite) le don de l’Esprit-Saint. La Nouvelle Alliance est accomplie. Comme l’avaient annoncé Jérémie et Ézéchiel, il ne s’agit pas d’un nouveau code qui proposerait des exigences édulcorées. La Passion et la Résurrection du Christ ont révélé les profondeurs inimaginables de l’amour de Dieu. L’Esprit change le cœur du croyant, le remplit d’une force qui le rend capable, enfin, de pratiquer la volonté de Dieu.
Pierre et les autres chantent les merveilles de Dieu. L’Évangile, bien avant d’être un livre, est une proclamation, une joyeuse annonce : nous avons reçu, par grâce, la force de l’Esprit de Dieu, nos péchés sont pardonnés, nous pouvons, dans la joie, nous aimer les uns les autres et réaliser l’amour fraternel qui résumait toute la Loi. Vous qui nous écoutez, croyez aussi que Jésus a donné sa vie pour vous faire miséricorde, rejoignez-nous, vous recevrez le baptême et l’Esprit vous introduira dans la Nouvelle Alliance.
Qu’est donc la Nouvelle Alliance, la Bonne Nouvelle ? Elle consiste essentiellement dans le don de l’Esprit reçu par la foi en Jésus Seigneur.
Un écrit extérieur ne justifie pas l’homme devant Dieu. Saint Augustin cite saint Paul : « La lettre tue et l’esprit vivifie » (2 Cor 3,6) et il explique que la lettre, c’est toute écriture qui demeure extérieure à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. Il en conclut que même la lettre de l’Évangile « tuerait » si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y ajoutait la grâce guérissante de la foi. Ce que saint Thomas d’Aquin approuve fortement. L’Alliance nouvelle est libération. L’Esprit nous débarrasse du moralisme et du scrupule et met notre cœur au large.
L’Évangile de ce jour
Le grand discours d’adieu de Jésus (Jn 13-17) est émaillé de 5 promesses de l’Esprit : la lecture de ce dimanche nous en rappelle deux :
Jésus prévient ses disciples qu’ils seront haïs par le monde comme lui-même l’a été. Mais quand il sera glorifié près de son Père, il leur enverra l’Esprit de Vérité qu’il appelle « Paraclet » – ce qui signifie l’avocat, celui qui est appelé pour se tenir près du prévenu et assurer sa défense. Cet Esprit rendra témoignage à Jésus, il le défendra et, du coup, les disciples seront capables de répercuter ce témoignage, d’affronter l’hostilité et de répondre aux objections (Jn 15, 26-27).
Jésus leur confie qu’il ne leur a pas tout dit car ils ne seraient pas capables pour l’instant de supporter cette révélation. Mais « lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Il ne parlera pas de son propre chef mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. Il me glorifiera car il recevra ce qui à moi et il vous le communiquera… » (16, 12-15).
L’Esprit n’est pas un Nostradamus qui prétend raconter les événements à venir. Il ne dévoilera pas des enseignements ésotériques que les apôtres auraient dissimulés. Mais si les disciples restent fidèles à son écoute, il éclairera le mystère pascal, il fera pénétrer dans la signification de la haine des ennemis, des souffrances, de la Passion subie par Jésus. Il ne donnera pas des recettes de coaching ou de développement personnel. Il ne faudra attendre de lui que des révélations sur Jésus et il ouvrira les yeux sur sa glorification par la croix.
La première Église n’a jamais « obligé » les fidèles à fréquenter la messe dominicale. Le Jour du Seigneur, jour de la résurrection, ceux-ci se pressaient pour écouter la Parole, se nourrir du Pain de Vie et boire à la coupe du « sang de l’Alliance nouvelle et éternelle ». L’Esprit-Saint les rendait libres, égaux et fraternels. « Nous ne pouvons vivre sans dimanche » disait une jeune chrétienne persécutée.
Fr. Raphaël Devillers, dominicain.