Fête de la Sainte Trinité – 4 juin 2023 – Évangile de Jean 3, 16-18

Évangile de Jean 3, 16-18

Révélation de l’Amour

L’année liturgique n’est pas une ritournelle rythmée par une cérémonie : elle raconte la découverte progressive la plus essentielle pour l’histoire des hommes et elle nous y entraîne. Y a-t-il un dieu ou des dieux ? Aujourd’hui, après l’évocation successive de Jésus, de sa mort, de sa résurrection, de son Ascension et de la Pentecôte, l’Église proclame la conviction dans laquelle ces événements l’ont ancrée : Dieu est unique en trois Personnes. « Trinité » : le mot est bien abstrait pour désigner le foyer de la Vie, il ne dit rien à la multitude. Le philosophe Emmanuel Kant écrivait au 18e siècle : «  De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Est-ce exact ? !

Dans l’antiquité, tous les peuples étaient religieux, ils avaient leurs dieux, les nommaient, érigeaient leurs statues, les priaient avec ferveur. Un seul se distinguait : le petit peuple Israël, tant de fois écrasé, assurait que tous ces faux dieux étaient des idoles creuses et inertes, qu’il n’y avait qu’un Dieu, irreprésentable, et qui avait fait une Alliance avec lui. Basée sur les dix Paroles fondamentales, cette Alliance devait être répandue dans le monde entier.

Ce Dieu s’était révélé comme une personne qui parle, il avait dit son nom : « Je suis qui je suis – YHWH » qu’on ne pouvait prononcer. Aussi chaque hébreu était – et reste aujourd’hui encore – tenu d’affirmer deux fois par jour la confession de foi (le shemah) : «  Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force…Tu répéteras ces paroles à tes fils… »( Deuter 6,4). Beaucoup d’autres lois suivaient avec notamment : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Hélas, la contagion de l’idolâtrie, toujours dénoncée violemment par les prophètes comme un danger mortel, demeura toujours présente au sein du peuple élu.

Qui est Jésus ?

Un jour, au milieu de ce peuple, « né d’une femme », membre d’une famille, artisan de village, paraît Iéshouah-Jésus de Nazareth. il se fait baptiser par le prophète Jean-Baptiste. Après une retraite au désert, il remonte en Galilée et commence à circuler à travers les villages en annonçant : « Le Royaume de Dieu s’approche : changez de vie ». Les foules peu à peu se pressent : on écoute cet enseignement nouveau, on implore les guérisons de malades, des disciples se joignent à lui. Qui est-il ? Tout de lui est d’un homme : il a soif, il est fatigué, il se fâche, il pleure son ami défunt, il prie.

Mais du neuf stupéfie : s’il est fidèle à la récitation du shemah, Jésus confie qu’il prie Dieu comme son Père et dit : « Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler »(Matt 11, 27). Confidence inouïe : quelle est donc cette relation privilégiée ?…

Jésus soutient les plus pauvres, il conjoint les deux commandements : « Tu aimeras Dieu de tout ton être » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais il ne se révolte jamais contre les Romains païens. Par contre il dénonce l’hypocrisie du culte au temple de Jérusalem qui ne fait pas respecter le droit et la justice, il critique l’arrogance des scribes, la vanité et l’enrichissement des grands prêtres. L’hostilité contre lui se durcit. A la fête de la Pâque, il brave le danger, l’étau se referme sur lui, il tremble d’agonie. Arrêté, condamné, il est exécuté sur une croix. Tous les disciples, en dépit de leurs belles déclarations, s’enfuient. La pierre est roulée. Tout est fini. Était-ce un prophète martyr ? …Au lendemain des festivités pascales, les milliers de pèlerins retournent dans leurs pays. Caïphe et Ponce Pilate sont contents : on a évité l’insurrection. Tout est calme à Jérusalem.

Rebondissement : Il est ressuscité !

Maintenant il nous faut sauter plusieurs années et arriver aux « Actes des Apôtres » de Luc (années 85 ?) et aux textes de Jean ( fin du 1er s. ?) en regrettant la brièveté de ces souvenirs qui évoquent la révolution la plus profonde qui vient de se produire et qui va changer l’histoire du monde.

Peu de temps après le drame, les disciples réapparaissent sur la scène publique et proclament la nouvelle stupéfiante, inouïe, incroyable : « Jésus qui était mort est ressuscité, et non réanimé : il est revenu vers nous en nous montrant ses plaies, source de son pardon, il est le Fils du Père, il nous a promis l’Esprit. Il a disparu en retournant vers son Père qui l’avait envoyé, l’Esprit nous a saisis et nous a chargés d’annoncer cette nouvelle à toutes les nations. Celui qui croit est pardonné de ses fautes et il devient réellement fils du Père ».

Ces gens ne sont pas des érudits capables d’élaborer une théorie théologique, ce sont des gens du peuple, sans éloquence et sans moyens. Ce sont des Juifs farouchement attachés à la confession d’un Dieu unique mais qui proclament sans contradiction: « Que toute la maison d’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ ce Jésus que vous, vous aviez crucifié » (Ac 2,36). Traduit devant le haut tribunal où siègent Hanne et Caïphe, Pierre lance : « Jésus, il n’y a aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à notre salut ». Là est le salut du monde.

Les juges sont sidérés par l’assurance de cet homme sans instruction et on lui interdit d’enseigner le nom de Jésus mais Pierre répond : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 12)

Les apôtres parviennent à convertir certaines personnes et notamment ceux que l’on appelle « les craignant Dieu », des païens qui admiraient la grandeur de la foi juive supérieure au paganisme et sont frappés par l’assurance des disciples. Les obstacles qui les rebutaient – circoncision, nourriture casher – ne leur sont plus imposés.

Par contre la grande majorité du peuple refuse d’accepter ce message qui lui paraît contradictoire : on lance des sarcasmes, on s’irrite contre ces fabulateurs qui paraissent introduire trois dieux et renversent le monothéisme farouche d’Israël. Très vite certains apôtres sont arrêtés, menés au tribunal, jugés, flagellés, condamnés. Luc raconte qu’ils sont très honorés de partager le sort de leur Seigneur.

Les apôtres ne cherchent pas les classes aisées, les esprits distingués, les gouvernants : ils s’adressent à tous, aux gens les plus simples. Ils ne comptabilisent pas le nombre des convertis, ils ne s’inquiètent pas d’accroître leurs revenus, ils mènent une vie dangereuse. Certes des convertis apostasient mais bon nombre tiennent bon. Et que font-ils ? Ils fondent des petites communautés locales. On entre dans l’Eglise par le baptême qui très vite se fait « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matth 28,19). La mission est universelle : des groupes de disciples se dispersent dans les nations voisines. Rien n’arrête l’élan missionnaire ni ne parvient à éteindre la joie profonde des disciples convaincus de vivre avec le Père, le Fils, et. l’Esprit, la révélation suprême.

La foi évangélique crée la paix du monde

Il est faux d’affirmer que la foi en la Trinité est inutile : cette révélation est en effet essentielle. Les apôtres proposaient leur message sans aucune pression, en respectant la liberté de chacun. Mais ils appelaient les convertis à faire une communauté fraternelle. Pour eux, « aller à l’église » ne signifiait nullement se rendre dans un bâtiment sacré pour y vivre des rites hiératiques puisqu’ils n’ont jamais bâti ni chapelle, ni église : mais cela signifiait « je me rends à la réunion de la communauté » qui se tenait dans la maison de l’un d’entre eux. Et puisque Jésus était réapparu le lendemain du sabbat, cette réunion hebdomadaire se faisait le premier jour de la semaine, jour du Seigneur, donc dimanche. « Eglise » en effet veut dire « ceux qui sont appelés hors ». Hors de chez eux, hors de la manière païenne de vivre. Le jour où le corps de Jésus était vivant, la communauté des croyants dispersés se reconstituait en « corps vivant de l’Église ».

Dans cette communion, chacun sait qu’il est pardonné de ses péchés, que Dieu est son Père, qu’il a reçu l’Esprit d’amour divin et que tous les autres, si différents soient-ils de lui, sont ses frères et sœurs qui, comme lui, ressusciteront. L’amour trinitaire l’étreint afin qu’il aime chacun de ses frères de la même manière.

Silencieusement mais de façon réelle, alors le Royaume est commencé et chacun est membre du Corps du Christ. Les « églises » fraternelles partagent le Pain de Vie qui les rend un. Elles sont des cellules de paix, les prémices de la paix mondiale. Trop peu d’entre nous en prennent conscience et ne vivent qu’une habitude rituelle sans impact social.

Comment chercher la foi trinitaire ?

Être scandalisé par une société régie par la violence, qui favorise les grands et écrase des millions de pauvres. L’histoire est-elle une histoire de fous, sans signification ?(Shakespeare). Acceptons-nous de rester sous le règne animal ?…Lire et relire les évangiles : s’interroger sans cesse sur le personnage unique qu’est Jésus de Nazareth. Comment expliquer cette assurance, cette audace des premiers disciples, leur joie sous les attaques ? Ne pas craindre d’oser se démarquer de l’opinion courante aujourd’hui. Pourquoi la foi chrétienne est-elle la plus persécutée ? Pourquoi compte-t-elle plus de martyrs que jamais ?

Un concile a proclamé un dogme mais les disputes continuèrent. Les débats et les recherches se poursuivront toujours.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Dimanche de Pentecôte – 28 mai 2023 – Évangile de Jean 20, 19-23

Évangile de Jean 20, 19-23

L’Esprit qui brûle en nous

Il y a des chrétiens pour qui l’Esprit-Saint n’est jamais comme une langue de feu, c’est-à-dire un langage que nous percevons, et qui nous enflamme.

Nous savons tous qu’en nous, il y a des mots et des idées qui se bousculent. Et nous savons tous aussi que parmi ces idées certaines nous attristent, d’autres nous réjouissent, d’autre encore nous emportent le cœur et l’âme. Il y a des mots, des phrases, des sons que nous percevons et qui nous portent vers la plénitude, l’élévation de tout notre être et parfois même l’extase ; des mots qui provoquent une jubilation esthétique intense – déjà les mots « Je t’aime » sont de ceux-là.

Et bien, il y a des chrétiens pour qui les mots qui émanent de l’Esprit même de Dieu ne sont jamais de telles langues de feu, ne suscitent en eux aucun embrasement, ni même de joie particulière.

Certainement, ils ont des désirs, des êtres et des passions qui les enflamment … mais pas Dieu. Ce sont des chrétiens purement rationnels, pour qui Dieu est finalement toujours une idée, un concept et jamais une rencontre, une personne qui les aime, quelqu’un dans leur vie. Ils ont la foi, ils croient en un être suprême, mais ce Dieu n’est jamais un « tu » auquel ils s’adressent. Il est trop loin.

Il y a aussi des chrétiens pour qui le seul esprit qui leur parle c’est le leur ; des chrétiens qui n’écoutent qu’eux-mêmes, des chrétiens qui croient que Dieu parle comme eux – et qui ont même tendance à l’affirmer – des chrétiens qui pensent détenir la vérité – bien sûr, la leur.

Et puis il y a les chrétiens pour qui la religion est spiritualité : c’est-à-dire un embrasement de l’esprit, par un Esprit avec lequel on dialogue. Un « tu » qui nous parle dans le cœur et auquel on répond ; un « tu » que l’on retrouve quand on lit la Bible, un « tu » que l’on sait voir présent dans ceux qu’on aime, un « tu » qui, lui-même, s’exprime parfois à travers nous.

Il y a des chrétiens que le « Je t’aime » entendu de Dieu embrase et comble de joie ; qui jubilent de l’Amour de Dieu qui s’exprime ; qui non seulement ont conscience de cet Amour mais bien plus le ressentent et l’éprouvent ; un peu comme l’amour s’éprouve entre ceux qui s’aiment : des langues de feu brûlantes comme le sont les mots des amoureux entre eux ; ceux que se chuchotent parents et enfants quand ils s’embrassent.

L’Esprit de Dieu cherche à tous nous parler. Pas à nous tenir un discours ; pas à nous donner des leçons ; pas simplement à exprimer une pensée que nous pourrions trouver intéressante ou belle ou adéquate. Non ! à nous parler de la manière la plus complète qui soit ; avec des mots qui changent et emportent celles et ceux à qui ils s’adressent ; avec des mots brûlants qui nous attirent. Dieu veut nous attirer à lui avec une Parole qui touche à l’essentiel de nous-mêmes. A notre profond désir d’aimer et d’être aimés.

On ne comprend bien l’image des langues de feu qui tombent sur les disciples que si l’on sait soi-même à quel point on peut brûler du désir d’amour et à quel point Dieu désire rencontrer ce désir. On ne comprend bien l’image des apôtres qui parlent désormais toutes les langues que si l’on se rend compte de l’universalité de ce désir d’amour et aussi de l’universalité des réponses qui y sont apportées. Quelle que soit notre langue maternelle, partout dans le monde, l’amour et la tendresse s’expriment de la même manière, avec les mêmes gestes, les mêmes élans du cœur, les mêmes marques d’affections.

Alors certains me diront, c’est très bien tout ce discours sur l’Esprit Saint qui nous parle d’Amour mais moi je ne l’entends pas comme ça. Pire, repensons au cas de Mère Teresa pour qui Dieu était bel et bien un « tu » auquel elle s’adressait mais qui, toute sa vie, est restée dans la nuit, sans percevoir de réponse de la part de Dieu … Et qui est pourtant devenue sainte !

Je crois en effet qu’une extrême confrontation à la souffrance, une vie qui s’affronte au malheur au point de concevoir – à juste titre – un profond sentiment personnel d’impuissance, peuvent nous empêcher de voir l’amour de Dieu à l’œuvre parmi les hommes. C’est difficile, dans la souffrance ultime, de ressentir encore l’Amour de Dieu.

Mais c’est alors peut-être, comme Sainte Teresa – et comme le Christ sur la croix qui a aussi vécu ce sentiment d’abandon – c’est peut-être qu’on devient un être non plus qui entend Dieu mais un être qui ne fait plus que dire Dieu par sa vie. Finalement Teresa, comme le Christ, ne sont plus que le cri d’Amour de Dieu face à la souffrance ultime.

La Pentecôte c’est le don fait à l’Humanité de pouvoir véritablement entendre Dieu comme le Christ a entendu son Père. Et le fruit de la Pentecôte c’est de pouvoir exprimer à notre entourage cet amour infini de Dieu pour l’Humanité. S’il le faut, en n’étant seulement plus qu’un cri.

La Pentecôte c’est recevoir l’Esprit d’Amour qui permet de se relever en toutes circonstances.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

7ème dimanche de Pâques – 21 mai 2023 – Évangile de Jean 17, 1b-11a

Évangile de Jean 17, 1b-11a

La Grande Prière de Jésus

Chaque année, après avoir célébré le départ de Jésus (Ascension) et en attendant la venue de l’Esprit (Pentecôte), à juste titre nous écoutons la grande prière finale de Jésus à son Père du chapitre 17 de s. Jean. Ce dimanche, nous en entendons la première partie mais il est fortement recommandé d’en prier l’entièreté.

La nuit du grand enseignement

Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit :

Pendant 4 chapitres (de 13 à 16), Jésus a longuement enseigné ses disciples parce qu’il voulait les aimer jusqu’à la fin, aux deux sens du mot : sens temporel (jusqu’au terme de sa vie) et sens qualitatif (l’intensité extrême).

A ces pauvres hommes, il a montré son amour en s’agenouillant devant chacun et en leur lavant les pieds et il leur a enjoint de faire de même entre eux. Il leur a annoncé l’imminence de son départ, il les a prévenus qu’ils allaient connaître refus et persécutions mais l’Esprit-Saint qu’ils allaient recevoir leur donnerait la force de tenir. La sortie subite de Judas jeta un froid et laissa présager la tragédie tandis que le présomptueux Pierre se faisait renvoyer à sa faiblesse.

Oui il les aime, ces quelques jeunes qu’il a appelés dans leurs divers milieux et qui, malgré tout, ne l’ont pas quitté. Après les avoir longuement regardé, tout à coup Jésus se tait. Levant la tête vers le haut (symbole du ciel), Jésus exprime une longue prière. Car l’horizontale de la fraternité ne tient que tenue par la verticale divine.

Père, l’heure est venue !

Jésus n’a jamais tracé sa vie selon ses plans et les circonstances. Dès son appel au baptême et lors de sa longue retraite au désert, son Père lui a confié la plus grande mission de l’histoire. La prière constante le mettait sans arrêt au diapason de son Père sans jamais manquer d’un iota.

Ce plan du Père était marqué par des étapes. Dès le début, à Cana, le don du vin de l’alliance n’était qu’un signe, ce n’était pas l’heure ; de même, à la 2ème Pâque, lorsque la foule, rassasiée de son pain, voulait le couronner roi, Jésus se déroba. Ici à présent, Jésus en est conscient : au cadran de l’histoire telle que Dieu la veut, l’Heure a sonné. L’ombre de la croix se profile mais il fera de son exécution la « Glorification ».

Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie.
Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.

Cette croix dont il sait l’inexorable certitude, il faut le répéter, n’est pas le châtiment d’un Dieu courroucé mais l’obéissance du Fils qui ne peut ni fuir ni se taire et qui se donne. Jésus en est sûr : le Père va glorifier son Fils en même temps que le Fils va glorifier son Père. L’horrible et infâme mise à mort sera l’authentique et définitive « Pâque » : le passage à la vraie vie quand l’amour va jusqu’à se laisser mettre en croix.

Cette Révélation ultime du Dieu Père et de Jésus son Fils offrira aux croyants la Vie éternelle. Non la longévité ni la réanimation mais « la Vie » qui consiste à connaître, c.à.d. à communier au Père et au Fils.

Merveille : l’ignominie du pire supplice et la peur de la mort vont devenir, au regard de la foi, le foyer de l’Amour du Père, de l’amour du Fils pour son Père et de son Amour pour les hommes.

Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.

Jésus, sans vanité, peut l’affirmer : son « oui » donné au baptême, il ne l’a jamais repris. En toute fidélité, il a, de jour en jour, exécuté l’œuvre que son Père lui proposait et qu’il approfondissait sans cesse dans une inlassable prière.

C’est pourquoi nous avons toujours à lire, relire, méditer l’évangile. Car certains se targuent trop facilement de « connaître » Jésus et Dieu.

Mais maintenant, par sa Pâque, le Fils peut demander à son Père de lui offrir cette Gloire qu’il avait avant l’existence du monde. Dès la première page, le Prologue l’affirmait : «  Au commencement était le Logos…et le Logos était Dieu…Tout fut par lui… » (Jn 1 1). « Maintenant je vais à celui qui m’a envoyé » avait-il déjà dit (16, 5).

J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole.
Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.

Impossible de ne pas remarquer la répétition du verbe « donner » (pas moins de 16 fois dans ce chapitre 17). Indicible humilité de Jésus libre de tout instinct de propriété ! Il sait que tout lui est donné, il reçoit et il donne. Ses paroles sont celles que son Père lui a soufflées ; ses disciples ne sont pas le fruit de son choix mais un don de son Père ; il ne se vante pas de ses enseignements ni de ses guérisons…Joie du coeur simple, conscient de tout recevoir et heureux de donner tout.

Prière pour les disciples

Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi.
Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

La foi n’est pas un acquis définitif qu’il suffirait de gérer. Jésus sait par quelle terrifiante épreuve ces hommes vont passer et dont ils n’ont aucune idée, il présage leur désarroi, leur fuite en dépit de leurs belles déclarations de fidélité. Ils vont traverser une tourmente dans laquelle leur foi va manquer de sombrer. Ensuite beaucoup les traiteront de lâches…puis de mythomanes. Aussi Jésus supplie le Père pour eux.

Comprenons bien pourquoi Jésus dit ne pas prier pour le monde : il ne s’agit pas de l’humanité comme telle mais des individus blindés dans leur égoïsme, leur dureté de coeur, leur cupidité.

Jésus prie pour les disciples car ils sont un cadeau du Père : ils ont reconnu la valeur divine des paroles de Jésus, ils ont fini par voir en Jésus plus qu’un homme, plus qu’un prophète, mais le Messie Seigneur.

Maintenant Jésus prend son départ, le mécanisme de la trahison est en route, les autorités sont décidées. Jésus vient vers son Père : eux demeurent dans le monde. Donc ils vont devoir témoigner de tout ce qu’ils vont vivre.

Et l’essentiel – ce sera le sujet de la suite de la prière – ce sera qu’ils restent unis. « Père, qu’ils soient UN comme nous sommes UN » (17,11)

Prière pour la multitude des croyants

Et enfin la prière de Jésus s’évasera aux confins de l’histoire et du cosmos ; Il prie pour tous ceux qui croiront en lui.

« Je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croient en moi : que tous soient UN comme toi, Père tu es en moi et que je suis en toi : qu’ils soient en nous, eux aussi pour que le monde croie que tu m’as envoyé « (17, 20)

Conclusions

Nous prions mal, nous prions trop peu mais le Seigneur Jésus prie sans interruption pour nous afin de nous attirer dans la Gloire du Père. Quelles babioles, les « gloires » de la terre !

Croire trouver la paix par des conquêtes, des victoires, des traités de paix, des armes sophistiquées, des inventions… : tout cela est un leurre. C’est le coeur de l’homme qui doit être guéri. Et personne ne peut s’engager pour les autres.

Indispensable condition première de la mission : notre unité dans l’amour du Père et du Fils. « Qu’ils soient UN comme le Père et le Fils sont UN ». On est loin des poignées de main et des belles proclamations. Ce n’est qu’à cette profondeur divine que la paix du monde est possible.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

6ème dimanche de Pâques – 14 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 15-21

Évangile de Jean 14, 15-21

Les voix intérieures

Au début de son discours d’adieu et comme nous l’avions découvert les dimanches précédents, Jésus a appelé tous ses disciples à croire en lui ; à croire qu’il est dans le Père et que le Père est en lui. Ensuite il les a exhortés à avoir une confiance absolue, à espérer toujours : oui, il va nous préparer une place dans la demeure de son Père. Et il continue maintenant en invitant vivre de son amour. « Croire en moi, c’est m’aimer » : dit Jésus. Cet amour n’est pas un sentiment éphémère, qui va et qui vient, mais c’est l’accueil des commandements qu’il nous a donnés. Il est donc important, essentiel même, de s’informer, de connaître l’enseignement de Jésus, de nous plonger dans sa vie et donc dans l’Évangile, de se mettre encore et toujours à l’écoute de la Parole.

Souvent, Jésus a donné des commandements à ses disciples : priez… veillez… ne cherchez ni l’argent, ni les premières places. Et encore : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » ou « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voilà le cœur de ce que Jésus nous demande. Et il nous le demande tout en nous laissant une liberté totale : « si vous m’aimez » … Jésus ne force pas, n’impose pas, mais il nous invite. À chacun de répondre selon sa générosité de cœur envers lui.

Certains d’ailleurs vont refuser, comme le jeune homme riche de la parabole, et Jésus le laissera partir … Des disciples vont décider de se séparer de Jésus. Certains, comme Judas, vont même le trahir. Et pensons à Pierre qui, par trois fois, le reniera. Cependant, toujours, comme le Père dans la parabole du Fils prodigue, Jésus accueille celui qui revient à lui : l’amour de Jésus est un amour parfaitement libre et donc libérateur.

Et pour nous venir en aide, pour nous aider au commandement d’aimer, toujours au cœur de son discours d’adieux, Jésus nous fait une promesse, celle de nous envoyer un défenseur. À tous les disciples inquiets, fragilisés, incapables de se défendre, de rester fidèles jusqu’au bout – et il y a là quelques ressemblances avec nous-mêmes –, Dieu va envoyer le Paraclet, qui est un terme issu de la Bible en grec, d’un verbe qui signifie ‘appeler quelqu’un auprès de soi’. C’est donc un Esprit conseiller, un avocat ou encore un interprète que Dieu nous envoie et que Jésus promet.

Voici l’Esprit, le Souffle d’amour entre Jésus et son Père qui vient vers nous, auprès de nous, en nous. C’est lui que notre foi appelle ; c’est lui qu’il convient d’accueillir de tout notre cœur. Nous devenons ainsi des hommes et des femmes animés par une force extraordinaire, capables de reconnaître que Jésus est en son Père autant qu’il est en nous et nous en lui. Jésus est plus qu’une grande figure du passé : il est l’incarnation de l’Amour parfait. Avec les Apôtres, nous pouvons affirmer que Jésus vivant est revenu vers nous, non pas comme un prophète que l’on suit ou comme un maître de sagesse que l’on écoute, mais comme une présence réelle intérieure qui, à son tour, nous donne la Vie nouvelle en abondance, nous réjouit et nous emporte. Depuis Pâques, nous avons découvert que, plus qu’un grand prophète ou un messie politique, Jésus est le Fils vivant en son Père : que c’est parce qu’il vit en nous que nous, nous vivons vraiment.

Mais comment reconnaître en nous la voix de l’Esprit Saint ? Parce que, parmi toutes les petites voix qui nous parlent intérieurement, certaines nous trompent et nous égarent ? Comment discerner la voix de Dieu ? C’est tout de même un peu plus compliqué que ce que nous donnent à voir les dessins animés : un petit ange à gauche ; un petit diable à droite qui nous parlent à l’oreille.

Bien sûr, quand survient en nous une parole qui évoque l’Évangile – et c’est d’ailleurs pour ça qu’il faut bien s’en imprégner – nous pouvons nous y fier. Dans le même ordre d’idée, lorsque surgit en nous une pensée qui nous donne un sentiment de grande paix, nous pouvons la suivre. Si le conseil des voix intérieures nous incite à mieux aimer, là aussi, il est assurément bon.

Mais parfois la petite voix de l’Esprit Saint est une voix qui bouscule, qui dérange et même nous perturbe ; une voix qui va à l’encontre de nos propres idées ou désirs ; une voix qui veut nous emmener là où nous ne souhaiterions peut-être pas forcément aller ; une voix qui nous invite à faire ce que nous ne ferions peut-être pas. C’est alors plus difficile de l’entendre, de la comprendre et de l’accepter. Et nous pourrions facilement l’étouffer. L’Esprit nous laisse libre, y compris libre de nous tromper.

On parvient à discerner la voix de l’Esprit-Saint en prenant l’habitude d’écouter nos petites voix intérieures et en prenant le temps de réfléchir à leur propos. Pourquoi telle idée me vient-elle ? Et pourquoi me vient-elle si souvent ? C’est à force de chercher à comprendre ce qui motive les voix qui nous parlent intérieurement que nous parvenons à discerner celles qui viennent de Dieu, de celles qui viennent de nous-mêmes ou celles qui viennent d’un esprit encore plus mauvais. Enfin, nous pouvons prier Dieu de nous éclairer sur les intentions de nos petites voix intérieures.

Prenons dès lors le temps de l’écoute, créons cet espace qui va permettre à l’Esprit Saint d’agir en nous, de déployer ses dons de sagesse, de conseil et de force, ses dons d’intelligence et de piété. Habités par le désir de nous transformer de l’intérieur, nous entrerons alors en dialogue avec celui qui veut faire en nous sa demeure, un lieu de rencontre et de dialogue intimes.

C’est ainsi, par cette œuvre de l’Esprit en nous, que la vie et les paroles de Jésus resteront actuelles, toujours personnelles, et que nous reconnaîtrons qu’il vit en nous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

5ème dimanche de Pâques – 7 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 1-12

Évangile de Jean 14, 1-12

Tous prêtres

Le 5ème dimanche de Pâques est, chaque année, l’occasion de réfléchir, méditer et prier pour les ministères dans l’Église. La première lecture nous racontait l’institution des sept premiers diacres, la lettre de Pierre nous parlait du sacerdoce chrétien et l’Évangile nous explique que, grâce au Christ, nous avons tous notre demeure auprès de Dieu.

Le diacre est celui qui est chargé par l’Église de ce qu’on appelle le « service des tables ». Et sans doute son rôle le plus visible est-il celui de dresser l’autel pour célébrer la messe. Et puisque nous disons que la Parole de Dieu est, pour nous, une nourriture, il convient que ce soit lui aussi qui lise l’Évangile. Mais le diacre a aussi un rôle moins visible et tout aussi important : le service de la charité de l’Église. Le livre des Actes des Apôtres raconte que « les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées ». Dans l’antiquité, être veuve était un drame parce que seuls les hommes pouvaient accéder à un salaire. Être veuve signifiait devoir mendier et ne pouvoir vivre que de la générosité des autres. En fait, l’institution des diacres, c’est l’institution du tout premier service social de l’Histoire. Et c’est sans doute surtout à cause de ce service – qu’on appelle la diaconie – que l’Église a eu beaucoup de succès dans les premiers temps. Ce n’est pas tant parce qu’elle avait de belles idées ou un joli message – bien que ce soit important – mais c’est parce qu’elle s’est fait tout de suite un devoir de s’occuper des petites gens. Le diacre est à l’image du Christ qui prend soin des pauvres, des malades et de ceux qui ont faim. C’est tout cela qu’on appelle le service des tables.

Le prêtre, lui, est chargé de « présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ » dit la Lettre de Pierre. D’abord le sacrifice de lui-même dans la prière. Le rôle essentiel du prêtre c’est de prier pour la partie du peuple de Dieu qui lui est confiée. Au fond, le prêtre c’est celui qui vit en permanence dans la demeure de Dieu, qui parle de Dieu au peuple ou du peuple avec Dieu.

A bien y regarder, si on se borne à cette définition, elle convient à tous les baptisés. Nous sommes tous invités à offrir des prières et à sacrifier de nous-même pour tous ceux qui nous sont confiés. Nous sommes tous appelés à vivre dans la « demeure de Dieu ». Nous pouvons tous diriger la prière au sein de nos familles, groupes d’amis, etc. Nous pouvons tous bénir ceux qui nous entourent. Nous pouvons tous faire du catéchisme à ceux qui voudraient grandir dans la foi. Nous pouvons tous lire, méditer, nous former et prier pour ceux que Dieu nous confie. On peut lire l’Évangile en famille, on peut simplement montrer à ses enfants, à ses proches qu’on prie pour eux. Voilà ce qu’est « être prêtre ».

L’onction baptismale a fait de nous des Christs, c’est à dire des prêtres, des prophètes et des rois. Prêtres dans le sens que le baptême nous rends aptes d’offrir nous-mêmes des sacrifices et à conduire la prière ; prophètes parce qu’il nous permet, des signes actuels, de mieux entrevoir l’avenir ; rois parce qu’une foi adulte rend capable de se gouverner soi-même. La perspective de l’avenir et le gouvernement adulte, nous les envisageons assez bien. Mais la prêtrise de tout baptisé ?

Remarquons enfin que la distinction prêtre, prophète et roi implique que le gouvernement ou le discernement de l’avenir n’appartiennent pas qu’aux prêtres.

Ainsi, à coté du sacerdoce commun à tous, il y a aussi les prêtres ordonnés, ceux dont la mission est toute entière d’offrir des « sacrifices spirituels, agréables à Dieu », ceux dont la vocation est de faire de leur vie une incessante prière pour le peuple. C’est pourquoi l’Église attend d’eux un certain professionnalisme religieux dont elle pose les conditions, notamment celle du célibat, comme signe d’un cœur à demeure au près de Dieu.

Je gage que toutes les questions qui agitent fort l’Église en ce moment, notamment relatives au statut des prêtres seraient bien vite apaisées si chacun voulait bien se souvenir que chaque baptisé est en soi prêtre. On ne résoudra pas les problèmes d’emprise ou de vocations par le mariage des prêtres, ces réponses sont trop simplistes et assurément fausses. De même, les revendications pour l’ordination des femmes, qui ne sont que des revendications de pouvoir – lesquelles sont légitimes mais confondent ici prêtre et roi, dans ce qui reste une vision cléricale du sacerdoce. Quiconque revendique l’ordination sacerdotale l’envisage sous l’angle du prestige et du pouvoir alors qu’en réalité il s’agit, à la suite du Christ, de s’offrir soi-même en sacrifice, de choisir la position de serviteur jusqu’au don de sa vie, laquelle n’est certainement pas une position enviable.

Le seul véritable prêtre c’est le Christ : « personne ne va vers le Père sans passer par [lui] » et, à sa suite, nous sommes tous prêtres, appelés à lui rendre un culte par nos vies. Aux prêtres ordonnés, il ne reste finalement que l’intendance des sacrements. Le reste – le gouvernement, les perspectives d’avenir, le témoignage de foi apporté au monde – tout cela appartient au peuple de Dieu. « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »

Je vous en prie, soyez tous prêtres dans la vie de tous les jours : allez dire aux gens que vous priez pour eux, que vous êtes prêts à vous sacrifier pour eux.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

4ème dimanche de Pâques – 30 avril 2023 – Évangile de Jean 10, 1-10

Évangile de Jean 10, 1-10

Je suis le Berger …
Je suis la Porte

L’évangile lu ce dimanche fait qu’on l’appelle « le dimanche du bon Pasteur », ce qui évoque tout de suite des images doucereuses d’un beau Jésus serrant sur son coeur un agneau mignon. Le contexte montre au contraire qu’il s’agit d’une scène dure, polémique, qui fait suite à la guérison de l’aveugle-né que Jésus a « fait sortir » de l’enclos pharisien pour l’attirer à lui. Son importance est marquée par son début solennel.

Être berger était un métier très répandu en Israël, bien plus rude que nous ne l’imaginons. Il fallait guider le troupeau vers de bons pâturages, trouver des sources d’eau, aller à la recherche des bêtes qui s’étaient égarées, soigner celles qui étaient blessées, protéger le troupeau à la merci des attaques des prédateurs. L’unité était un souci permanent. Le soir venu, les pasteurs gagnaient un enclos protégé, gardé par des veilleurs, dans lequel les bêtes seraient mélangées mais à l’abri. Dans la pâle lueur de l’aube, chaque berger se présentait à l’entrée et appelait ses brebis par leur nom afin de reconstituer son troupeau et s’en aller pour une nouvelle journée.

Une parabole difficile

Amen, amen, en vérité je vous le dis : celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors. Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers.

Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire.

Dans l’antiquité il était courant d’appeler « bergers » les rois et les chefs : les hommes n’étaient-ils pas comme des brebis fragiles qu’il fallait guider et défendre ?

Combien sont-ils, et seront-ils encore, à désirer s’emparer des hommes en prétendant être les meilleurs dirigeants ? Sans arrêt nous entendons les discours enflammés, les proclamations véhémentes : « Suivez-moi…Je vous apporterai les meilleures conditions…Avec moi nous serons les plus forts…Je suis le Führer ». Et, plus bêtes que les brebis, nous écoutons ces belles promesses, nous ne décelons pas les mensonges, la volonté de puissance cachée.

Méfiez-vous, nous prévient Jésus, des voleurs et des brigands ! Moi, dit-il, pauvre, démuni, sans nulle ambition mondaine, je me présente à la porte de l’humanité et je parle dans la paix et la vérité, sans flatterie ni rodomontade. Je connais mes brebis et j’appelle chacune par son nom c.à.d. selon son identité, sa situation. Ainsi l’évangile nous raconte comment Simon, Jean, Philippe, Nicodème, la samaritaine, la femme adultère…ont été appelés de façons différentes. Sans hurlement ni menace. Et chacun de nous pourrait raconter à son tour comment il a perçu une voix douce et miséricordieuse qui le rattrapait dans les mille détours de ses errements.

Hélas combien de fois avons-nous fait la sourde oreille ! Mais Jésus, le bon berger, ne cesse jamais de chercher la brebis perdue, car elle lui appartient.

Deux mots surprennent. Au lieu d’employer le mot habituel pour « enclos », Jésus utilise un mot qui désigne la « cour » du temple ! En outre il précise qu’il « les pousse dehors », ce qui paraît excessif mais c’est le verbe utilisé juste avant, lorsque les pharisiens ont jeté hors de la cour du temple l’aveugle né qui s’était mis à croire à Jésus.

L’homme qui se convertit au Seigneur Christ peut être rejeté par son milieu : dans cette blessure qu’il sache reconnaître l’appel de son berger véritable. Ainsi à travers les affres horribles de sa passion, Jésus a su reconnaître l’appel de son Père à accomplir sa volonté (annoncer la venue du Royaume) jusqu’au don total de soi (la passion). Donc l’image pastorale éclaire la situation.

Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire.

On ne s’étonne pas que ces pharisiens ne comprirent pas du tout la portée de cette déclaration. Tous les chrétiens la comprennent-ils aujourd’hui ?

Jésus unique Sauveur

C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : je suis la porte des brebis. Ceux qui sont intervenus avant moi sont tous des voleurs et des bandits mais les brebis ne les ont pas écoutés.

Moi je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé. Il pourra aller et venir et il trouvera un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire.

Le 2ème tableau de la parabole commence aussi de façon très solennelle : le sujet traité est vraiment d‘une importance essentielle.

Les prédécesseurs de Jésus ne désignent évidemment pas les patriarches, les prophètes et Jean-Baptiste mais tous ceux qui se sont targués d’apporter bonheur, grandeur, consommation et qui finalement ont conduit leur peuple à la ruine.

Jésus prétend que lui seul donne accès à l’humanisme plénier. Il est la Porte et celui qui, par la foi et la confiance, passe par lui obtiendra « le salut ». Au fond que signifie ce dernier mot que l’Eglise emploie si souvent ? Jésus le décrit par deux images reprises au contexte pastoral :

« il pourra aller et venir » : dans la bible ce couple désigne la liberté. Si l’esclave est bridé par mille contraintes, si l’addiction au péché nous enchaîne, la foi au Seigneur Jésus nous libère totalement puisque son pardon fait sauter nos chaînes. La modernité prétend qu’elle a mis fin à l’aliénation religieuse : quel mensonge ! Jamais l’idolâtrie de l’argent, le prurit de la consommation et du loisir, l’esclavage des alcools et des drogues n’ont fait autant de ravages.

« il trouvera un pâturage » : nous sommes des êtres de besoins et de désirs, nous cherchons sans cesse non seulement des aliments mais des affections, des conversations, des biens culturels, des soins et des protections. Plus profondément nous avons soif du pardon, de l’eau vive qui gît au fond de notre coeur assoiffé, de la vérité, de la paix, de l’amour d’un Dieu qui nous délivre de la mort. Jésus nous assure solennellement qu’il est venu dans ce but.

Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’il l’aient en abondance.

Jésus est conscient de n’être pas seulement un être comme les autres : il a reçu mission unique de son Père afin d’accomplir sa mission.

« Au commencement était la Parole et la parole était de Dieu. Et la Parole s’est faite chair…A ceux qui croient en son Nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu…Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ….Personne n’a jamais vu Dieu : le Fils unique l’a dévoilé » (Jean 1)

Le Bon Berger

La lecture du jour se termine ici mais le texte poursuit par la déclaration célèbre :

Je suis le bon berger : le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, voit-il venir le loup, abandonne les brebis et le loup s’en empare…Je suis le bon berger : je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme mon Père me connaît et que je connais mon Père. Et je donne ma vie pour mes brebis.

J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos, et celles-là aussi il faut que je les mène. Elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger. Le Père m’aime parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite…. » (10, 11-18)

Enfin on comprend pourquoi Jésus se dit « bon » : parce que, au contraire des chefs et des dictateurs, il ne fuit pas le danger mais offre sa vie tellement il aime ses brebis que le Père lui a confiées. En Israël, Jésus, par sa croix, a fait sortir quelques disciples de « l’enclos de la Loi » qui enfermait dans un tas d‘observances et dans la culpabilité. A leur tour, les disciples se sont élancés vers d’autres enclos. Trop souvent ils ont usé de violence, cherché le prestige alors que pour être de bons bergers, ils devaient devenir de doux agneaux.

Renversement inouï de la parabole : par amour, le berger se fait agneau immolé. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » : l’Agneau se fait Pain et se donne en nourriture à ses brebis pour les conduire vers la Maison du Père. Quel bonheur de découvrir comment nous sommes libérés, à quel point nous sommes aimés et de suivre le Berger à la rencontre du Père pour la Paix éternelle.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

3ème dimanche de Pâques – 23 avril 2023 – Évangile de Luc 24, 13-35

Évangile de Luc 24, 13-35

L’enfant égaré

Et si la meilleure image du Christ que nous ayons était en nous ?

Et si le petit enfant que nous étions, qui ne demandait – souvenez-vous en – qu’à aimer, à témoigner de tendresse et d’affection, et si cet enfant au cœur pur que nous étions était la meilleure image du Christ en nous ? A l’origine, n’y avait-il pas en nous un désir pur d’aimer ?

Parce qu’il se pourrait bien qu’il ait été « cloué sur le bois par la main des impies » ce petit enfant qui ne demandait qu’à aimer, lui que nous étions et que nous ne sommes peut-être plus. Il se pourrait qu’elle soit morte l’innocence affective de notre enfance ; et peut-être qu’elle ait été crucifiée par le mal.

« Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence » chante le roi David. N’avions-nous pas, enfants, le cœur brûlant d’une présence d’amour comme le ressentent les disciples d’Emmaüs lorsqu’ils retrouvent le Christ.

Avez-vous le souvenir d’avoir été un enfant innocent et pur ; et où est-il aujourd’hui cet enfant ? Mort ? Crucifié ? Enseveli ?

Le mal auquel nous avons été confrontés nous a endurcis ; faisant peu à peu de nos cœurs d’enfant, des cœurs de pierre, tuant petit à petit l’innocence aimable qui était la notre. Peut-être est-ce le fait de « la conduite superficielle héritée de vos pères » comme le dit la lettre de Pierre. La résurrection nous concerne très pratiquement ; parce que cette innocence d’aimer, au fond de notre cœur, nous souhaitons qu’elle revive.

Ne s’est-il pas égaré l’enfant que nous étions et qui ne désirait qu’aimer ? Égaré comme le sont les disciples sur le chemin d’Emmaüs.

Car Emmaüs c’est nulle part. Si vous allez voir sur Wikipédia vous trouverez une dizaine d’hypothèses, mais archéologiquement, on ne l’a pas trouvée. Et même l’étymologie – la signification du nom – reste incertaine. Je crois qu’il faut garder cette définition : Emmaüs c’est nulle part.

Ils sont là, désespérés : on a mis à mort comme un vulgaire criminel ce Jésus en qui ils avaient mis leur espérance. Oh, des femmes leur ont bien rapporté qu’elles avaient eu la vision d’anges proclamant qu’il était toujours vivant, mais ils n’y croient plus vraiment. Ils ne croient plus qu’il sera leur sauveur, ni peut-être même qu’il y aura un sauveur. Ils sont désemparés, perdus, errants vers nulle part : Emmaüs. Et il faudra que ces disciples fassent une rencontre avec le Ressuscité pour qu’ils retournent vers Jérusalem, vers l’espérance, vers quelque part.

Nos veillées pascales, nos célébrations, la commémoration de l’Eucharistie ne sont pas grand chose s’il n’y a pas dans notre vie une véritable rencontre avec le Ressuscité à laquelle elles font référence. Il y a quelque chose de concret – dans votre histoire – qui résonne avec ces mystères.

Et ne croyez-vous pas que ce qui résonne le mieux avec ce mystère de l’amour incarné plus fort que la mort, c’est justement ce petit enfant que nous étions et qui ne demandait qu’à aimer ?

Ne croyez-vous pas que cette innocence de l’enfance qui était la nôtre a été quelque peu mise à mort, quelque part crucifiée par le péché – celui des autres qui nous ont fait du mal et aussi peut-être le mal que nous nous sommes fait à nous-mêmes ?

Enfin ne croyez-vous pas que ce petit enfant que nous étions, n’a pas été abandonné à la mort par Dieu, et qu’il peut le ressusciter, par le don de l’Esprit Saint que Jésus a promis et qui a été effectivement répandu sur nous à la Pentecôte ?

Je crois que tout être humain est né bon et animé du seul désir d’aimer. Je crois que c’est le mal que nous rencontrons qui met peu à peu cette innocence de l’enfance à mort. Je crois que chaque adulte aspire à retrouver cette pureté d’amour qu’il avait enfant. Et je crois que Dieu peut la ressusciter.

Laissons-nous envahir par la Résurrection de Jésus ; prions Dieu de rendre à nouveau vivant le désir d’aimer que nous avions en naissant. Alors, comme les disciples d’Emmaüs, nous comprendrons que toute l’Écriture parle de nous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

2ème dimanche de Pâques – 16 avril 2023 – Évangile de Jean 20, 19-31

Évangile de Jean 20, 19-31

Croire pour Vivre

Comment une nouvelle aussi incroyable que la résurrection d’un crucifié dont on a bien constaté la mort a-t-elle pu être admise et se soit répandue avec une telle rapidité dans un monde qui n’avait pas notre système de communications ? Déjà en 51 (20 ans après la mort de Jésus), Paul, de retour à Corinthe, s’émerveille de la foi des Thessaloniciens qui croient en Jésus mort pour le pardon des péchés, ressuscité, Seigneur, Messie qui reviendra pour le jugement final. Tous partagent la joie de la Bonne Nouvelle et acceptent de souffrir pour l’Evangile. En 64, à Rome, l’empereur Néron fait brûler les chrétiens comme des torches.

Pourtant il semblait si aberrant d’accepter pareille information ! N’était-ce pas une fabulation des disciples déçus par la disparition de leur maître ? Oui mais dans ce cas, pourquoi l’avaient-ils inventée ? Dès le début ils furent critiqués, menés au tribunal, flagellés, mis à mort. Leurs familles se déchiraient, ils étaient rejetés des synagogues, surveillés par les Romains qui craignaient une insurrection.

Et en relisant les Actes puis les Lettres suivantes des apôtres, il est tout aussi stupéfiant de constater à quelle vitesse le mystère de Jésus s’est déployé : il n’était pas un prophète condamné et revenu à la vie.

« Jésus, de condition divine, s’est dépouillé…devenant obéissant jusqu’à la mort sur une croix…Et Dieu l’a élevé afin que toute langue proclame que le Seigneur, c’est Jésus-Christ » (Phil 2,06) …

« Vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Gal 3, 28)… 

« Dieu a voulu réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ » (Eph 1, 10)…

Jusqu’ à l’Apocalypse qui se termine par l’appel : « Amen, viens, Seigneur Jésus » (22, 20).

Pour nous faire comprendre comment parvenir à croire sans voir, Jean termine son évangile par le célèbre épisode de Thomas. Celui-ci est le prototype des multitudes infinies qui, comme nous, n’ont pas bénéficié d’une apparition : comment nous instruit-il encore aujourd’hui ?

Le Ressuscité retrouve son Eglise

C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint et il était là au milieu d’eux.

Complètement sidérés par ce qu’ils viennent de vivre et qui était à mille lieux de ce qu’ils auraient jamais pu imaginer, les disciples cependant ne se sont pas dispersés dans la nature. Ils se sont rassemblés dans une maison, toutes portes closes, la peur au ventre car ils soupçonnent que les autorités sont à leur recherche. Tout à coup le Maitre est présent au milieu d’eux. Pas de fulgurance. Mais c’est bien lui. Il n’était pas là, il n’est pas leur fabrication, il est au milieu. Il devient leur milieu.

Il leur dit : «  La paix avec vous » et il montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Il leur dit : « La paix avec vous. De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Ayant ainsi parlé il répandit sur eux son souffle : «  Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ».

Celui qui n’a pas vu

Thomas, un des douze, n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! ». Mais il leur déclara : «  Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous et la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient dans la maison et Thomas était avec eux ; Jésus vient, toutes portes closes, il était là au milieu d’eux ; il dit : « La paix avec vous ». Il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule mais croyant. Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Jésus lui dit : «  Parce que tu m’a vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».

Remarquons que, à la différence du tableau du Caravage, il n’est pas dit que Thomas a touché les plaies : il les a vues et il a cru. Jésus lui reproche son incrédulité : il aurait dû faire confiance à l’affirmation unanime de ses confrères. Comment donc cet épisode nous apprend-il à être heureux de croire sans voir ?

Depuis longtemps peut-être, vous avez abandonné la pratique chrétienne inculquée dès votre jeune âge : comme la majorité aujourd’hui vous avez estimé que c’était une histoire dépassé. Et voilà que curieusement la question de la foi peu à peu vous interpelle : la figure de Jésus est tellement belle, son message si évidemment vrai. Mais vous achoppez sur la fin : comment accepter la résurrection ? Que vous apprend Thomas ? Bardé de vos réticences et de vos refus, osez rejoindre la communauté des pratiquants du dimanche. Car saint Jean insiste fortement sur ces conditions.

Les discussions de Thomas avec ses collègues ayant échoué, ils lui ont prescrit de rejoindre la communauté, qui se réunit dans un local le premier jour de la semaine. Donc dès le début, les chrétiens, qui étaient en majorité des Juifs célébrant le sabbat, ont effectué une révolution. Pour eux désormais, puisque Jésus était apparu le lendemain du sabbat, c’est donc en ce jour qu’il fallait se retrouver pour l’accueillir et ils l’appelèrent « domenica dies » qui donna le mot « dimanche ». Pour nous chrétiens, le week-end est vendredi-samedi. Et le dimanche inaugure la semaine nouvelle. Comme une nouvelle création : « Que la lumière soit : premer jour ».

Et qu’a vu Thomas ? Ses collègues auraient pu craindre de subir un terrible châtiment puisqu’ils venaient d’abandonner lâchement Jésus et même de le renier. Mais voilà qu’il leur était présent et leur montrait ses plaies : son horrible crucifixion étaient la source de son pardon. « Shalom …et il leur montra ses plaies ». Il ne les obligeait même pas à lui demander pardon. Leur honte d‘avoir péché se muait en ravissement du pardon immérité. D’un coup la miséricorde infinie les renouvelait, les re-suscitait. Les endeuillés sautaient de joie !!

Comme Dieu avait soufflé sur Adam et Eve pour les rendre vivants, le Seigneur Jésus maintenant envoyait son souffle sur les apôtres. Il ne fallait plus attendre des apparitions sporadiques mais être habités par l’Esprit-Saint. Non pour jouir d’une présence mais pour être emportés dans le monde, à destination de tous les hommes afin de leur offrir ce même don de l’Esprit qui les pardonnait. A condition évidemment qu’ils acceptent ce don, car il n’y a pas d’automatisme du salut : Dieu respecte notre liberté qui va jusqu’à pouvoir refuser Dieu !

Ainsi l’humanité qui avait été, par la création, soufflée hors de Dieu et qui avait péché, commence son retour à lui. Car il n’’y a qu’une mission : le Père envoie le Fils qui envoie l’Esprit sur quelques hommes et femmes afin qu’eux-mêmes envoient cet Esprit. La foi est un privilège mais qui impose un devoir. L’histoire est spirituellement l’expansion de l’Amour à tous les peuples. Si les hommes restent tentés de se déchirer et de se combattre, les chrétiens sont tenus de s’immiscer dans tous les milieux afin d’apporter la Paix.

Ne répliquons pas que nous sommes pécheurs donc incapables. Pierre, Thomas et les autres l’étaient avant nous. C’est pourquoi il n’est pas normal de commencer nos messes avec toutes ces répétitions : « Je confesse…Prends pitié… ». Elles restent inefficaces puisque nos assemblées ne montrent pas qu’elles sont transfigurées par la joie. La piété ne consiste pas à prendre un air compassé de carême.

Fin et But de l’Evangile

Les dernières lignes, essentielles, de ce chapitre 20 constituent la conclusion de l’évangile de Jean car le chapitre 21 est manifestement une addition de certains disciples.

Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence de ses disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.

Jean ne se prétend pas un historien, il ne raconte pas la vie de Jésus. Il est un de ses disciples qui témoigne de certaines paroles et activités de Jésus. Il a compris que ces faits étaient des « signes » qui dépassaient souverainement leur simple compte-rendu. C’est pourquoi seul un témoin qui a compris leur signification peut tenter de les mettre par écrit.

Jean a fait un choix, il n’a pas voulu raconter tout car il ne s’agit pas de connaître Jésus et de lire l’évangile avec curiosité comme on lit la vie d’un hommes célèbre.

L’enjeu en effet en énorme, il s’agit en toute liberté de conduire le lecteur afin qu’il découvre peu à peu la personnalité de l’homme de Nazareth qui s’est montré comme un prophète mais qui dépasse infiniment ce titre pour être confessé comme « Messie », « Fils de Dieu ». Ainsi de Thomas qui longtemps incrédule a fini par exprimer la plus haute confession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Parfois l’incrédule tenace monte plus loin que le pratiquant routinier.

Alors ce lecteur a la Vie éternelle. Et il est « heureux ».

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

La résurrection du Seigneur – 9 avril 2023 – Évangile de Jean 20, 1-9

Évangile de Jean 20, 1-9

La résurrection du Seigneur

Il y a toutes sortes de morts en nous. Il y a bien sûr les deuils que nous portons, ces êtres chers dont la présence nous manque. Il y a aussi les deuils que nous avons dû faire de nous-mêmes, tous ces espoirs que nous avions et auxquels nous avons dû renoncer, toutes ces vies rêvées, ou simplement envisagées, que nous n’avons pas eues. Il y a aussi toutes les blessures, les méchancetés, les indifférences, les humiliations que nous avons subies et qui nous ont changés. Il y a aussi quelque part Dieu qui est mort en nous, à l’image de cette spontanéité d’aimer que nous avions tous enfant. Aujourd’hui, nous sommes plus méfiants voire endurcis.

Il y a encore d’autres morts en nous : ce qui nous fait honte, le mal que nous avons fait, les pensées méprisantes, nos jugements qui condamnent. Tout ce qui, petit à petit, met à mort la personne juste et aimante que nous voudrions être.

Certaines personnes sont tellement confrontées à la mort, notamment par la perte d’un enfant, qu’elles finissent par perdre la foi. La foi en elles-mêmes, la foi en l’humanité, la foi en la vie, la foi en l’amour, la foi en Dieu. C’était le cas de Mère Teresa, qui confessait à Jean-Paul II ne plus voir Dieu à force d’avoir enterré des morts. Elle disait mentir sur sa foi avec son sourire.

Qu’est-ce que la Résurrection ?

Bien sûr, on pourra toujours dire que nos grand-parents, nos parents défunts continuent à vivre en nous, à travers l’amour que nous continuons à leur porter ; on pourra penser que nous incarnons, à notre tour, tout ce qu’ils nous ont transmis : des valeurs, un esprit, une manière de vivre et d’aimer. Au fond, ça rejoint l’ancienne croyance qui voulait que, pour que quelqu’un vive éternellement, il suffisait que l’on se souvienne perpétuellement de lui et rende hommage à son nom. A tel point que, dans l’Égypte ancienne, lorsqu’on voulait damner quelqu’un, on effaçait simplement son nom de tous les monuments, pour en perdre la mémoire ou à Rome, le Sénat pouvait condamner à la damnatio memoriae, à l’effacement d’un nom de toutes les archives.

Et peut-être nous-même cela nous suffirait-il : qu’au-delà de la mort, on se souvienne simplement de nous avec amour, affection et tendresse ? Mais ça ne suffit pas à expliquer la Résurrection des corps. Que la mémoire de quelqu’un ressuscite lorsque l’on pense à lui, nous le concevons fort bien. Mais les corps ?

D’autant que les Évangiles ne sont pas très explicites à ce sujet. Ils insistent même pour affirmer que les disciples peinent à reconnaître Jésus ressuscité. Pour Marie-Madeleine, il faudra qu’il l’appelle par son prénom, pour d’autres il faudra qu’il partage du pain, pour les disciples d’Emmaüs, il faudra qu’ils aient le cœur brûlant. Le seul point sur lequel les Évangiles tiennent à être clairs, c’est pour dire que le Christ ressuscité n’est pas un pur esprit, qu’il mange, qu’il marche, qu’on peut le toucher.

Je ne vais pas vous révéler aujourd’hui la clé du mystère, qui le pourrait ? … Saint Paul parle de « corps spirituel » ce qui n’est pas tellement plus clair, et même en soi paradoxal. Le propre d’un mystère c’est qu’on peut toujours intellectuellement y réfléchir, mais qu’on ne pourra jamais l’épuiser. Il y a entre la Résurrection et nous la barrière de la mort que nous n’avons pas franchie. Et même si les expériences de mort imminente, dont on a désormais de nombreux témoignages, restent à cet égard parlantes, elles ne sont pas à proprement parler une Résurrection des corps mais bien un retour à la vie teinté de visions de l’Au-delà. Le mystère restera mystère tant que nous-mêmes ne l’aurons pas vécu. Seul le Ressuscité, quand il vient à nous, peut nous révéler ce qu’est la résurrection. Mais on tombe alors sur d’autres mystères, celui de la Présence réelle dans l’Eucharistie ou celui de l’Église comme Corps du Christ.

On n’épuisera pas ici le mystère de la Résurrection, mais nous savons que les mauvaises pensées tuent le corps, que la chair souffre d’idées sombres, que nos corps s’affaiblissent sous le poids de la douleur et du chagrin, que certains meurent de malheurs et de dépression. Tous, nous nous rendons compte de l’incidence d’esprits mauvais sur notre corps ; tous nous savons qu’il y a des mots qui blessent et tuent.

Si tout ce qui nous plonge dans la ténèbre a un réel impact sur notre santé, sur notre corps, alors je crois aussi que toute parole d’amour nous ressuscite, nous redonne de la vigueur et nous retisse de l’intérieur. Je crois que les corps se régénèrent et finalement ressuscitent à force d’amour.

Je crois que toutes ces morts qui sont en nous – tous nos chagrins, nos deuils, nos souffrances, nos blessures et aussi notre propre péché – peuvent se voir ressuscitées à force d’amour. Et je crois en l’absolue force d’amour de Dieu.

Comme d’autres ici, j’y crois parce que le Christ m’a déjà ressuscité de ténèbres abyssales. Alors que je dépérissais de chagrin, il m’a ramené à la vie – une toute autre vie. Alors oui, je crois que Dieu peut nous ressusciter d’entre les morts. Corps et âme. Par amour et pour l’éternité.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Dimanche des Rameaux – 2 avril 2023 – Évangile de Matthieu 21, 1-11

Évangile de Matthieu 21, 1-11

L’entrée de Jésus à Jérusalem

Lorsque Jésus a décidé de monter à Jérusalem après une longue mission à travers la Galilée, il a veillé à y parvenir juste en ces jours avant la grande célébration de la Pâque et il a prévenu ses disciples sur le sort qui l’y attendait. En effet le rituel pascal prescrit à toute famille juive de se procurer un agneau mâle d’un an, de l’observer pendant quelques jours pour constater s’il n’a pas un défaut caché, puis l’immoler le 14 nisan et le consommer, le soir, accompagné de pains azymes. C’est le signal que Moïse avait donné avant de s’enfuir dans la nuit et quitter l’esclavage d’Egypte : aussi ce mémorial de la libération devra-t-il être observé jusqu’à la fin des temps.

Fils élu du Père, Jésus que Dieu n’a nul besoin de sacrifices d’animaux. C’est lui, l’agneau innocent que les hommes vont exécuter mais qui va s’offrir en toute liberté et avec amour afin de faire miséricorde aux hommes de toutes nations. Si la perspective de la crucifixion qu’il entrevoit le terrifie, ses horreurs indicibles ne sont dues ni à lui ni à son Père mais à l’ignorance et à la haine des hommes. Jésus ne veut pas la souffrance comme si elle était nécessaire : il veut de tout son être accomplir la mission reçue de son Père. Si elle l’entraîne dans la mort, c’est à cause de notre méchanceté. La croix, sommet ignoble de notre péché, poussera Jésus au paroxysme de l’amour. Ainsi la Pâque deviendra à jamais, et pour tous, la fête de la libération de l’esclavage du péché.

L’Entrée à Jérusalem

Quelques jours avant la Pâque, Jésus et ses disciples arrivent à Bethfagué, sur les pentes du mont des Oliviers. Il envoya deux disciples : «  Allez au village : vous trouverez une ânesse attachée avec son petit. Détachez-la et amenez-la moi. Si l’on vous dit quelque chose, répondez : « Le Seigneur en a besoin, il les renverra ». Cela s’est passé pour accomplir la prophétie : « Dites à la fille de Sion : voici ton roi qui vient vers toi, humble, monté sur une ânesse et son ânon ». Les disciples obéirent, amenèrent l’ânesse et son petit, disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s’assit dessus.

Jésus n’invente pas sa conduite, il réalise ce que Dieu lui dit à travers les Ecritures : se jucher sur une bête qui n’a vraiment rien d’un cheval de guerre. Le royaume viendra  au pas de l’âne , lentement, sans violence, chez les hommes qui ont de grandes oreilles pour bien écouter la parole de Dieu. Mais la mention du mont des Oliviers évoque déjà le lieu où, dans quelques jours, le roi adulé sera seul, tordu de souffrances. Pour l’instant personne ne comprend le signe de l’humilité. On veut un chef puissant.

Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui le suivaient criaient : «  Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! ». Comme Jésus entrait en ville, l’agitation gagna toute la ville, on se demandait : « Qui est cet homme ? ». Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée ».

Matthieu exagère sans doute un peu car Jésus est toujours resté en Galilée ; la capitale ne le connaît que par la rumeur, et encore moins les pèlerins qui affluent des pays étrangers, pris par la joie de revenir à la ville sainte et de retrouver leurs familles. En tout cas une procession se forme autour de celui que certains tiennent pour le roi messie. Ne s’appelle-t-il pas Iéshouah, qui signifie Sauveur ? N’est-il pas un lointain descendant du roi David ? Ses miracles ne manifestent-ils pas sa puissance ? Emportés par l’enthousiasme, tout fiers, les disciples sont ravis. Pâle, amaigri, Jésus cache un sourire devant ce triomphe ambigu et ces gens qui bientôt demanderont sa mort : « Toujours leur volonté de grandeur et de faste ! ».

Suspense !

Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : « Qui est-ce ? » disait-on : les gens répondaient «  C’est le prophète Jésus de Nazareth en Galilée ».

Ponce Pilate, le préfet, qui vit habituellement au port de Césarée, est monté à Jérusalem avec sa troupe d’élite et surveille tout à partir de la forteresse Antonia qui jouxte le temple. Ordre a été donné de rester sur ses gardes : avec ces sales Juifs, une étincelle peut mettre le feu aux poudres. Dans son palais, le grand prêtre Caïphe enrage : « Ce menteur a osé venir ?! ». Suspense ! Que va faire cet intrus ? Foncer dans les quartiers malfamés et foudroyer ces voyous, ces dévergondés qui souillent la sainteté du lieu ? Mais non puisque le messie vient pour pardonner aux pécheurs. Rejoindre les équipes de zélotes qui ont accumulé des armes dans des caches secrètes en vue de l’insurrection ? Mais non puisque le messie vient pour sauver tous les peuples. Déclencher la déflagration suprême et mettre fin au monde ? Non puisque le Royaume doit venr lentement, dans la douceur et la paix, par la collaboration de Dieu et des hommes.

Purifier le Temple

Jésus entra dans le temple et chassa ceux qui vendaient et achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes. Et il cria : « Il est écrit : « Ma Maison sera appelée maison de prière et vous en faites une caverne de bandits ». Des aveugles et des boiteux s’avancent vers lui et il les guérit. Voyant ces choses étonnantes et ces enfants qui criaient : « Hosanna au fils de David ! », les grands prêtres et les scribes furent indignés : «  Tu entends ce qu’ils disent ? ». Jésus répond : «  N’avez-vous pas lu ce texte : «  Par la bouche des tout petits tu t’es préparé une louange »’?. Il les planta là et sortit de la ville.

Jésus fonce sur l’immense esplanade que les grands prêtres avaient transformée, pour les grandes fêtes, en marché – alors qu’il y avait des marchés en ville. Location des stands et vente des peaux de mouton rapportaient de plantureux bénéfices à ces prélats connus pour leur train de vie et leurs tenues ostentatoires. Jésus ne reproche pas aux petits marchands d’augmenter leurs prix : il attaque les prélats qui dissimulent leurs méfaits dans un lieu saint où ils pontifient avec majesté mais dont ils interdisent l’entrée aux handicapés et aux enfants. On n’achète pas la grâce de Dieu par des simagrées hiératiques et en payant des sacrifices d’animaux.

Cet esclandre de Jésus est grave, c’est la goutte qui fait déborder le vase : désormais les grands prêtres et les scribes seront d’accord de supprimer au plus tôt ce perturbateur.

Pourtant Jésus a l’audace de revenir au temple les jours suivants et il enseigne, comme il le fait depuis le début. Les diverses catégories de ses ennemis vont venir le cribler de questions pour le désarçonner et montrer à la foule qu’il est un faussaire dangereux. Peine perdue : Jésus prouvera qu’il est fidèle aux Ecritures.

Finalement on cessera de le questionner (22, 46). Mais à ses disciples, il annoncera que « tout cela sera détruit » (24, 02). En effet en 66 les zélotes déclencheront la révolte et en l’an 70, la ville et son Temple seront détruits par les Romains. Qui se sert du glaive périra par le glaive.

Conclusion

Emporter chez soi un rameau béni signifie que nous laissons entrer un Messie qui n’est pas dupe des cérémonies et qui vient avec la ferme volonté d’inaugurer le Royaume. Au lieu de s’en prendre aux scandales du monde et aux méfaits des puissants, il dénonce les dérives de l’organisation religieuse.

Remarquons que si notre cher pape François est follement applaudi par des foules de tous pays, son œuvre principale est sans doute sa volonté de réformer la Curie où se décident les grandes orientations. Là où ses prédécesseurs n’ont pas eu le courage d’agir, François met les pieds dans le plat et ne craint pas de critiquer des dérives graves. On se souvient de son célèbre discours où il dénonçait les 15 maladies qui sévissaient dans les couloirs du Vatican (22 déc.14) : quelques éminences rouges ne le lui ont guère pardonné et lui souhaitent un successeur, le plus vite possible.

La désaffection de la messe dominicale, la chute des baptêmes et des sacrements, la fermeture des couvents, l’écartement général des jeunes générations ne doivent pas être pour nous des sujets de lamentations mais des indices que nous aussi, nous avons à agir. Comme Jésus, quels marchés devons-nous chasser ? Comme François quelles maladies devons-nous dénoncer ?

Il est faux de vouloir à tout prix sauvegarder le visage que l’Eglise avait depuis un temps. Maintenant je sais que l’Eglise de ma jeunesse était absolument différente de celle de Pierre, Paul et Jean. Et que si le concile Vatican II a fait un travail de réforme, celle-ci se révèle aujourd’hui très insuffisante.

Oui l’entrée des Rameaux n’est pas un fait banal  et le petit rameau fait réfléchir à ce qui s’est passé ensuite : « la semaine sainte » ! Le refus des triomphes, l’exclusion du lucre, du cléricalisme, du hiératisme, des grands apparats a conduit Jésus au Golgotha. Mais il le faut pour que vienne une Eglise simple, ouverte à tous, qui lutte pour que tout être humain jouisse de ses droits fondamentaux : nourriture, logement, soins. Et qui déjà réalise cet idéal en son sein.

Certes nous allons apprendre que porter sa croix ne se cantonne pas dans des petites privations mais qu’elle est le retour de manivelle d’un pouvoir qui se croit fidèle parce qu’il est immobile. Mais nous reprendrons nos rameaux à Pâques pour applaudir celui qui va en effet devenir Roi, Seigneur du monde, Vivant pour toujours.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

5ème dimanche de Carême – 26 mars 2023 – Évangile de Jean 11, 1-45

Évangile de Jean 11, 1-45

Lazare

Vous savez sans doute que l’Évangile de Jean est un récit très construit : à la fois une œuvre littéraire, un traité de théologie et un témoignage. Pour le comprendre, il faut apprendre à décoder les nombreuses figures de styles, quantité d’images et autres structures rythmiques. Alors seulement on peut en appréhender le sens et le voir comme une œuvre unifiée, un tout. Vous savez aussi qu’il est le plus tardif des quatre évangiles et qu’il offre donc un regard plus distancié. Plus spirituel aussi.

Parmi les figures de styles, il y a les sept signes que Jésus accomplit avant la Pâque, qui vont de l’eau changée en vin à Cana à la résurrection de Lazare qui en est le point d’orgue – sept étapes qui développent, en croissant, la compréhension de l’événement pascal.

Ce récit de la résurrection de Lazare est lui-même très construit. Et il offre un enseignement théologique particulièrement dense. Par ses similitudes avec la mort et la résurrection de Jésus, il éveille les disciples à la compréhension de ce qui va suivre. Une question se pose dès lors : est-ce, de la part de Jean, une image – une sorte de parabole – ou Lazare est-il véritablement revenu de la mort ?

Il vous apparaîtra peut-être évident que Marthe, Marie et Lazare – frère et sœurs – préfigurent la toute première « communauté chrétienne », les premiers croyants, avec les apôtres, à être cités par leur nom. Ensemble, ils forment l’embryon de l’Église. Dès lors, la résurrection de Lazare n’est-elle pas un récit imagé, là pour enseigner que le salut à venir concerne toute l’Église ?

Nous savons que le judaïsme aime les images concrètes – le chameau qui passe par le chas d’une aiguille – et ces images particulièrement concrètes sont là pour nous faire prendre la mesure de ce qui se joue. Personne pourtant, n’envisage concrètement de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Cette idée du récit comme une parabole est renforcée par les nombreuses incises théologiques évoquées plus haut. Clairement, Jésus apparaît ici comme un théologien qui délivre un enseignement, au centre duquel se trouve la phrase : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Ainsi, au cœur du récit, se trouve ce qu’on appelle le kérygme, le centre de la foi chrétienne, ce que nous rappelons dans chaque Credo : Jésus est mort et ressuscité et quiconque croit en lui vivra de même.

Mais d’autre part, il n’y a pas de doute que Marthe et Marie soient des personnes concrètes. Elles sont citées par les quatre évangiles. Par ailleurs, le récit met très fort l’accent sur les sentiments qui traversent Jésus : il est saisi d’émotion ; il est bouleversé ; il se met à pleurer. C’est, de tout l’évangile, l’endroit où l’on voit le Jésus le plus concret, le plus humain face à la mort. Alors ? Image ou réalité ?

Déblayons donc, dans notre archéologie du texte, la couche théologique supérieure pour mettre à jour le récit lui-même ; penchons-nous concrètement sur l’histoire.

Certes, elle offre quelques parallèles avec la résurrection du Christ qu’elle annonce, mais ils ne sont pas si nombreux que cela : il s’agit bien entendu du relèvement d’un mort ; il y a la pierre roulée devant la tombe, mais c’est à peu près tout.

Les différences sont plus nombreuses. Les événements se déroulent sur quatre jours contre trois pour la résurrection du Christ ; et surtout, Lazare finira par mourir de nouveau. En outre, il faut encore le débarrasser des bandelettes et du suaire qui le recouvrent, alors que linge funéraire du Christ apparaîtra soigneusement plié. La résurrection de Lazare, finalement, ressemble à une résurrection inachevée.

Maintenant posons-nous la question : pourquoi Jésus pleure-t-il ? On apprend pourtant dès le début du récit qu’il sait que Lazare ressuscitera. Il dit d’emblée : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » et, plus loin : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Quel sens y a-t-il donc à penser que Jésus pleure son ami mort ? Aucun !

Jésus ne doute pas que Lazare vivra, mais il est le seul. La lamentation de Marie se présente comme une constante tout au long du texte « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Et c’est alors que Jésus pleure. Et qu’il ressuscite Lazare. Partiellement.

J’ose une hypothèse : Jésus pleure, non pas parce que Lazare est mort, mais parce que la foi de ses disciples les plus proches est encore dramatiquement incertaine – théologique, certes, mais pas encore pratique – parce qu’ils doutent encore de leur propre salut. Jésus réalise alors qu’il faudra qu’il meure et qu’il ressuscite lui-même ; que seule sa présence aimante et son enseignement n’ont pas suffit ; qu’il faudra la Pâque pour qu’on le croie.

Ensuite il scande : « Enlevez la pierre » ; « Lazare, viens dehors ! » ; « Déliez-le, et laissez-le aller » comme pour dire : il vous reste à faire pour être délivrés de la mort. N’enfermez personne dans un tombeau ; ne prononcez la mort d’aucun !

Dans son encyclique « Laudato Si », au paragraphe 199, le Pape écrit : « On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. » On ne peut pas plus soutenir avoir compris la mort, pouvoir en juger. Nos pensées là aussi sont limitées.

Alors finalement répondons à notre question : ce récit présente-t-il des faits ou s’agit-il d’une illustration imagée du Credo ? Je crois qu’il faut tenir les deux : c’est à la fois une image très concrète comme aime en invoquer la culture juive, une illustration de l’enseignement théologique de Jésus. Mais croire qu’il est impossible qu’existe un Lazare qui réellement ressuscite, c’est préserver l’aspect purement théorique de notre foi. Ce pourquoi, justement, Jésus pleurait.

N’enfermons jamais personne dans la mort – et surtout pas nous-même –, c’est le signe le plus tragique de la désespérance. Au contraire, ouvrons tout ce que nous avons pu concevoir comme tombeaux, délions nos morts – y compris ce qui est mort en nous – et laissons-les aller vers Dieu.

C’est l’heure de déposer au pied de la Croix, nos deuils qui doivent encore ressusciter.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

4ème dimanche de Carême – 19 mars 2023 – Évangile de Jean 9, 1-41

Évangile de Jean 9, 1-41

Ah maintenant je vois !!

Les premiers évangiles racontent que Jésus annonçait la venue proche du Règne de Dieu et accomplissait quelques miracles, dont des guérisons d’aveugles. Quelques dizaines d’années plus tard, grâce à l’Esprit-Saint, la réflexion sur la personnalité de Jésus s’est approfondie : Jean a compris que ces faits passés étaient des « signes », des actions symboliques qui manifestaient toujours le salut apporté par le Seigneur Jésus. Ainsi le récit de Jean 9 « chef d’œuvre du récit dramatique de Jean » dit le grand exégète R. Brown.

Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogent : « Rabbi, pourquoi est-il aveugle ? Il a péché ou ses parents ? ». Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. Mais l’action de Dieu doit se manifester en lui. Il faut réaliser l’action de Celui qui m’a envoyé pendant qu’il fait clair car déjà la nuit approche. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Il cracha sur le sol et avec la salive il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle. « Va te laver à la piscine de Siloé, mot qui signifie Envoyé ). L’aveugle y alla, se lava et quand il revint il était guéri.

Qui sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Quel est le sens du monde ? Aucun homme ne le sait. De naissance, nous ne voyons pas, nous sommes aveugles. Ce n’est pas un péché, il n’y a pas de notre faute. Des philosophes, des savants tentent des réponses : elles sont approximatives, partielles, fausses. Mais au cœur de cette histoire obscure, apparaît l’homme Jésus. Avec la boue, il renvoie l’homme à sa condition native : « Tu es poussière… ». Il va le re-créer.

Mais il profère la prétention inouïe d’être « la Lumière du monde ». Cette affirmation nous stupéfie, nous paraît folle, nous n’osons y croire. Mais si nous faisons confiance à cette parole, si nous acceptons la plongée dans l’eau offerte par Jésus l’envoyé de Dieu – comprenons : si nous faisons la démarche du baptême – alors nous commençons le processus de guérison. Ce sera un rude chemin.

Les gens habitués à le rencontrer dirent : « N’est-ce pas le mendiant ? ». Les uns disaient : « En effet ». Les autres : « Pas du tout. C’est son sosie ». L’homme, lui, affirmait : « C’est bien moi ». On lui demandait : « Comment tes yeux se sont-ils ouverts ? – L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue et m’a dit d’aller me laver à Siloé. Je suis allé, je me suis lavé et j’ai vu ! ». On lui demande : « Où est-il ? ». « Je ne sais pas ».

Un vrai converti ne change pas d’apparence mais il commence une transformation. La lumière vient dans son coeur : le monde n’est pas absurde, je puis y travailler, je découvre ma personnalité profonde, le sens de ma vie. « C’est bien moi » !!! « L‘homme ne se connaît que par Jésus-Christ » disait Pascal.

Mais du coup son entourage s’étonne : « Quel curieux changement ! Et où est-il ce Jésus ? ». La foi commence par une décision libre mais elle inaugure alors une recherche : tout n’est pas automatique, il ne suffit pas d’être inscrit sur un registre. Jésus a offert une aurore qui déclenche la recherche à tâtons de la pleine lumière. Ce n’est pas une théorie fulgurante ni une découverte scientifique mais une personne : Jésus. Sa découverte ne va pas sans de sérieux problèmes : après la stupeur, l’opposition se dresse.

On amène l’homme aux pharisiens. Car c’était un sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Ils l’interrogent : « Comment se fait-il que tu vois ? ». Il répond : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et maintenant je vois ». Certains pharisiens disaient : « Ce type n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». D’autres répliquaient : « Oui mais comment un pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ». Ainsi donc ils étaient divisés.

Quel scandale ! Si votre voisin aveugle revient guéri de Lourdes, naturellement vous sautez de joie, vous vous réjouissez avec lui, vous partagez son allégresse. Eh bien les adeptes d’une religion légaliste, eux, froncent les sourcils. La Loi est formelle : il est interdit de faire tout travail en sabbat, donc ce Jésus qui a malaxé de la terre  est un pécheur. Quelle idiotie ! Sous prétexte de sauver l’observance de la Loi, les pharisiens (en tout cas certains d’entre eux) en font un joug intolérable, un carcan, une prison.

Les pharisiens disent à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de Jésus ? ». Il répond : « C’est un prophète ». Ils ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle : ils convoquent ses parents : « Cet homme est-il bien votre fils ? Vous dites qu’il est né aveugle. Comment se fait-il qu’il voit ? ». Les parents répondent : « Oui c’est notre fils et il est né aveugle. Mais comment voit-il, nous ne savons pas non plus. interrogez-le : il est assez grand pour s’expliquer ».

Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet les Juifs s’étaient mis d’accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie. Voilà pourquoi les parents avaient dit : «  Il est assez grand : interrogez-le ».

On sait par les Actes des apôtres et les lettres de Paul que la conversion à Jésus scandalisait les autorités juives. L’hostilité grandit de plus en plus surtout après la défaite de l’an 70 et la destruction de Jérusalem et du temple : si bien qu’on en vint à interdire l’entrée dans les synagogues à ceux qui confessaient Jésus comme le Messie.

Comme c’est curieux : Jésus apporte la paix et l’amour et, en fait, il provoque la division. D’abord chez les voisins, puis chez les autorités, maintenant dans la famille. Mais ne l’avait-il pas annoncé : « On se dressera les uns contre les autres… » ?…La foi est une démarche tout à fait personnelle et elle doit s’attendre à être incomprise, à lézarder même les liens les plus chers. Le pauvre aveugle perd même l’appui de ses propres parents et est seul devant ses juges.

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquent l’homme : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. – Moi je sais une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois. – Comment a-t-il fait ? – Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre une seconde fois ? Vous voulez devenir ses disciples ? – Toi, tu es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse car Dieu lui a parlé. Celui-là nous ne savons pas d’où il est. – Voilà l’étonnant. Vous ne savez pas d’où il est et pourtant il m’a ouvert les yeux. Chacun sait que Dieu n’exauce pas les pécheurs mais seulement celui qui fait sa volonté ! Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire – Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance et tu nous fais la leçon ? ». Et ils le jetèrent dehors.

Les juges exigent du prévenu qu’il jure de dire toute la vérité et eux-mêmes affirment que de toutes façons leur opinion est faite : Jésus est un pécheur puisqu’il a « travaillé » en sabbat ! Et autre infamie : lorsque l’homme simple explique pourtant son raisonnement logique, ils l’enferment dans le mal : un handicapé est dans le péché. Et ils l’excluent. La lamentable scission Israël/Eglise se creuse !

Jésus apprit qu’ils l’avaient expulsé et il vient le trouver : « Crois-tu au Fils de l’homme ? – Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois, c’est lui qui te parle – Je crois, Seigneur ». Et il se prosterna devant lui.

Le baptisé, comme l’aveugle, a d’abord eu comme un appel et s’est présenté au baptême. Commençant à sortir de la nuit où il était plongé, il n’a cependant pas eu d’extase. Pas de présence sensible de ce mystérieux Jésus : au contraire la solitude, les interrogations, la méfiance, puis la lâcheté de ses parents et l’hostilité violente des juges. Mais ces épreuves l’ont mûri, ont approfondi sa foi pour pénétrer l’identité de Jésus : il est plus qu’un rabbi, un homme, un thérapeute doué, quelqu’un qui vient de Dieu, la Lumière qui éclaire la marche du monde : il est le mystérieux « Fils de l’homme » que le prophète Daniel annonçait, celui qui, à la fin des temps, devait venir dans la gloire de Dieu pour opérer le jugement définitif de l’humanité. Et c’est pourquoi l’aveugle se prosterne dans le geste d’adoration.

Alors Jésus déclara : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui voient puissent voir et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Des pharisiens entendirent ces paroles : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? – Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites « nous voyons », votre péché demeure ».

Attention : Jésus n’est pas un juge impitoyable qui comptabilise nos péchés sur un grand livre. Seigneur, Lumière divine, il connaît à fond les moindres secrets de nos histoires, il renverse nos propres jugements comme superficiels et faux. Et en outre il est la miséricorde divine en personne.

Ainsi pour lui l’aveugle-né n’est pas un pécheur et, au contraire ces pharisiens qui s’estimaient les modèles d’observances et de piété tout en excluant les handicapés du culte du temple, sont des fourbes, des hypocrites, des faux croyants. Ah s’ils reconnaissaient leur erreur !…Jésus leur offre la possibilité de changer mais s’ils s’enferrent dans leurs convictions : « Nous, nous savons », ils se condamnent eux-mêmes.

Conclusion

Oui cette page est un chef-d’œuvre à méditer longuement. L’homme ne naît pas pécheur mais aveugle sur son identité et son histoire. S’il consent, Jésus lui apporte la lumière : « Ah maintenant je vois ! ». Cette lumière est Quelqu’un : donc la foi est recherche, approfondissement.

Qui est donc ce Jésus ? Un homme, un rabbin, un guérisseur, un disparu, un pécheur (il enfreint la Loi), il provoque la division, l’hostilité….Enfin le baptisé « voit » : Jésus vient de Dieu…Il est Seigneur…le seul Juge authentique de l’humanité.

Dans une société qui, en pleine explosion des progrès, titube vers le précipice, voit-on des baptisés éclairés, heureux de l’être, pleins d’assurance afin d’accomplir leur mission essentielle ?…

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.