par Sœur Anne-Elisabeth
Sur les 13 religieuses carmélitaines que compte notre monastère, 11 ont été malades du coronavirus. J’ai fait partie des premières à ressentir les symptômes et j’ai alors pris la décision, en tant que responsable de la communauté, de procéder à des tests de dépistage du virus.
Tout a commencé, pour moi, par des symptômes légers comme le rhume, puis j’ai eu de très fortes fièvres, des problèmes de concentration, des palpitations et des maux de ventre. Je me déplaçais difficilement et tout ce que je mangeais avait le goût du sel.
Nous avons été placées en quarantaine et un bel esprit de solidarité s’est développé autour de notre communauté. Les deux sœurs qui n’étaient pas malades nous apportaient des repas avec de petites attentions, comme des fleurs ou des mots. Les gens de l’extérieur nous aidaient à faire nos courses et nous disaient : « Maintenant, c’est à notre tour de prier pour vous ». En tant que carmélites, nous ne nous sommes jamais autant senties en communion avec le monde que dans ces moments où les croyants priaient pour nous.
Un jour, lors de la visite quotidienne de la doctoresse, je me suis évanouie. J’ai alors été hospitalisée à l’hôpital cantonal de Fribourg, pendant la Semaine sainte, avec deux autres sœurs. Nous ne pouvions pas vivre la liturgie pascale ensemble, j’étais à bout de forces pour prier et je me demandais comment être en communion avec l’extérieur.
J’ai finalement compris que le Christ ressuscitait pour nous, sans avoir besoin de nos prières. Dans les moments où la maladie était la plus intense, il était à l’intérieur de moi.
La première grande expérience spirituelle que j’ai vécue est arrivée avant mon hospitalisation.
J’ai connu de très fortes poussées de fièvre pendant toute une nuit où je n’ai pas pu dormir ; c’était comme si une tempête s’abattait sur moi. J’étais mouillée de sueur mais aussi ébranlée en mon for intérieur. J’avais la sensation de m’accrocher à un roc, je me faisais toute petite au milieu des torrents comme la maison bâtie sur la pierre dans l’évangile de saint Matthieu, et j’ai pu traverser cette épreuve dans la paix.
Puis je suis entrée à l’hôpital, et j’ai vécu trois jours et trois nuits d’angoisse inimaginables. C’était comme si ma vie était suspendue à un fil, la mort rôdait autour de moi alors que je sentais que j’avais encore tellement de choses à accomplir.
C’est là que j’ai compris à quel point il était éprouvant de donner sa confiance à Dieu. S’attacher vraiment, jusqu’à la mort, c’est presque inhumain. Après une telle épreuve, j’ai accédé à une conscience plus claire de ma propre vie ; comme si Dieu m’offrait une nouvelle vie, dans un esprit de communion encore plus fort avec mes sœurs et le monde »
Sœur Anne-Élisabeth,
prieure du carmel du Pâquier ( Suisse)
– paru dans « La Croix » 3 juillet 2020