Évangile de Matthieu 2, 1-12
Fides quaerens intellectum
Épiphanie vient du grec qui veut dire « apparition ». Une épiphanie c’est la manifestation de quelque chose de caché. Ce que l’on ne voyait pas, ou pas totalement jusqu’alors, se révèle. A l’épiphanie, quelque chose apparaît tel qu’il est. La question est : qu’est-ce qui se révèle à l’épiphanie qui ne s’était pas déjà révélé à Noël ?
A Noël, ce sont les proches de l’enfant qui comprennent qui il est. Ses parents – Marie et Joseph qui reçoivent la révélation d’anges – et d’autres pauvres, rejetés et nomades comme lui – de simples bergers alentours qui suivent la révélation de leur cœur. Le premier cercle est là, qui a intimement compris l’importance pour le monde de cette naissance.
Les récits de la Nativité de Dieu insistent sur la toute pauvreté, l’extrême dénuement de cette apparition sur Terre que reflète la pauvreté et le dénuement du premier entourage – des gens simples, au cœur simple. Il suffit d’aller voir aujourd’hui la condition des bergers aux alentours de Jérusalem, qui vivent dans des cabanes de tôles parmi les bêtes et les détritus.
Pourtant la puissance de ce qui se trame là, entre ces gens simples, dénués de tout – et en premier lieu de considération – la puissance de ce qui est en jeu dans leur cœur n’apparaîtra clairement qu’à l’Épiphanie. Savez-vous que, dans la monde orthodoxe, c’est à l’Épiphanie qu’on célèbre l’incarnation de Dieu ? Il y a, en fait, un continuum entre la Nativité et l’Épiphanie, entre l’émerveillement et la compréhension de l’incarnation divine, un tout qui va de l’un à l’autre.
On a l’image classique de trois rois mages, auxquels la Tradition a fini par donner des prénoms – Melchior, Gaspard et Balthazar – et même différentes origines et couleurs de peaux. Cette tradition des Rois mages donnera la culture populaire de la galette des rois à laquelle j’espère vous aurez l’occasion de sacrifier.
Mais dans la Bible, ils ne sont ni trois, ni rois, ni même mages au sens où on l’entend aujourd’hui. Il s’agit plutôt de sages venus d’Orient. On s’est sans doute éloigné de la signification première du récit en le surchargeant d’interprétations.
Ce que les mages venus d’Orient symbolisent c’est la venue des sagesses antiques au pied de cette sagesse divine qui se rend présente dans la naissance d’un petit enfant qui d’abord bouleverse le cœur des plus humbles.
Quant aux présents que ces sagesses orientales viennent déposer aux pieds de l’Enfant-Dieu, ils symbolisent les grands traits de son existence parmi les hommes : l’or pour témoigner de sa royauté, l’encens pour la divinité de son esprit, la myrrhe pour l’embaumement de son corps quand il mourra.
C’est ici que le mot épiphanie prend tout son sens : la manifestation qui a lieu est celle, concrète, de la sagesse divine face aux grandes sagesses du monde. C’est devant la pauvreté de cette naissance extraordinaire que les plus grandes sages viennent s’incliner. Et par eux, c’est l’ensemble des sagesses du monde qui s’inclinent devant cet événement autant incompréhensible que miraculeux.
L’étoile que suivent les mages est là pour montrer que la lumière divine qui émane des éléments naturels peut nous conduire à Dieu. C’est guidé par leur science, leurs observations de la nature que les mages arrivent à constater la présence réelle de Dieu sur Terre. Le cheminement des mages guidés par l’étoile symbolise le cheminement qui nous est demandé de faire, à l’aide de nos observations, de notre savoir, de notre science, pour trouver Dieu. « Fides quaerens intellectum » a écrit au XIe siècle saint Anselme de Cantorbéry – la foi cherche l’intelligence.
La réconciliation de la foi et de la raison a été au cœur de la théologie développée par feu le pape Benoît XVI. Je ne peux que vous inviter à relire avec fruit ses nombreux commentaires sur la quête de Dieu comme moteur de la raison, notamment son célèbre discours de 2008 au Collège des Bernardins qui voit, dans cette recherche qui fonde les communautés monastiques moyenâgeuses, la naissance de la culture occidentale.
Le mystère de l’incarnation de Dieu ne sera pas épuisé par notre intelligence. Jamais nous n’en viendront à bout à force de savoir : le mystère divin restera mystère. Mais ceci ne signifie pas que, face au mystère, il nous faille abdiquer notre intelligence, comme le supposent les détracteurs de la foi. Au contraire, il est de notre devoir de mobiliser notre intelligence pour creuser le mystère de notre foi, développer notre connaissance de Dieu et, ainsi, toujours plus nous en approcher. Certes avec notre cœur, mais aussi avec notre raison.
On peut s’approcher de deux manières de la crèche : soit avec la naïveté de cœur des bergers, soit munis de trésors de sagesse et de science comme les mages. L’important est que les deux conduisent à l’émerveillement et à la rencontre.
L’amour n’échappe pas au crible de la raison, sinon il est comme une chaloupe à la dérive, fluctuant au gré des sentiments. Mais l’amour divin ne peut se réduire à ce qu’en pense la raison, car il est tout à fait déraisonnable d’aimer comme Dieu.
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.