Année B — 31ème dimanche du Temps Ordinaire — 3 novembre 2024
Évangile selon saint Marc 12, 28b-34
Nous sommes très habitués, en tant que chrétiens, à ce commandement d’aimer notre prochain. Oh, ce n’est pas toujours évident et il nous arrive parfois d’y manquer : qui ne s’énerve pas de temps à autre ? qui ne détourne jamais le regard d’un pauvre ? qui ne pense jamais à soi d’abord ? Mais généralement, le chrétien est celui qui garde conscience de l’importance de l’amour entre tous, de la fraternité parmi les hommes. D’abord parce que nous souhaitons être aimés et que nous avons compris, à la suite du Christ, que pour cela, il fallait aimer en premier. Au fond, l’amour du prochain est, pour le chrétien, le seul moyen véritable de la paix entre tous et il le sait : comment puis-je espérer que tous les hommes s’aiment si je ne commence pas – moi – à les aimer ?
Vous le savez le commandement d’aimer notre prochain va loin puisqu’il nous demande d’aimer nos ennemis. « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel mérite avez-vous ? » (Matthieu 5, 46) – nous dit Jésus – « Les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment » (Luc 6, 32). C’est toujours cette logique qui demande au Chrétien d’être non seulement le premier à aller plus loin dans la volonté d’aimer, mais de pousser cette volonté au bout. Parce que c’est le seul moyen d’établir la fraternité humaine. C’est presqu’à ça qu’on devrait nous reconnaître : être ceux qui aiment leurs ennemis. Qui aiment tout le monde, en fait.
Mais les textes aujourd’hui, tant l’Évangile que le Deutéronome rappellent avant tout le commandement d’aimer Dieu. Pour les Juifs comme pour le Christ, c’est le premier de tous les commandements. « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. »
Jésus dira même « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » (Matthieu 10, 37). C’est clair : Dieu doit passer avant nos proches. Mais c’est évidement parce que Dieu est plus proche de nous que nos proches. L’amour de Dieu vit en nous avant toute chose, voilà ce qu’est venu nous dire le Christ. Et c’est cette proximité que nous devons honorer en premier.
Certains pourtant diront : « C’est à travers mon prochain que j’aime Dieu ». Et il est certain que l’amour de Dieu se trouve en chacun ; il se fait proche de tout humain et tous nous sommes des témoins authentiques de cette présence affective de Dieu. Mais n’aimer Dieu qu’à travers son prochain, c’est ne pas aimer Dieu à travers soi. C’est ne pas aimer Dieu en soi. Non parce que nous souhaiterions nous éloigner de Dieu, nous distancer de sa proximité ; nous désincarner de son étreinte amoureuse, mais bien souvent parce que nous ne le voyons pas en nous ou, pire, parce que nous avons l’impression qu’il ne s’y trouve pas.
L’action chrétienne, notre charité envers autrui, le soin apporté à celles et ceux qui souffrent, qui ont froid et faim, qui se trouvent désemparés ou désespérés n’est qu’un humanisme parmi d’autres s’il ne fait pas suite à une relation personnelle avec Dieu. C’est déjà fort bien, bien sûr. Mais ce n’est plus une religion.
L’argument de l’amour de Dieu que l’on n’éprouve qu’à travers autrui est bien souvent, hélas, celui de l’amour de Dieu que l’on n’éprouve pas à travers soi.
Chaque être humain se présente avec sa part d’ombre, d’obscurité. Aucun de nous n’est totalement transparent à l’amour de Dieu, nous le savons bien. Je l’ai dit plus haut : il nous arrive d’avoir des élans de mépris, de détourner le regard qui devrait aimer. La dureté de notre cœur opacifie la lumière divine qui passe à travers nous. Dieu, à travers l’humain apparaît toujours plus flou. Seul le Christ nous le montre authentiquement. Dire « je vois Dieu à travers l’amour dont se témoignent les hommes » c’est vrai mais c’est se satisfaire d’un regard myope, qui voit trouble.
Elles sont trop nombreuses pour être oubliées les images du Christ qui nous montrent une relation intime et personnelle avec son Père. C’est d’ailleurs d’abord cette relation intime qui fait de lui le Christ : un véritable amour personnel. Avons-nous cette relation intime avec Dieu ?
Je sais pertinemment qu’il n’est pas toujours évident de trouver Dieu en soi ; qu’il peut même nous arriver de douter radicalement de cette présence, a fortiori à mesure que nous faisons le constat de notre propre médiocrité. Comment Dieu pourrait-il apparaître animer celui qui se trouve lui-même minable ou détestable ? Comment font-ils pour trouver Dieu à travers eux, ceux qui ne s’aiment pas ? ou qui ont de bonnes raisons de ne pas s’aimer ?
On rejoint ici les paraboles qui nous disent de laisser allumée une lampe. A celui qui a tout éteint ; il n’est plus possible de voir Dieu.
Mais il reste à Dieu le pouvoir de tout rejoindre, de lui-même raviver en nous la lumière de l’amour, parfois par l’intermédiaire d’autrui qui vient nous rejoindre et nous aimer ; quelqu’un qui parvient à nous rouvrir à l’amour … des autres, de Dieu et de nous-même.
Au fond la seule chose qui nous est demandée, c’est de rester attentif à l’amour qui nous rejoint ; rester à l’écoute suffit à maintenir en nous l’espérance. Dans les deux textes, dans l’Évangile et le Deutéronome, chaque fois, les commandements de l’amour sont précédés de cette injonction : « Écoute … »
« Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. »
« Écoute, Israël … » Écoute au fond de ton cœur. Ne cesse pas d’écouter – en toi – Dieu qui t’aime.
Tu découvriras alors qu’il te parle ….
— Fr. Laurent Mathelot OP